Culture et médecine

Pour comprendre le présent, il faut savoir d’où on vient

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Déçu par l’enseignement de la Sorbonne, Andries van Wesel (dit André Vésale), né en 1514, se passionne pour l’anatomie. Il poursuit ses études à Padoue où il prend la tête de la chaire de cette spécialité. Il s’associe à Jan van Kalkar, peintre flamand formé en Italie, pour réaliser son traité d’anatomie, De humani corporis fabrica. Les sept tomes y passent en revue tout le corps humain grâce à la description détaillée de ses dissections. Précurseur, cet ouvrage de Vésale va servir de référence à tous les travaux postérieurs.
Le marché de la santé numérique est en constante évolution, avec une augmentation significative des levées de fonds ces dernières années. Cinq catégories de critères influencent les investisseurs : non seulement le potentiel du produit mais aussi la taille du marché, la force de l’équipe et surtout la stratégie de sortie.

Rubrique Histoire

Découvrez le passé de la médecine, du plus ancien au plus récent, indispensable pour comprendre les pratiques d'aujourd'hui.
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    L’impact de la pandémie mondiale liée au SARS-CoV-2 n’est pas sans résonance avec les grandes épidémies du passé.

    Une « peste » ravageuse compromet le déroulement du règne conjoint de Lucius Verus et de Marc Aurèle, puis de Marc Aurèle seul, et lance le signal de la fin de l’Empire romain :

    Tout commence en Mésopotamie ou Verus fait la guerre aux Parthes (166-167), puis la maladie marche vers l’ouest et gagne l’Asie mineure, les pays de la mer Noire, la Grèce, la P

    Une situation aussi insolite et aussi ravageuse veut des gourous.

    Résumons les principaux faits pathologiques relevés dans le corpus galénique par le Pr Charles Haas, devant l’Académie nationale de médecine,3 tels que Galien les a c

    Les co-empereurs vont devoir rentrer d’Aquilée à Rome, pour des raisons qui ne sont pas explicitées ; c’est Galien qui raconte (Sur ses propres livres III, 1-7 [éd.

    Imaginons une fiction médico-historique expliquant l’arrêt de la catastrophe.

    C’est ici que peut intervenir la fiction médico-historique : le désir de châtiment des deux grands dieux sanitaires s’est émoussé de lui-même, l’Apollon du IVe siècle

    Aujourd’hui, devant cette nouvelle situation mortifère, ce n’est plus la faute de soldats pillards, c’est la faute des Chinois, proclame l’opinion générale !

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    Les représentations antiques révèlent parfois des états pathologiques, dont les manifestations visibles ont frappé les artistes.
    Dans Les Maladies dans l’art antique, ouvrage publié en 1998 chez Fayard, Mirko Grmek et Danielle Gourevitch avaient tenté de définir l’iconodiagnostic,1 considér
    Parmi ces portraits, celui d’une petite fille porteuse de plusieurs indicia mortis,2 et notamment d’un extraor­dinaire hippocratisme digital.
    On peut rapprocher ce cas de celui d’un autre enfant ­antique, un garçon étrusco-romain cette fois, Aulus Caecina Selcia, mort à l’âge de 12 ans (musée Guarnacci, Volterra), avec s
    L’ordonnance du médecin dans l’Égypte ancienne
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    En complément de la magie, les médecins égyptiens ont progressivement élaboré de nombreux remèdes qui se sont ensuite transmis de génération en génération.

    Les médecins égyptiens de l’Antiquité, les « sounou »,1 ont étudié les maux qui accablaient leurs contemporains pour tenter d’y remédier ou de les soulager. À l’origine, la magie était le seul recours. À partir de certains remèdes utilisés en complément, ils ont élaboré un art de guérir, à l’origine de la médecine. L’écriture, apparue en Égypte vers -3200, a permis de transmettre de génération en génération les acquis de ce savoir médical.

    Nombreux et variés, ses remèdes ont fait la réputation de la médecine égyptienne dans le monde antique.2 Kemi, la terre noire, le nom égyptien de l’Égypte, serait à l’origine du mot chimie. Le terme grec « Pharmakon », dériverait de l’égyptien ancien « Pheret-maki » (celui dont les prescriptions protègent), allusion à Thot, le dieu guérisseur, qui a soigné l’œil blessé d’Horus.3
    Les préparations médicamenteuses étaient habi­tuellement longues et compliquées. En multipliant les principes actifs, le thérapeute pouvait espérer obtenir un maximum d’efficacité. Leur élaboration était volontiers accompagnée de formules magiques pour en accroître l’efficacité. « Paroles à dire au moment de placer la médication sur tout endroit douloureux d’un homme ; vérifié efficace un million de fois » (papyrus Ebers n° 1).
    Pour des problèmes d’interprétation, il faut rester prudent quant à l’identification de certains ingrédients qui les composent. Sur les 500 produits relevés dans la pharmacopée égyptienne, Grapow estime que 358 traductions sont acquises, 167 restent douteuses ou intraduisibles et 19 illisibles.4 Pour les 400 drogues figurant dans le papyrus médical Ebers, Ebbel n’a pu proposer que 240 traductions.5 Certains termes tels que « l’œil du ciel », « l’onguent précieux », « la queue de souris », « la tête d’âne » ou « la dent de porc » désignent probablement des plantes sans plus de précision.

    La pharmacopée égyptienne utilisait des substances d’origine minérale, végétale et animale.6
    Elle accordait à certaines substances minérales des vertus thérapeutiques. Un onguent à base de poudre d’albâtre permettait d’obtenir une peau parfaite (papyrus Ebers n°715, Hearst n°154), l’ocre jaune (argile riche en oxyde ferrique hydraté) traitait le trachome et la pelade, la galène (sulfure de plomb), la chrysocolle (sulfate de cuivre hydraté) et le granit soignaient les yeux, le natron était utilisé comme émollient, le carbonate de calcium contre les acidités digestives. Parmi d’autres substances minérales de leur pharmacopée, citons le sel marin, la brique, l’argile, la terre, la faïence, le gypse, la pierre de Memphis (calcaire ?), la malachite, la poudre de meule, la boue du Nil, le sable du désert pour soigner une morsure de serpent (papyrus Brooklyn n°44 a), la suie, etc.
    Les plantes utilisées par le sounou étaient pour la plupart d’origine égyptienne, qu’elles soient endémiques ou acclimatées. Certaines venaient de l’étranger. Le safran et la sauge, de Crète ; les parfums, les épices, la myrrhe et l’encens d’Arabie, le cannabis et la cannelle d’Inde.
    Certains de ces végétaux avaient des vertus curatives incontestables. Comme laxatifs, les fruits du sycomore (Ficus Aegyptiae), la coloquinte, les figues, le ricin et l’aloès étaient sûrement efficaces. La caroube et la levure de bière aidaient à calmer certaines affections intestinales et le saule les états douloureux ou fébriles. Ils utilisaient comme diurétiques les graines de genévrier, la bryone et la scille. Parmi les sédatifs, ils avaient recours au pavot (Papaver somniferum), à la jusquiame, et au datura aux propriétés hallucinatoires. Parmi d’autres plantes utilisées, citons l’acacia, l’ail et l’oignon, le blé et l’orge, les fèves, les dattes, le chou, le céleri, la coriandre, le concombre, le fenouil, les figues, la laitue, le poireau, les pois, les pignons, le radis, le raisin, le melon et la pastèque, le séné, le thym, etc.
    Les substances d’origine animale étaient aussi mises à contribution. Grapow en a relevé 984 dans les 1 740 recettes recensées.
    Le miel constitue l’un des produits les plus fréquemment mentionnés. Nous lui reconnaissons ses propriétés adoucissantes, cicatrisantes, antibactériennes et antifongiques.7 L’apiculture est fort ancienne et se retrouve dans des scènes des tombes dès la ve dynastie. L’abeille est d’ailleurs le symbole de la Haute-Égypte.
    Le recours à l’amalgame est incontestable. Un crâne de silure, frit dans sa graisse et appliqué sur la tête, était censé guérir le migraineux en quatre jours (papyrus Ebers n°250).
    Les Égyptiens utilisaient également le lait de vache ou d’ânesse, la graisse de divers animaux. La viande fraîche était utilisée pour la cicatrisation des plaies. Toute une thérapeutique dite excrémentielle (fiente, urine, chiures de mouches...) soulève un certain nombre de questions.

    Selon les papyrus médicaux, la préparation des remèdes exigeait rigueur et minutie quant aux ingrédients nécessaires, à leur mode de préparation et à leur voie d’administration.

    Les différentes substances utilisées étaient énumérées, avec pour chacune d’elles le volume (et non le poids) nécessaire à la confection du remède. L’unité de référence était le boisseau ou « heqat », initialement prévu pour mesurer les céréales, et correspondant à 4,5 litres. Son sous-multiple, le « henou », soit 1/10 de heqat, valait 450 mL. Aussi le « ro », littéralement la bouchée, soit 1/320 d’heqat (14 mL) était la mesure la mieux adaptée aux petites quantités de produits utilisées.8

    Il était énoncé avec précision : « Une fumigation pour rendre agréable l’odeur de la maison ou des vêtements ; les ingrédients seront moulus finement, pétris en une masse homogène, et cuits au feu » (papyrus Ebers n° 852).9 Les excipients les plus utilisés étaient l’eau, la bière, le miel, et plus rarement le vin.

