Un marché en croissance exponentielle...
Les ventes annuelles mondiales de smartphones se comptent par millions, ces dispositifs équipant un pourcentage croissant d’individus dans le monde. Ainsi, en 2012, il était estimé que plus de 45 % de la population nord-américaine détenait un smartphone, ce taux étant appelé à croître fortement. La tendance est la même en France. Les principaux systèmes d’exploitation de ces smartphones proposent des centaines de milliers d’applications téléchargeables sur leurs plateformes commerciales. Des milliers sont dédiées à la santé et constituent la m-santé (santé mobile). Celle-ci, comme la e-santé en général, se développe de façon anarchique, sans cadre réglementaire ni validation des contenus. Des applications m-santé ont bien sûr été créées pour le diabète et suscitent l’intérêt des patients et des soignants. Parmi elles, il faut bien différencier celles en accès libre (gratuites ou payantes), de celles qui sont adossées à un programme de télémédecine. Nous nous limiterons dans cet article au champ des applications en accès libre.
Selon une récente enquête, 60 % des diabétiques de type 2 souhaitent utiliser des applications dédiées pour mieux gérer leur maladie, et 65 % d’entre eux sont en outre confiants vis-à-vis de ce type de support.1 En revanche, les professionnels de santé sont plutôt réticents à conseiller ces outils à leur patient.
Les freins sont multiples : efficacité faible ou non démontrée, absence de validation des contenus, ou encore méconnaissance de l’offre disponible. Pourtant, ces dernières années, quel-ques applications ont fait l’objet d’une évaluation donnant des résultats positifs encourageants. Plusieurs méta-analyses et revues systématiques ont dernièrement colligé les études cliniques interventionnelles les concernant.2
Cependant, peu de ces solutions « validées » sont disponibles en français, laissant patients et médecins francophones face à de nombreuses applications dont ils ignorent l’intérêt, la pertinence et la sécurité.
Un récent travail français a consisté à colliger de façon exhaustive toutes les applications smartphone dédiées au diabète, à les classer par fonctionnalités et à en donner une description brève.3 Au moment de sa rédaction, on pouvait en recenser une cinquantaine, la moitié d’entre elles étant des carnets glycémiques virtuels.
Elles offrent diverses fonctionnalités : renseigner les doses d’insuline, les apports glucidiques ; aide à la quantification des glucides ; assistant bolus intégré ; suivi de l’activité physique ; contenu éducatif ; gamification (intégration de ressorts ludiques dans des applis sérieuses pour améliorer la motivation, l’implication et l’observance) ; connexion communautaire. Certaines ont été pensées pour répondre aux attentes spécifiques des diabétiques de type 1 alors que d’autres ont été conçues pour les diabétiques de type 2 ou les femmes atteintes de diabète gestationnel. Le patient peut transmettre au soignant, de façon dématérialisée, un rapport statistique des données colligées, ouvrant des perspectives de suivi télémédical. Par exemple, dans le programme national éTAPES*, la valorisation financière de la télésurveillance du diabète repose sur des échanges de données glycémiques via des applications couplées à des glucomètres connectés.
Outre ces carnets virtuels, il existe des assistants à la quantification des glucides, des applis de coaching sportif ou encore contenant des ressources pédagogiques. Nombreuses sont celles qui permettent le partage d’expérience, de recettes de cuisine ou favorisent simplement l’émulation et l’entraide entre patients.
Très peu d’études ont évalué leur impact hors télémédecine, et ces essais de faible puissance ont porté plutôt sur des critères intermédiaires. Ainsi, avec un carnet virtuel proposant une représentation ludique des glycémies et une forte connexion communautaire, les utilisateurs effectuaient 2 fois plus de contrôles glycémiques que des témoins.4 Cependant, en France, nous n’avons aucune donnée sur l’amélioration éventuelle de l’état de santé global, de la qualité de vie, de l’observance, sur l’usage à long terme, ou le rôle motivationnel des applis francophones pour diabétiques autonomes.
Concernant leur fiabilité, la pertinence de leur contenu, leur sécurité d’utilisation, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. En effet, alors que la télémédecine est bien encadrée par le décret du 19 octobre 2010, la m-santé se développe sans réglementation ni régime juridique adapté. Par ailleurs, les contenus proposés ne sont que rarement validés par des sociétés savantes ou des experts reconnus.
Quelques sociétés privées (DMD-santé, Medappcare) proposent depuis peu une certification, à partir de référentiels et de méthodologies qui leur sont propres, s’appuyant sur un panel d’experts qui évaluent les aspects juridiques, techniques, ergonomiques et la validité des contenus médicaux.
En 2016, la HAS a publié un référentiel de bonnes pratiques sur les applis et les objets connectés en santé n’ayant pas de finalité médicale déclarée, soit des outils ayant un effet sanitaire potentiel sans être des dispositifs médicaux. Ce référentiel concerne la fiabilité du contenu, la protection des données, et la cybersécurité. Il contient 101 bonnes pratiques groupées en 5 domaines (information utilisateur, contenu santé, contenant technique, sécurité/fiabilité, utilisation/usage).
Malheureusement, 2 ans après, il n’est pas opposable ni rendu obligatoire aux développeurs d’applications m-santé rendant sa portée assez limitée.
Mais comment intégrer dans le parcours de soins des solutions techno-logiques sans cadre réglementaire et au contenu non validé, alors que nos pratiques doivent se fonder sur des protocoles et des référentiels ? Comment utiliser ces outils dont l’efficacité n’est pas démontrée, alors que toute activité médicale doit, si possible, être étayée par des preuves scientifiques ?
Encore une fois, la télémédecine fait exception, ce tiers technologique ayant pu être intégré harmonieusement et efficacement à la prise en charge de sujets diabétiques (comme avec myDiabby et Diabeo en télésurveillance dans le programme éTAPES).
De plus, les professionnels de santé sont réticents vis-à-vis des solutions technologiques, par manque de confiance, difficultés d’interopérabilité avec les systèmes d’information déjà existants, crainte d’être dépossédés d’une partie de leur rôle au profit d’un tiers technologique, ou encore par simple méconnaissance des outils disponibles.
Autres risques : protection et confiden- tialité des données de santé, dysfonctionnement, vulnérabilité des logiciels, capteurs, dispositifs connectés et leurs conséquences potentielles…
RÉFÉRENCES

1. Dobson KG, Hall P. A pilot study examining patient attitudes and intentions to adopt assistive technologies into type 2 diabetes self-management. J Diabetes Sci Technol 2015; 9:309-15.

2. Pal K, Eastwood SV, Michie S, et al. Computer-based diabetes self-management interventions for adults with type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2013; 3:CD008776.

3. Halbron M, Joubert M, Sonnet E. m-santé francophone et diabète : mise au point. Med Mal Metab 2016;10:243-253.

4. Cafazzo JA, Casselman M, Hamming N, et al. Design of an mHealth app for the self-management of adolescent type 1 diabetes: a pilot study. J Med Internet Res 2012;14:e70.

5. HAS. Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets connectés en santé (Mobile Health ou mHealth). Évaluation et amélioration des pratiques. Octobre 2016. https://bit.ly/2L6uZ9J
essentiel