    Les Égyptiens avaient surtout recours à la voie orale, sous forme de potions, infusions, décoctions, macé­rations, mais aussi de pilules, pastilles, boulettes, etc. Par voie cutanée ils appliquaient cataplasmes, onguents, pommades, emplâtres. Aux affections respiratoires, ils opposaient fumigations et inhalations, avec des instructions détaillées pour le patient : « Tu iras chercher 7 pierres que tu feras chauffer au feu ; tu apporteras l’une d’elles et tu mettras dessus une portion de ce médicament ; tu le recouvriras d’un pot neuf dont le fond a été percé ; tu y introduiras la tige creuse d’un roseau ; tu placeras ta bouche à l’orifice de cette tige ; de sorte que tu inhales les vapeurs qui s’en exhalent. Et ainsi avec les 6 autres pierres » (papyrus Ebers n° 325). On ne peut être plus précis pour un mode d’emploi. Un praticien spécialisé, le « berger de l’anus », utilisait les suppositoires et surtout les lavements, un mode de traitement couramment appliqué.10 Tampons et injections vaginales traitaient les pathologies féminines. Pour les soins buccaux, on disposait de gargarismes et bains de bouche, pour les yeux, de collyres et pommades ophtalmiques. Des pâtes dentaires apaisaient les algies dues aux caries.
    L’ordonnance précisait l’âge auquel la médication s’adresse, l’heure à laquelle on devait l’administrer, le jour, voire la saison et la durée du traitement. « Ce sera cuit, filtré puis absorbé quatre jours de suite » (papyrus Ebers n° 289). Pour soigner un nourrisson, la nourrice devait enduire ses tétons du remède avant l’allaitement ou alors elle absorbait elle-même le traitement que son lait restituait au bébé.
    Même la température pouvait être recommandée : « (Ce) sera cuit et absorbé à une température convenable au doigt » (papyrus Ebers n° 799).

    L’élaboration des remèdes, dans la plupart des cas, était le fait du médecin lui-même. Toutefois, dans certaines situations, il pouvait disposer d’un assistant avec lequel il partageait ses secrets. Ainsi dans un journal de chantier sur un ostracon du Nouvel Empire, il est noté que l’ouvrier de la tombe, Pa-Héri-Padjet, se rend régulièrement au chevet d’ouvriers malades et prépare des remèdes pour la femme du scribe.
    Une organisation de la pharmacie est très vraisemblable au sein des « per ankh », les maisons de vie, véritable conservatoire du savoir égyptien antique.11 L’administrateur avait le titre de « chef des pharmaceutes ». Les différentes plantes, après contrôle par le prêtre-Sem,« l’homme aux plantes médicinales », étaient entreposées dans la maison de vie, sous l’autorité du « gardien de la myrrhe ». La myrrhe symbolisait l’ensemble des plantes médicinales. Ce responsable était vraisemblablement chargé de la conservation et de la délivrance des drogues entreposées.12 Aurait-on là le vénérable ancêtre des préparateurs en pharmacie, voire des pharmaciens ?13 

    Les caprices de Galien
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    Médecine antique. La diététique constitue une part importante de l’œuvre de Galien. Deux souvenirs personnels d’excès ont dû lui rester en mémoire.
    Avec ses camarades, au IIe siècle de notre ère, Galien grand enfant a eu des faims d’ogre, puis, adolescent et jeune homme, des caprices alimentaires, qui ont pu chez lui et chez tous ses camarades engendrer des problèmes de santé. Tels de ces épisodes pittoresques, avec leurs faim-valle, refus, engouements et régimes aberrants sont pour quelque chose dans les diktats de la diététique galénique, quand Galien est devenu princeps medicorum, en particulier dans les ouvrages qui suivent : Sur la vertu des aliments, Bons et mauvais sucs des aliments, Facultés des aliments, Régime amaigrissant, et Hygiène, mais aussi de-ci de-là. Nous en retenons deux, dans « l’Orient romain », à Pergame et à Alexandrie.
    « Si moi-même, raconte Galien, je n’avais une fois mangé du grain bouilli à l’eau, je n’aurais jamais cru qu’on pût en faire le moindre usage alimentaire. En effet, même en cas de famine, personne n’en viendrait à en faire un tel usage, alors qu’il est possible, si du moins on dispose de grain, d’en faire du pain. Et d’autre part, s’il est vrai que, pour un repas, on mange des pois chiches bouillis et grillés, en guise de ce qu’on appelle friandises (τράγημα)*, et qu’on prépare aussi d’autres graines de la même façon, de cette façon-là pourtant personne ne propose de grain bouilli. C’est pourquoi je n’aurais jamais cru qu’on pût manger du grain bouilli.
    Et lorsque moi-même, un jour que je m’étais rendu à la campagne, à une certaine distance de la ville, en compagnie de deux jeunes gens du même âge que moi, je tombai sur des paysans qui avaient terminé leur repas, et sur leurs femmes qui se préparaient à faire du pain (en effet il ne leur restait plus de pain) ; tout de suite l’une d’elles jeta dans une marmite du grain qu’elle fit bouillir, puis elle assaisonna ce plat de sel en quantité raisonnable et nous persuada d’en manger. Nous y étions forcés, en somme, vu que nous avions fait un long chemin et que nous mourions de faim. Nous en mangeâmes donc en abondance et nous nous sentîmes un poids sur l’estomac, comme s’il s’y fût trouvé de la boue.
    Et le lendemain, nous n’avions toujours pas digéré ; nous fûmes tout le jour sans appétit, au point de ne rien pouvoir prendre ; nous étions pleins de vents et de flatulences ; nous avions mal à la tête ; notre vue était brouillée, nous ne rendions rien par le bas, ce qui est le seul remède à l’indigestion. Nous demandâmes donc aux paysans comment ils se sentaient s’il leur arrivait à eux aussi de manger quelquefois du grain bouilli. Pour leur part ils répondirent qu’ils en avaient souvent mangé, poussés par la même nécessité que celle dans laquelle nous nous étions trouvés ; et que c’était une nourriture lourde et difficile à digérer que ce grain ainsi préparé
     ».1Cet épisode proche de la faim-valle, déraisonnable et incoercible, est arrivé quand Galien était jeune étudiant à Pergame : il a eu une indigestion de grains bouillis. Que c’est une indigestion, Galien le dit lui-même et il en décrit les symptômes ; mais est-elle due à la nourriture elle-même, ou à la gloutonnerie de ces trois très jeunes gens imprévoyants, partis sans esclave accompagnateur et surtout sans emporter de pique-nique, et malgré le vague du récit, restés passer la nuit sur place pour y dormir ? Cette sorte de gruau rustique, à peine assaisonné, devait être insipide ; ce qui n’a pas empêché les trois compères d’en trop manger. Mais Galien, loin de se sentir coupable de gloutonnerie, gardera définitivement l’idée que c’est là une « nourriture lourde et difficile à digérer », donc à éviter.
    Nous allons voir à nouveau que l’excès joue dans l’incident digestif un rôle beaucoup plus grand que la nature de l’aliment lui-même : un compagnon de Galien, à l’arrivée du petit groupe d’étudiants pergaméniens à Alexandrie, se jeta sur des dattes fraîches, sans doute sensible à l’attrait de la nouveauté de ce fruit pour lui exotique ;2 en effet, si la partie méridionale du monde grec connaît le palmier dattier, les fruits n’y mûrissent pas : « J’ai connu un jeune homme qui faisait partie de nos condisciples à Alexandrie, à qui cela est arrivé au moment où le bateau nous y avait conduits, au début de l’automne. Celui-ci mangea plusieurs jours d’affilée de grandes quantités de dattes fraîches et tendres, en sortant du bain et avant d’aller au bain ; mais la plupart n’étaient pas parfaitement mûres. Et voici ce qui lui arriva : d’abord, après la gymnastique et le bain, il commença à frissonner violemment, ce qui lui fit croire qu’il allait avoir la fièvre. Il se mit au lit et resta au calme, bien couvert de vêtements. Il passa toute la nuit sans fièvre, et le matin il se leva pour vaquer à ses occupations habituelles. Mais là-dessus il fut à nouveau saisi de frisson, se mit au lit à nouveau et resta au calme jusqu’à l’heure d’aller au bain. Mais comme il était arrivé au bain, un frisson encore plus fort le saisit : le symptôme était le tremblement avec sensation de froid, quoiqu’encore peu marqué… Ayant pensé que de toute façon il aurait la fièvre, il se mit d’autant plus au repos. Pendant tout le jour et la nuit suivante, il s’observa, se trouvant frissonnant s’il faisait des mouvements modérés, mais véritablement tremblant de froid s’il faisait des mouvements plus marqués. Il suivit mes conseils sur ce qu’il fallait faire… C’est ainsi qu’il se rétablit. Et depuis cela, à ceux qui souffrent du même état j’ai toujours commencé par donner le remède aux trois poivres, puis notre remède au calament et ensuite encore celui qui est composé de liqueur de Cyrénaïque (ou suc de Cyrène) et de castoréum, lequel est extrêmement utile aussi dans les cycles de fièvre quarte et surtout lorsque les sujets souffrent de tremblements violents avec sensation de froid. »
    Encore une expérience de jeunesse qui entre directement dans la règle, et n’est pas perdue pour la théorisation à venir, laquelle sera écrite lors du second séjour romain :3« Certaines (dattes) sont sèches et astringentes, comme les dattes égyptiennes, certaines sont molles, humides et douces comme celles qu’on appelle karuotoi et les meilleures se forment en Syrie-Palestine à Jéricho… Toutes les dattes se digèrent mal et donnent mal à la tête si on en mange plus qu’il n’en faut. Certaines produisent la sensation d’irriter l’orifice du ventre, ce qui fait qu’elles font plus mal à la tête, et se gâtent vite. L’humeur qu’elles répandent dans le corps est épaisse et a quelque chose de gluant quand la datte est onctueuse comme la karuotos… Les dattes vertes font beaucoup plus de mal même quand on n’en mange qu’un petit peu… Celles qui sont astringentes ont un suc plus froid, mais les dattes vertes, comme les figues, remplissent de flatulence… Dans les pays qui ne sont pas tout à fait chauds, les dattes ne mûrissent pas complètement et sont donc utiles pour la mise en réserve. Par conséquent ceux qui ne peuvent pas faire autrement que d’en manger de vertes se remplissent d’humeurs crues, sont pris de sensations de froid difficiles à réchauffer et ont des blocages du foie, avec inflammation (φλεγμαῖνον) et induration (σκιρούμενον)4 ». Il s’agit donc de « déculpabiliser » les coupables, dans la même optique en somme qui consiste à culpabiliser les goutteux, mais à l’envers.5 Le goût des Égyptiens pour les dattes est à rapprocher d’un incident dramatique qui s’est produit en 178, sous le règne de Marc Aurèle associé à Commode, la chute, du haut d’un palmier, d’un employé*** chargé de la pollinisation, donc entre février et mai de cette année-là.6
    Nous ne cherchons évidemment pas à réduire les vues alimentaires de Galien à des anecdotes, mais avons voulu mettre en valeur dans l’élaboration de ses idées proclamées, enseignées et appliquées, la part de son vécu : un passé évidemment embelli, l’état de μειράκιον ou première jeunesse, opposé à d’autres âges, la période idéale ou idéalisée de la vie, néanmoins souvent accessible aux corrections du bon sens, de l’expérience accumulée et du véritable savoir rationnel. La naissance, les sources d’une diététique antique, dans un cadre médical qui connaît trois branches, la médecine, la chirurgie et le régime, régime de vie bien sûr mais dans lequel le régime alimentaire et le dosage des dépenses sont sérieusement surveillés en fonction du genre de vie du sujet.
    On me permettra d’évoquer le livre délicieux de Georges Duhamel, Les Plaisirs et les Jeux, avec ses deux héros, les futurs médecins Bernard et Jean, le Cuib et le Tioup. Avec l’enfant qui ne veut pas manger sa viande, on cherche à argumenter : « mange ta viande ; je n’aime pas la viande; mais c’est du veau ; je n’aime pas le veau ; c’est du bon veau ; je n’aime pas le bon veau ; mais ce n’est pas du veau, c’est du chien ». Alors il mange.
    Figure 3. Un singe, avec une perche, essaye de faire tomber des dattes d’un palmier (mosaïque romaine).
    Boire en ancienne Égypte
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    Égyptologie. Les habitants de l’ancienne Égypte buvaient l’eau du Nil mais la bière était aussi consommée quotidiennement.

    Seul le Nil fournissait de l’eau toute l’année. Puisée dans des outres en peau de chèvre, cette eau chargée d’impuretés était impropre à la consommation directe. Elle devait être décantée puis filtrée à travers des couches de tissu et de sable, et enfin conservée dans des jarres enterrées au frais dans le sol des habitations. L’eau faisait l’ordinaire des plus indigents, et sa consommation n’était pas sans inconvénients digestifs. Le papyrus Ebers recommande six remèdes pour soigner la diarrhée : « Remède pour chasser une diarrhée sanglante abondante : pâte fraîche : 1/8 ; rhizome de souchet comestible râpé : 5 ro ; graisse/huile : 1/8 ; miel : 1/8. Ce sera filtré puis absorbé 4 jours de suite ; aucun remède n’est son équivalent ». 1

    Plus qu’une boisson, le lait était un aliment apprécié sous forme de produits lactés. Le lait de vache (irtchet) était le plus consommé.2 Le lait de chèvre, le lait de brebis ou le lait d’ânesse étaient le plus souvent réservés à la préparation de remèdes. 3
    Les enfants étaient nourris au sein jusqu’à l’âge de 3 ans. Si la mère ne pouvait allaiter son bébé, elle avait recours aux bons soins d’une nourrice pour les plus aisées, et au lait de vache pour les plus modestes.

    Véritable boisson nationale, la bière (heneqet) était consommée sans modération par toute la société égyptienne. Elle faisait partie, avec le pain, de la ration journalière de tout Égyptien, et contrairement à l’eau la fermentation alcoolique la rendait potable.
    Elle est mentionnée sur les stèles funéraires dès le début de l’Ancien Empire (-2650), où le défunt demande à ne manquer ni de bière ni de pain dans sa vie future.
    À partir de farine d’orge et de froment, on élaborait une sorte de pain peu cuit qui était brisé dans un mélange d’eau et de dattes écrasées, puis filtré sur un tamis d’osier au-dessus d’un grand récipient. Ce mélange subissait une fermentation alcoolique naturelle. La bière ainsi obtenue était assez fade, faute d’un équivalent du houblon. Elle était plus ou moins alcoolisée selon la quantité d’eau utilisée lors du brassage. Conservée dans des jarres de terre cuite plus petites, elle devait être rapidement consommée car relativement périssable.
    Des brasseries d’État pouvaient fournir de grandes quantités de bière pour les besoins du palais royal et des temples. L’échanson de la bière était un haut fonctionnaire qui veillait à la bonne marche de ce service. En dehors de grandes brasseries, et des maisons à bière, chaque foyer, comme il fabriquait son pain, brassait sa bière chaque jour.
    Un brasseur accompagnait toute expédition lointaine pour assurer à chacun de ses membres sa ration de bière.
    Pour traiter les problèmes digestifs, les médecins utilisait la bière comme principe actif mais aussi comme excipient. « Pour chasser les maux qui sont dans le ventre : pois ; ce sera mélangé à de la bière et bu par le patient » (papyrus Ebers n° 5).

    Plus festif et plus long à élaborer, le vin n’était pas une boisson quotidienne pour la plupart des Égyptiens.
    Consommé en Égypte dès la période prédynastique (-3500 à -3200), le vin (irep) était initialement un breuvage de luxe réservé à la famille royale et aux grands du Double Pays. La vigne ne fait pas partie de la flore naturelle de l’ancienne Égypte. Le vin fut d’abord importé du Levant, comme le confirment de nombreuses jarres datant de -3300, découvertes dans des tombes princières de la nécropole d’Abydos. L’une d’elles en contenait plus de 700, soit plus de 4 500 litres. 4 C’est dire la crainte d’en manquer. Un siècle plus tard apparaissent les premières jarres de vin élaboré en Égypte, attestant de l’implantation d’un vignoble local, pour les besoins du palais. Des étiquettes d’amphores, porteuses de hiéroglyphes archaïques, confirment l’origine et l’ancienneté de leur précieux contenu.
    Les principales régions viticoles furent d’abord la branche occidentale du delta et les oasis de Siwa, Kharga et Bahariya, dans le désert libyque. Elles produisaient dès le début de l’Ancien Empire des vins renommés. La viticulture est à son apogée au Nouvel Empire, favorisée par le transfert de vignerons venus de Canaan et de Syrie. Elle s’étend alors à la branche la plus orientale du delta, « l’eau de Rê ». L’étiquetage des amphores est d’une remarquable précision :
    - millésime de la vendange (année de règne du pharaon) ;
    - couleur et qualité du vin (blanc ou rouge, bon, très bon, moelleux) ; le shedeh, sorte de vin cuit très alcoolisé, était particulièrement apprécié ; 5
    - noms du vignoble d’origine et de son propriétaire ;
    - nom du vigneron ou du maître de chais.
    De nombreuses scènes funéraires représentent avec force détails les vendanges et l’élaboration du vin : la cueillette sous les treilles, le foulage des grappes dans des cuves en pierre, l’extraction du jus résiduel par la torsion du moût enfermé dans des sacs en lin par des équipes spécialisées, et enfin la mise en jarres pour la fermentation. Certains vieux crus étaient particulièrement estimés. Parmi les 25 amphores à vin découvertes dans la tombe de Toutankhamon, la plupart dataient de son règne, mais l’une d’elles était un grand cru de l’an 31 de son grand-père Amenhotep III. 6

    Les Égyptiens ne manquaient pas d’occasion de s’enivrer. La mythologie ne pouvait que les y encourager. Selon le Livre de la vache du ciel, quand la déesse Sekhmet reçut des dieux la mission d’anéantir le genre humain pour le punir de son arrogance, Rê, pris de remords, sauva l’humanité en enivrant la déesse lionne grâce à une mixture à base de bière teintée d’ocre imitant le sang. Elle en oublia à jamais ses desseins funestes.7
    La civilisation égyptienne a multiplié les jours fériés, et les occasions de boire à satiété : fêtes de famille (mariages, naissances, funérailles) ; fêtes agraires (semailles, moissons, crues) ; fêtes civiles (premier de l’an et débuts de saisons) ; fêtes royales (intronisation, jubilées).
    Pendant les innombrables fêtes religieuses (fête d’Opet et fête de la Vallée notamment), l’ivresse était non seulement de mise mais recommandée comme un signe d’abondance. Toutes les classes de la société participaient à ces agapes ; artisans et paysans profitaient de ces congés pour passer de belles journées à danser, chanter, manger et boire. À la fin du Nouvel Empire, sur trois jours d’activité, un jour était chômé en raison d’une fête religieuse. 8 Les amateurs de banquets sont représentés mangeant et buvant à profusion, divertis par des musiciennes et des danseuses nues ! Les scènes peintes dans les tombes thébaines témoignent de ces beuveries et du désir de l’ivresse.
    Dans la tombe de Paheri à El-Kab, les femmes ne sont pas de reste : l’une d’elles réclame à boire à tue-tête : « Donne-moi dix-huit coupes de vin. Ne vois-tu pas que je désire m’enivrer ? Mon intérieur est sec comme de la paille ».9 Une autre se fait prier, et un serviteur insiste : « Bois jusqu’à l’ivresse et fais un jour heureux ».
    À l’opposé, à partir du Nouvel Empire, des textes comme l’Enseignement d’Ani, incitent à la tempérance et stigmatisent l’ivrognerie : « Ne fais pas d’excès en buvant une grande cruche de bière ! Lorsque tu parles, il sort de ta bouche des mots incompréhensibles. Tu tombes, tu te fractures les membres, et nul ne te tend la main. Tes compagnons de débauche se lèvent et disent : “Qu’on nous débarrasse de cet ivrogne !” Lorsqu’on vient ensuite pour te chercher et te demander conseil, on te trouve couché à terre et tu es comme un petit enfant ».10
    Dans un autre texte (papyrus Anastasi IV), un maître scribe reproche à son élève ses beuveries : « On me dit que tu négliges l’écriture et que tu t’abandonnes au plaisir ; que tu vas de taverne en taverne ; l’odeur de la bière incommode ceux qui t’approchent ; la bière perd les hommes ; elle ruine ton âme. Tu es une rame brisée, dont le bateau n’obéit plus d’aucun côté. Tu es une chapelle sans son dieu, une maison sans pain… Les gens te fuient parce que tu les frappes et les blesses ; tu titubes ; tu t’écroules tout couvert d’immondices ».11
    La morale égyptienne condamnait donc l’ivrognerie, mais pas la divine ivresse : « Bois, enivre-toi, ne cesse pas de faire ce que tu aimes, et que le vin t’advienne comme tu le souhaites… pour que tu passes du bon temps ».12
    Boire abondement était une nécessité liée au climat égyptien. Si l’eau étanchait la soif des plus pauvres, elle n’était pas sans risques sanitaires. Aussi la bière devint-elle dès l’Ancien Empire la boisson quotidienne des Égyptiens. Le vin fut d’abord l’apanage des privilégiés. À l’occasion de nombreuses festivités, bière et vin procuraient à toute la société égyptienne les plaisirs d’une divine ivresse. C’est au temps des Ramsès que l’ivresse se distingue de l’ivrognerie qui conduit à la débauche et perd son caractère festif. 

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  2. Découvrir
    Après un début de carrière de chimiste, Louis Pasteur, alors doyen de l’université de Lille, se concentre sur une des principales applications industrielles de la biologie : la fer
    Le bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur (né le 27 décembre 1822 et mort le 28 septembre 1895) vient d’être célébré.
    Il est intéressant de rappeler la première expérience réalisée par Pasteur, alors élève à l’École normale supérieure (
    Ses premières recherches chez cet inventeur du brome ont été inspirées par plusieurs séries de théories concernant la chimie de l’époque.
    En 1849, Pasteur fut nommé à la faculté de Strasbourg comme professeur suppléant en chimie.
    Les découvertes de Pasteur, remarquées par ses pairs et le gouvernement, lui ont permis une ascension professionnelle et d’être nommé doyen de la nouvelle université de Lille en 18
    Le choix de Pasteur ne devait rien au hasard.
    En découvrant les levures et en rattachant leur fonction à la fermentation, Pasteur montra qu’il savait aussi les cultiver et les sélectionner par une nutrition appropriée, les bou
    Au début de l’année 1873, une place devint vacante à l’Académie de médecine, dans la section des associés libres, et Pasteur, qui s’y était porté candidat, fut élu, à vrai dire à u
    Lorsque Pasteur entra en lice dans le vaste domaine de l’infectieux, le rôle des microbes restait inconnu ou plutôt incomplètement démontré.
    Pasteur n’a pas inventé la vaccination – dont le nom, qui provient de vacca, « vache », fut inspiré des découvertes d’Edward Jenner (1749-1823) sur la prévention de la vario
    À la mort de Pasteur, le 28 septembre 1895, qui fut célébrée à l’unisson de sa gloire, c’est à un pan entier des sciences qu’on devait attribuer ce qui fut appelé la « révolution p
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    Léon Gambetta, homme d’État controversé mais à la notoriété politique immense, meurt à 44 ans, le 31 décembre 1882. Cause accidentelle ou médicalement évitable ?

    L’amateur d’histoire qui souhaiterait aujourd’hui rendre hommage à Léon Gambetta en se recueillant devant ses restes serait bien embarrassé au moment de choisir la destination d

    Lorsque Léon Gambetta meurt le 31 décembre 1882, il a 44 ans et une notoriété politique immense.

    L’autopsie de Gambetta n’allait pas de soi.

    Afin de préparer l’autopsie, une injection de chlorure de zinc est réalisée le soir du 1er janvier 1883 par Jules Talrich, modeleur pour la faculté de médecine.

    Les prélèvements du cerveau, du bras et des intestins obéissent, on le voit, à des logiques scientifiques.

    Les fragments éparpillés de Gambetta ont connu des destins divers.

    Jean-Baptiste Charcot, médecin et explorateur
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    Fils du célèbre neurologue et lui-même médecin, il fut surtout un immense explorateur scientifique des pôles, jusqu’à son naufrage en 1936 à bord du Pourquoi-Pas ?

    Les médecins connaissent bien Jean-Martin Charcot (1825-1893), un des premiers neurologues qui a laissé son nom à la terrible sclérose latérale amyotrophique et à la moins grave maladie de Charcot-Marie-Tooth. Mais les non-médecins connaissent mieux son fils, le commandant Jean-Baptiste Charcot (1867-1936), également médecin mais surtout explorateur. Plus encore que son nom, on connaît son bateau, le Pourquoi-Pas ? Avec lui, Jean-Baptiste initia les premières grandes expéditions polaires françaises du XXe siècle en Antarctique et en Arctique.1, 2

    Dirigé par son père, il commence ses études de médecine. En 1888, il fait son service militaire, en qualité de médecin auxiliaire, au 23e bataillon de chasseurs alpins (en 1902, il sera versé plus logiquement dans la marine de réserve). En 1891, il est reçu à l’internat des Hôpitaux de Paris et s’oriente vers la neurologie avec Jean Babinski. Le 8 juin 1895, il soutient sa thèse, sur l’amyotrophie d’Aran-Duchenne. Il contribue aux descriptions de l’hémiplégie, de l’arthropathie tabétique, de la sciatique paralysante, du saturnisme et de la maladie de Charcot, ce qui le familiarise avec les méthodes scientifiques. Il devient chef de clinique, mais quitte bientôt la clinique pour se consacrer brièvement à la biologie, attaché à l’Institut Pasteur créé dix ans plus tôt.

    Très sportif, il pratique la boxe et l’escrime et surtout le rugby et la voile : en 1880, il organise le premier match de rugby scolaire à XV de l’histoire et sera champion de France de rugby à XV en 1896, puis double médaillé d’argent en voile aux jeux Olympiques de 1900. En 1911, il participera à la création des Éclaireurs de France, un des premiers ­mouvements, laïque, de scoutisme en France.
    Il est persévérant et relève volontiers les défis en disant : « pourquoi pas ? », ce qui donnera le nom de baptême de ses quatre bateaux successifs. Outre ses qualités scientifiques, il est cultivé et cite volontiers Rabelais, avec l’esprit de salle de garde hérité de l’internat. Il est amical, porté à la plaisanterie, même dans les pires situations en mer. On le dira « maître de la glace, du vent et des mers » ou « Polar gentleman » pour Robert Falcon Scott, deuxième à atteindre le pôle Sud et qui est mort au retour. Sans se contenter d’écrire ses propres aventures, il écrira sur ceux qui, comme lui, découvrent de nouveaux mondes, réels (Christophe Colomb) ou imaginaires (Jules Verne).
    L’année de son doctorat, une infirmière meurt en couches en lui donnant une fille. En 1896, il épouse Jeanne Hugo, petite-fille de l’écrivain, qui a divorcé de son ami d’études Léon Daudet. En rentrant en France de sa première expédition en Antarctique, il divorce et s’installe chez sa sœur Jeanne, avec sa fille. En janvier 1907, il se remariera avec la fille d’un célèbre avocat parisien, peintre, qui l’accompagnera souvent dans ses voyages, avec laquelle il aura deux autres filles.

    Plus que médecin et plus que marin, il sera explorateur scientifique (fig. 1). Peu après la mort de son père en 1893, il échappe à son influence et va « s’évader de la médecine »3 pour « chercher ailleurs la célébrité » dont son père lui a donné l’exemple en disant : « Il faut exceller en quelque chose. » Il lui doit sans doute aussi sa passion des voyages : de 16 à 20 ans, il l’a accompagné notamment en Islande, aux Pays-Bas, en Espagne, au Maroc – dont il a gardé une véritable phobie des pays trop chauds – et, en 1891, en Russie comme médecin.
    Déjà au collège il a rédigé les aventures d’un trois-mâts en Patagonie pour un petit journal illustré. Dès 1892, il a acheté un premier voilier, un sloop de 8,30 m sur lequel il a appris à régater. En 1893, il fait construire son premier Pourquoi-Pas ?, un cotre de 19,50 m, par le chantier Bonnin à Bordeaux avec lequel il fait, l’année suivante, une croisière de deux semaines.
    En 1896, il le revend et le remplace par un trois-mâts en bois de 26 m, le Pourquoi-Pas ? II. L’année suivante, une goélette en fer de 31 m, le Pourquoi-Pas ? III, a un moteur à vapeur. Avec lui, Charcot remonte le Nil jusqu’à Assouan. En 1899, il rachète son Pourquoi-Pas ? II, ­auquel un propriétaire intermédiaire a apporté des ­modifications qui le séduisent, et va mener avec lui des observations nautiques, microbiologiques – le médecin biologiste n’est pas loin – et climatiques aux îles Shetland et Hébrides, déjà visitées avec son père, et aux îles Féroé.
    En 1902, il fait une croisière avec son épouse sur une île entre la Norvège et le Groenland. Il revient en Islande et franchit pour la première fois le cercle polaire arctique.

    Avec le prétexte de secourir une expédition au pôle Sud, en août 1903, il part pour la première expédition française en Antarctique – depuis que Dumont d’Urville a découvert la terre Adélie en 1840 – avec Le Français, un trois-mâts goélette de 32 m qu’il a fait construire à Saint-Malo. Arrivé en Terre de Feu en janvier 1904, il étudie les côtes nord et nord-ouest de la terre de Graham, avec une équipe de naturalistes et de géologues qui observent les manchots et effectuent des relevés géographiques. Les moteurs de son navire ne sont pas assez puissants et il doit hiverner à l’île Wandel, premier hivernage d’une expédition scientifique aux Pôles. Début mars 1905, l’expédition rentre avec des objectifs scientifiques dépassés : 1 000 km de côtes découvertes et relevées, trois cartes marines détaillées, 75 caisses d’observations, de notes, de mesures et une collection de photos en stéréoscopie, conservées au musée d’ethnographie de l’université de Bordeaux. Il revend son bateau à la marine argentine.
    Dès 1907, Charcot programme une nouvelle expédition antarctique pour laquelle il fait construire le Pourquoi-Pas ? IV, adapté pour naviguer dans les glaces (fig. 2). En août 1908, ce trois-mâts de 40 m, disposant d’un moteur, de trois laboratoires et d’une bibliothèque, quitte Le Havre pour le sud, vers le détroit de Magellan, Punta Arenas, en commençant par hiverner à l’île Petermann. Inlassablement, Charcot explore l’Antarctique et ses terres vierges. Il découvre de nouvelles terres, donne à l’une le nom de son père, rencontre les hommes des côtes. Cette deuxième expédition polaire rapporte d’importantes données scientifiques, géographiques (cartographie de 2 000 km de côtes), océanographiques (marées, salinité), météorologiques, zoologiques (vie aquatique) et botaniques, en grande partie insoupçonnées, qui seront versées à l’Institut océanographique de Monaco. En juin 1910, plus attentif à la santé de son équipage qu’à la sienne, il est victime du scorbut et revient considérablement affaibli. Comme après son premier hivernage, il rend compte de ce nouvel hivernage au pôle Sud. Ses deux textes seront réunis plus tard en un grand récit d’aventures vécues qui témoigne de l’état de la pensée scientifique française de cette époque.4

    En 1912, le Pourquoi-Pas ? IV devient le premier navire-­école de la marine. En 1914, Charcot est mobilisé dans la marine et affecté à l’hôpital maritime de Cherbourg. En juillet 1915, l’Amirauté britannique lui confie le ­commandement d’un navire construit pour la chasse aux sous-marins. Quand, en 1916, la marine militaire française construit trois navires-leurres contre les sous-marins, il prend le commandement du premier et va circuler pendant deux ans le long des côtes bretonnes et normandes.
    Après la guerre, il assure avec le Pourquoi-Pas ? IV des missions scientifiques dans le golfe de Gascogne, en Manche, dans l’Atlantique nord aux îles Féroé, et en Méditerranée. Il a mis au point du matériel et des méthodes de dragage qui permettent d’étudier la géologie sous-marine. Ses travaux scientifiques le conduiront à cofonder, en 1935, l’Aquarium et musée de la Mer à Dinard (qui deviendra en 2009 le Centre de recherche et d’enseignement sur les systèmes côtiers [Cresco]).

    Atteint par la limite d’âge en 1925, il ne peut plus commander un bateau. Mais il reste à bord du Pourquoi-pas ? IV comme chef des missions vers l’Arctique et la côte orientale du Groenland, dont il rapporte d’abondants fossiles, insectes et plantes. En 1928, une mission part vers le pôle Nord à la recherche de l’explorateur norvégien Roald Amundsen – arrivé le premier au pôle Sud en décembre 1911 et lui-même parti sur un hydravion à la recherche de l’équipage du dirigeable Italia avec lequel le général Umberto Nobile voulait survoler le pôle Nord –, sans succès.
    À partir de 1930, il organise l’Année polaire inter­nationale, notamment l’implantation d’une station de recherche au Groenland en liaison avec les Danois. En 1934, il installe la mission ethnographique de Paul-Émile Victor qui va vivre un an au milieu d’Eskimos. En 1935, il viendra la rechercher en poursuivant la cartographie de ces régions. Sur les côtes d’Islande, Charcot essuie plusieurs tempêtes, obligeant son bateau à regagner Reykjavik pour être réparé. Il en repart le 15 septembre 1936, échappe à un ouragan, mais fait naufrage dans la brume sur des brisants de l’Islande, et coule avec son navire aux côtés de son commandant et de son équipage, dont un seul membre survivra (fig. 3 et 4).

    Cette brillante carrière a été semée d’honneurs. Il préside le Yacht Club de France de 1913 à sa mort. Dans l’armée, mobilisé comme médecin de la marine de première classe, il gravit les différents grades jusqu’à capitaine de frégate dans la réserve, en 1923. Il a terminé la guerre avec les croix de guerre britannique puis française et une citation à l’ordre de l’armée. En 1926, il reçoit le prix Albert de Monaco. Il est élu à l’Académie de médecine, à l’Académie des sciences, au Bureau des longitudes et à l’Académie de marine. Tous ses exploits lui ont valu les titres de chef des missions polaires et de grand officier de la Légion d’honneur (1934). Pour finir, avec l’équipage du Pourquoi-Pas ?, il a droit à des funérailles nationales à Notre-Dame de Paris. Son nom sera donné à une baie de l’Antarctique, à de nombreux établissements de marine ou d’enseignement, à des navires et à d’innombrables rues. 

    Le service de santé des armées ou trois siècles d’histoire
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    L’histoire du service de santé des armées résulte d’adaptations incessantes aux besoins des armées elles-mêmes imposées par les événements de l’histoire du pays.

    Le service de santé des armées (SSA) est une institution dont la mission est le soutien médico-chirurgical des forces armées françaises en métropole et en opérations extérieures (Opex). Son histoire s’étend sur plus de trois siècles qui ont vu la constitution d’une structure résiliente se divisant en cinq composantes :1
    – la médecine des forces qui est le pivot du soutien des combattants ;
    – la médecine hospitalière qui garantit une chaîne de soins complète et autonome tout en participant à la ­mission de service public ;
    – le ravitaillement sanitaire qui assure la conception, la production et l’approvisionnement des produits indispensables à la délivrance des soins ;
    – la recherche, qui permet de répondre aux besoins ­spécifiques des armées ;
    – la formation, qui assure le renouvellement, l’adaptation et donc la pérennité de ce système.
    Toutefois, la mise en place d’une telle ossature ­nécessita le travail et le dévouement de nombreux ­médecins, chirurgiens, pharmaciens, infirmiers et autres personnels du service de santé. La maturation de la médecine militaire s’est faite au gré de périodes de rayonnement, mais aussi de périodes difficiles nécessitant une évolution permanente du service.

    L’édit royal du 17 janvier 1708 porta la création des ­médecins et chirurgiens des armées.2 Cet édit signé par Louis XIV est considéré comme l’acte de naissance de la médecine militaire française. Il assure l’entretien permanent de cadres (médecins et chirurgiens) responsables de la ­gestion d’un service de santé. Avant cette décision, deux précurseurs avaient déjà mis en avant le soutien sanitaire aux forces armées.
    Un siècle plus tôt, en 1597, au siège d’Amiens, le duc de Sully, ministre d’Henri IV, s’était attaché au perfectionnement de l’intendance et des services de l’armée royale.3 Il mit en place des hôpitaux sédentaires, situés dans les places fortes, et des hôpitaux ambulatoires dont le rôle était de suivre le mouvement des armées. Il participa également à la création de la Maison royale de la Charité chrétienne du faubourg Saint-Marceau à Paris ; 70 ans avant l’hôtel des Invalides, cette maison fut la première institution de retraite destinée aux ­vétérans.4 Malheureusement, ces avancées ne furent pas confirmées sous la régence de Marie de Médicis ­intervenue en 1610. La Maison royale de la Charité fut dissoute moins de dix ans après sa création.
    L’arrivée au pouvoir de Richelieu donnera un nouvel élan à la prise en charge sanitaire des armées. ­Celui-ci imposa, pendant la campagne d’Italie de 1624, la présence d’hôpitaux ambulatoires comprenant médecins, chirurgiens et pharmaciens. Les conflits des XVIIe-XVIIIe siècles réaffirmèrent la nécessaire présence d’hôpitaux provisoires en marge des combats. Cependant, ces hospices situés dans les villes voisines ne ­permettaient pas une prise en charge immédiate des blessés, et il n’existait pas encore de système de ramassage perfectionné.
    L’édit de 1708 est donc la concrétisation de plus d’un siècle de démarches pour la création d’un service médical permanent. Par la suite, plusieurs ordonnances, dont celle du 20 juillet 1788 organisèrent le service en hôpitaux ambulants, sédentaires et ­intérieurs prenant successivement en charge les blessés (fig. 1). Un véritable ­parcours de soins était ainsi déterminé, première étape vers l’organisation actuelle des secours au combat allant du rôle 1 (poste médical avancé) au rôle 4 ­(hôpital d’instruction des armées).

    La Révolution provoqua de profonds bouleversements au sein du service de santé des armées. L’enrôlement massif de soldats pour faire face à la Première coalition amena au recrutement hâtif de médecins et chirurgiens dont le niveau de compétence était variable.5 D’une part, parce que l’étude de la médecine en France, bien que réglementée par l’édit de Marly de 1707, manquait d’uniformité et de contrôle. D’autre part, parce que, du fait de la nécessité de recruter en urgence plusieurs milliers de chirurgiens, les praticiens candidats au service dans les armées ne devaient justifier que d’un an d’études médicales. Ces jeunes chirurgiens allaient être confrontés à une difficulté majeure de l’époque, celle de la prise en charge des blessés au sein même du champ de bataille, puisque les ambulances de l’époque ne permettaient d’apporter les premiers soins qu’après la fin des affrontements.
    Dominique Larrey (1766-1842), alors chirurgien aide-major à l’armée du Rhin, reconnut rapidement cette carence de formation au sein du personnel chirurgical (fig. 2). Pour corriger cette lacune, il établit des séances d’enseignement à l’anatomie et à la chirurgie à chaque prise de stationnement de l’armée. Il révolutionna aussi l’évacuation sanitaire en mettant au point le concept d’« ambulance volante ».6 Ce concept allait ­permettre de porter secours aux blessés au plus proche des combats et dans les meilleurs délais. Cette ambulance fut perfectionnée et arriva à maturité durant la campagne d’Italie. Elle comprenait alors un total de 340 hommes répartis en trois divisions. Chacune d’elle regroupant quinze chirurgiens (dont deux tenant le rôle de pharmaciens), douze voitures légères et quatre voitures pesantes. Cette « centurie », comme l’avait surnommée le baron Percy, avait l’avantage d’être facilement morcelable en unités indépendantes mobiles s’adaptant aux contraintes tactiques et au terrain.
    Pierre-François Percy (1754-1825), futur chirurgien en chef de la Grande Armée, participa aussi à l’amélioration de la mobilité des chirurgiens. Il mit au point une voiture, le « würst », ­capable de transporter sur le terrain huit chirurgiens, leurs infirmiers et le matériel opératoire. Il fut aussi à l’origine de la ­création des premières compagnies d’in­firmiers, appelés en 1813 les « despotats » de l’Empire. Chirurgien expérimenté avant tout, il fut le premier à réaliser une résection de la tête humérale et conçut le « tribulcon » ou tire-balle de Percy.
    Sur le plan médical, les longues guerres révolutionnaires puis napoléoniennes confrontèrent les armées françaises à de nombreuses épidémies. C’est dans ces conditions que s’illustra René Nicolas Desgenettes (1762-1837). Pour lutter contre le typhus et la peste, il fut un grand défenseur des mesures d’hygiène et de prophylaxie afin de limiter l’apparition des pathologies infectieuses.
    Ces trois barons de l’Empire, dont le nom est gravé sur l’arc de Triomphe, illus­trent le mieux l’engagement des médecins et chirurgiens des armées de cette époque.

    La transition entre la Seconde République et le Second Empire fut une période difficile pour le service de santé des armées. Depuis 1850 et la fermeture des hôpitaux militaires d’instructions de Lille, Metz, Strasbourg et Toulon, les médecins étaient recrutés parmi les civils diplômés à la sortie des études, puis envoyés en formation militaire pendant un an à l’école d’application du Val-de-Grâce.7
    Le désastre sanitaire de la guerre de Crimée (1853-1856) et de la bataille de Solférino (1859) soulignèrent à la fois un cruel manque d’effectif ainsi que le besoin d’améliorer la qualité de ce modèle de formation. La réforme du service de santé porta notamment sur la création d’écoles et l’acquisition de l’autonomie vis-à-vis de l’intendance. L’École impériale du service de santé militaire de Strasbourg fut créée en 1856 pour l’armée de terre, mais elle fut précocement fermée à la suite de la guerre franco-­prussienne. En 1888, l’École du service de santé militaire de Lyon ouvrit ses portes. À cette date, la Marine disposait encore des trois écoles de médecine navale des ports de Rochefort, Brest et Toulon. Elles perdront leur rôle de formation initiale au profit de la nouvelle école principale du service de santé de la marine qui s’ouvrira à Bordeaux en 1890 et que l’on appellera vite « Santé navale ».
    Jusque-là intégré à l’intendance, le service de santé des armées acquit son autonomie en 1889. Cette décision qui intervint après plus d’une décennie de débats houleux allait enfin permettre au personnel médical d’avoir autorité sur ses propres ressources.

    Cette période est aussi celle de la médecine pionnière du Second Empire colonial français qui sort du cadre de cet article. Initialement dévolue aux médecins de la marine exerçant dans les ports des colonies, il devint vite évident que la médecine d’outre-mer nécessitait une indépendance de formation et d’organisation.8 Pour cela est créé en 1890 le « corps de santé des colonies et pays de protectorat » par scission avec le corps de santé de la Marine. En 1905 est fondée l’école d’application du service de santé des troupes coloniales ou « École du Pharo » à Marseille.

    Comme chaque grand conflit, la Première Guerre mondiale ébranla les doctrines sanitaires préétablies. Les guerres russo-japonaises et des Balkans avaient amené à l’élaboration du « règlement sur le service de santé en campagne » de 1910.9 Celui-ci érigeait en principe l’évacuation rapide de tous les blessés transportables vers les hôpitaux de l’intérieur. Seuls les blessés gravement atteints devaient être gérés sur place. Ce schéma d’action incitait à privilégier l’équipement des structures de soins de l’arrière au détriment de la médecine de l’avant.
    Il dérivait toutefois d’un axiome incorrect. Les blessures générées par les armes à feu modernes étaient communément considérées comme « propres » et ne devaient pas nécessiter d’interventions chirurgicales lourdes. Malheureusement, l’utilisation massive de l’artillerie allait modifier le profil des lésions rencontrées. Les trois quarts des blessures de la Grande Guerre furent secondaires à des éclats.10 Les délabrements ­engendrés par les blasts et les lésions multiples secondaires aux shrapnels provoquaient des entailles à orifice large et à haut risque de surinfection.
    L’afflux des blessés dès les premiers mois de la guerre conduisit à un désastre sanitaire et satura rapidement les moyens de santé. Cela amena le service de santé des armées à repenser sa stratégie :10 celle-ci passa en premier lieu par une restructuration de la chaîne d’évacuation. Des postes de secours avancés furent ­établis dès que la guerre devint statique. Ces postes installés juste derrière la ligne de front étaient le premier arrêt pour les brancardiers transportant les blessés. Après avoir reçu les premiers soins (bandage, contrôle des hémorragies) et reçu une fiche médicale de l’avant, les hommes étaient transférés par voie motorisée vers les ambulances (divisionnaires ou de corps d’armée) situées hors de portée de l’artillerie. Là, les plaies étaient débridées et les fractures stabilisées. Enfin, les blessés ne pouvant récupérer rapidement étaient orientés vers des hôpitaux d’évacuation (nommés hôpitaux d’origine d’étapes [HOE]) situés à proximité des voies ferroviaires (fig. 3 et 4). Le concept de triage médico-chirurgical fut pour la première fois systématisé. À chaque étape de l’évacuation, l’indication d’une chirurgie en urgence était réévaluée avec l’aide de la radiologie. Dans un souci d’efficacité, il apparut aussi nécessaire de créer des trajectoires de soins spécialisées pour les pathologies les plus courantes. Des services dédiés à la gestion des fractures articulaires et de leurs complications, des ­atteintes stomatologiques ou des lésions liées aux ­attaques chimiques furent mis en place. Enfin, il fut ­admis que la présence de médecins au sein des états-­majors était nécessaire pour une planification correcte du soutien sanitaire des opérations.
    La sévérité du conflit favorisa l’émergence de nouvelles thérapeutiques. L’emploi de l’eau de Dakin pour désinfecter les plaies, promu par Alexis Carrel, fut implémenté par le service de santé des armées dès 1916. Il permit de limiter la gangrène gazeuse à une époque où la seule alternative était l’amputation.* Les premières techniques de chirurgie réparatrice au profit des « gueules cassées » se développèrent (fig. 5). Les atteintes du visage représentaient en effet 10 % de l’ensemble des blessures. Les greffes ostéopériostiques jusque-là utilisées en chirurgie des membres furent employées pour corriger les difformités faciales.11 Les lésions engendrées par les armes chimiques (gaz chlorés, ypérite...) laissaient des séquelles pulmonaires à type d’emphysème et de bronchites asthmatiformes. Pour lutter contre ces syndromes, la kinésithérapie respiratoire et l’oxygénothérapie furent développées.
    Le service de santé des armées sut s’adapter aux nouvelles conditions de l’exercice guerrier et sortit grandi du conflit. Son efficacité sur le terrain fut fortement saluée par les armées alliées.

    La défaite des armées françaises en 1940 prit le service de santé des armées de court. Le manque de mobilité des structures sanitaires les rendit inadaptées à la guerre éclair menée par l’Allemagne, et elles tombèrent rapidement aux mains de l’adversaire. C’est au sein des forces françaises libres que le service sanitaire put se reconstituer. La nouvelle armée française intégrée au dispositif allié dut cependant respecter le modèle militaire américain. La doctrine des États-Unis accordait une place importante au soutien du combattant. Le « tooth-to-tail » (ratio non-combattant/combattant) de l’armée américaine était de 1,6 pour 1 sur le théâtre d’opérations européen.12 Ainsi, en 1945, la 1re Armée française Rhin et Danube commandée par le maréchal de Lattre de Tassigny disposait pour chaque division combattante d’un bataillon médical capable de réaliser le triage médico-chirurgical et le traitement initial des blessés. L’ensemble de l’armée était soutenu par plusieurs formations chirurgicales mobiles, neuf hôpitaux d’évacuation et trois hôpitaux de campagne qui assuraient la continuité de la prise en charge.13
    En métropole, malgré l’occupation, le service de santé parvint à continuer son développement. L’essor de l’aviation nécessitait des centres d’expertises avec des personnels formés à la médecine aéronautique. Le service de santé de l’air (initialement commun aux milieux civils et militaires) fut créé en 1940 sous la ­direction du médecin général Goett (1886-1979).14
    L’évacuation sanitaire aérienne, tentée de manière infructueuse pendant la Première Guerre mondiale, prit son envol durant la Seconde. Déjà durant l’entre-deux-guerres, le Dr Chassaing (1876-1968) et le médecin principal Robert Picqué (1877-1927) avaient chacun promu l’emploi de l’aviation pour le rapatriement des blessés notamment lors de la colonisation du Maroc.15 Durant la guerre du Pacifique, l’armée américaine utilisa l’aviation pour transporter les blessés depuis le champ de bataille ou les hôpitaux de l’avant vers les structures de l’intérieur. Ce concept séduisit le médecin colonel Raoul Chavialle (1897-1991), alors directeur du service de santé de la 4e division marocaine de montagne, qui milita pour l’importer sur le front européen. Il mit en avant l’utilisation des avions sanitaires légers Piper HE-1 pour le transport des blessés durant la campagne d’Italie.
    La Seconde Guerre mondiale fut une période de grande avancée sur le plan médical. Les connaissances sur la physiopathologie des états de choc furent approfondies, et on réalisa les premiers remplissages vas­culaires. La transfusion sanguine prit son essor avec la création par les Britanniques et Américains des premières banques de sang. L’antibiothérapie se répandit à la suite de la découverte de la pénicilline et surtout de l’utilisation large des sulfamides durant le conflit.

    Les guerres de décolonisation ont marqué une transition entre les engagements organisés de la Seconde Guerre mondiale et les conflits dissymétriques modernes (tactiques relevant de la guérilla, vastes zones géographiques à contrôler). Ces combats éprouvants coûtèrent la vie à 57 médecins durant la guerre d’Indochine et 49 durant la guerre d’Algérie.8 Chaque bataillon (environ 1 000 hommes) se voyait affecté d’un médecin, parfois d’un jeune lieutenant récemment sorti de l’école.
    Les formations chirurgicales créées au cours du dernier conflit mondial furent allégées. On développa des « antennes chirurgicales mobiles » et des « antennes chirurgicales parachutables ». Celles-ci, plus mobiles, avaient pour mission la stabilisation des blessés urgents et leur conditionnement en vue d’une évacuation. Le transport du blessé vers un hôpital restait une mission difficile, en particulier en Indochine. L’évacuation aéroportée amena une solution partielle à cette situation. L’usage nouveau de l’hélicoptère permit l’extraction rapide des blessés dans les zones les plus reculées.
    Le service de santé des armées continua sa perpétuelle mutation qui suivit celle de la défense, réunis en un seul ministère en 1948. Les différentes composantes de direction (terre, mer, air et troupes de marine) fusionnèrent au début des années 1960. D’autres restructurations permirent une autonomisation de plus en plus marquée du service. Ces réformes aboutirent à terme à faire du service de santé et de ses écoles un service interarmes.

    La doctrine militaire évolua à la fin du XXe siècle avec la chute du bloc de l’Est et la fin de la Guerre froide. Les conflits modernes sont devenus régionaux et consistent en des missions de maintien de la paix ou d’interposition au profit de l’ONU ou de l’OTAN. L’armée doit désormais disposer d’unités militaires bien équipées, rapidement projetables hors métropole, bénéficiant d’un soutien médical mobile. C’est dans ce contexte qu’est décidée la fin du service national en 1997, car celui-ci ne répondait plus aux besoins de la défense nationale. Cette décision s’accompagna d’une importante baisse des effectifs du service de santé (un tiers des personnels étaient issus du contingent) ; mais cette baisse est à mettre en parallèle avec une forte réduction de sa patientèle.16
    La qualité des soins dispensés aux militaires est aujourd’hui une priorité. La couverture médicale des malades et blessés se doit d’être identique à celle de la métropole. Le concept de médicalisation de l’avant est devenu la pierre angulaire de la stratégie sanitaire du service de santé des armées.17 Ce concept découle du constat suivant : 90 % des décès au combat surviennent dans les 30 minutes suivant la blessure. Les principales causes de décès sont le choc hémorragique, l’obstruction des voies aériennes et le pneumothorax compressif.18 Une prise en charge rapide est donc nécessaire. Le « damage control» est le nouveau mot d’ordre du ­sauvetage au combat. Celui-ci implique différents ­intervenants successifs : les combattants eux-mêmes sont chargés de la mise en sécurité du blessé et de la pose d’un garrot tactique ; les auxiliaires sanitaires réalisent les gestes d’urgence fondamentaux ; le binôme infirmier-médecin est responsable de l’ensemble du « combat damage control» ; et l’équipe médico-chirurgicale de proximité réalise au plus tôt les gestes chirurgicaux salvateurs.19, 20 On trouve dans cette organisation de nombreuses similitudes avec la traumatologie préhospitalière civile. Toutes deux respectent la règle de la « golden hour », qui vise à délivrer les soins d’urgence au blessé et à le transporter en moins d’une heure vers une équipe chirurgicale.
    Les hôpitaux d’instruction des armées sont actuellement au nombre de huit. Parmi eux, deux sont des « trauma-centers » de niveau 1. Ils assurent l’accueil, la prise en charge médico-chirurgicale et la réadaptation des personnels rapatriés depuis les théâtres d’Opex. Ils constituent une réserve de personnels projetables en opération, comme ce fut le cas lors de l’épidémie Ebola (2013-2015). Ils peuvent participer au soutien médical de la population civile en cas de crise sanitaire, comme l’actuelle épidémie de coronavirus (Covid-19). Ils fournissent des expertises spécialisées au bénéfice de la médecine des forces en métropole ou en Opex. Enfin, ils permettent aux personnels du service de santé d’entretenir leurs compétences tout en participant à l’offre de soins nationale. Ces structures ont accueilli en leur sein de prestigieux praticiens. Parmi eux, on citera le médecin général inspecteur Jean-Étienne Touze (1949-2018), dont les travaux en pathologie infectieuse et en cardiologie ont notamment permis de cerner les effets indésirables cardiaques des antipaludéens.

    Précédée par des textes d’organisation antérieurs et notamment l’Ordonnance de Colbert sur la marine marchande en 1681, la Grande Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales et les arsenaux de la Marine est le texte fondamental de l’organisation de la Marine. Il en décrit tous les aspects, notamment celui de son ­service de santé : chirurgien navigant, « apothicaire », hôpital à la suite des armées navales, hôpitaux des ports et écoles de médecine et chirurgie des ports. Sur ce socle se construit une histoire médicale et scientifique particulièrement riche.
    Ces médecins, pharmaciens, infirmiers de marine ont lutté contre les grandes épidémies qui ravageaient les équipages et les ports, contre le scorbut, la dysenterie et se sont révélés de grands hygiénistes. Certains ont fait partie au XIXe siècle des grandes navigations de ­découverte enrichissant les connaissances de la géographie, de la flore, de la faune et du peuplement de notre planète. Ils en furent récompensés par des améliorations statutaires comme l’acquisition d’un statut militaire pour les médecins et pharmaciens en 1835, et aidés par la création d’un corps d’infirmiers en 1850. Ils furent les premiers responsables du service de santé au sein des colonies. Enfin, de nombreux chirurgiens issus des écoles de médecine navale, dont le baron Dominique Larrey, s’illustrèrent ensuite dans l’armée de terre.
    Certains de ces médecins exercèrent sur des ­navires-hôpitaux, dont le rôle fut défini en 1689 par ­l’ordonnance du roi Louis XIV pour les armées navales. Ils assurèrent initialement le soutien de la flotte, à raison d’un navire-hôpital pour dix navires.21 Leur rôle a depuis grandement évolué selon la période et les besoins. Ils furent tantôt utilisés comme hôpitaux mobiles dans les colonies, tantôt comme des vaisseaux de transport pour blessés et malades. Ils eurent un rôle crucial au cours de la Grande Guerre pour le rapatriement des blessés de l’armée française d’Orient. Aujourd’hui plusieurs bâtiments de la marine possèdent des capacités sanitaires comparables à celles d’un hôpital. Les porte-­hélicoptères amphibies disposent notamment d’une salle de triage des blessés, d’une tomodensitométrie et de deux blocs opératoires, complétés par une capacité d’hospitalisation minimale de 69 lits, dont des lits de soins intensifs (fig. 6). Ces bâtiments de projection ­permettent de disposer d’un complexe médico-chirurgical comparable à celui de la métropole au plus proche des zones de conflit.

    Riche d’une histoire de trois siècles, le service de santé des armées françaises est une institution en perpétuelle mutation qui a dû s’adapter constamment à l’évolution des armées et de ses besoins sanitaires en temps de paix et de guerre. Son organisation actuelle résulte d’une profonde réflexion et d’une remise en cause organisationnelle qui garde comme objectif la très belle devise de l’actuelle École de santé des armées : « Mari transve mare, pro patria et humanitate, hominibus semper ­prodesse » (Sur mer et au-delà des mers, pour la patrie et l’humanité, toujours au service des hommes). Les événements récents ont montré la nécessité d’anticiper les conflits et de se tenir prêt à soutenir la Nation dans la lutte contre un ennemi viral, domaine de compétence qui est aussi le sien.

    Féminicide et violences contre les femmes en Provence au XIXe siècle
    Découvrir

    Le confinement a exacerbé les violences contre les femmes, dont les racines sont bien lointaines…

    Les violences sur les femmes et en particulier les violences mortifères sur conjointe, qu’elles portent ou non l’appellation nouvelle (2015) de « féminicide », occupent aujourd’hui bien des pages de journaux et suscitent de nombreuses manifestations de rue. Le problème s’est aggravé dans le contexte de confinement imposé par la pandémie liée au nouveau coronavirus, le Sars-CoV-2 ; et la médiatique Marlène Schiappa (secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations) a alerté sur le risque de violences conjugales durant le confinement. Or la tradition religieuse de l’ex-voto fait connaître quelques images de tels crimes, dont deux catalogués dans un ouvrage d’histoire de l’art religieux publié en 2014 par Gilles Sinicropi.1

    Le plus impressionnant de ces tableautins religieux a été offert en 1870 par un certain Chauve au sanctuaire marial de Pégomas (Alpes-Maritimes) [fig. 1]. Entre la mer et les collines de Grasse, la région, arrosée par la Siagne et la Mourachonne, est plantée d’oliviers, de vignes et d’arbres fruitiers mais aussi de mimosa, de jasmin et de plantes aromatiques.
    La scène qui figure sur un carton de 54,5 x 50 cm (photographie p. 128 du Catalogue cité-ci-dessus) ne rappelle guère ce cadre enchanteur bien que l’un des protagonistes soit un vigneron. Elle se passe de jour, dans une pièce dont la fenêtre ouvre sur un paysage ensoleillé, montagneux et verdoyant, et un bâtiment à la toiture de tuiles provençales. Trois personnages y figurent en action, deux hommes et une femme. Celle-ci, ensanglantée, s’accroche de la main gauche à l’un des rideaux blancs de la fenêtre, et de la main droite s’appuie sur une commode ; faisant face au spectateur, elle s’affaisse, ensanglantée du cou jusqu’au bas de sa robe ; même le sol, en tuiles vernissées rouges, est inondé. Il semble qu’elle soit chaussée (du moins à droite).
    La flaque de sang va jusqu’aux pieds d’un homme qui tourne le dos au spectateur, mais dont on voit le profil, entre deux abondantes flaques de sang ; il est vêtu seulement jusqu’aux genoux d’une chemise blanche ensanglantée à droite et il est pieds nus ; il tient de la main droite une serpette de vigneron qui menace la joue gauche du troisième personnage, nu-tête, normalement habillé et chaussé, attaqué par le furieux. Sa joue gauche saigne jusqu’au côté gauche de son habit, veste et pantalon ; blessé à l’épaule gauche, il tient quand même fermement le bras droit du « forsené ».
    Que s’est-il passé ? Nous avons la chance de disposer d’un texte du journal Le Commerce daté du 20 mars 1870 : « Jeudi matin, le bruit se répandait dans la ville qu’un triple assassinat avait été commis à Pégomas, et cette nouvelle malheureusement trop exacte venait mettre en émoi notre population peu habituée à voir commettre dans son sein de pareils forfaits. Voici sommairement ce qui s’était passé : à la suite d’une querelle de ménage, conséquence habituelle de ses emportements, le sieur Honoré Chauve, jardinier à Pégomas, homme d’une ­violence et d’une irascibilité extrêmes, s’est emparé d’une serpette de poche servant à la taille des jasmins, et au moyen de cette arme dangereuse, il a littéralement égorgé sa femme et deux de ses petites filles, l’aînée et la dernière ; la cadette n’a dû son salut qu’à un concours providentiel de circonstances. Un de ses proches voisins, le sieur Raymond Chauve, que les cris des victimes avaient attiré, a engagé courageusement avec l’assassin une lutte dans laquelle il a été lui-même blessé de plusieurs coups de couteau, heureusement sans gravité. Le parquet, averti de cet attentat, s’est immédiatement transporté sur les lieux pour procéder aux constatations d’usage. M. le Commissaire de police de Grasse aidé de la gendarmerie avait déjà arrêté le meurtrier, malgré la résistance désespéré (sic) qu’il a opposée aux agents de la force armée. Ceux-ci n’ont pu le réduire qu’en le menaçant de faire usage de leurs armes. L’émotion produite par ce crime odieux a été grande dans notre ville, et la charrette qui, jeudi soir, amenait ici le prisonnier, a dû, aux abords de la maison d’arrêt, se frayer un passage à travers les rangs épais d’une foule silencieuse et profondément impressionnée. »
    Un alcoolisme chronique est probable chez le mari, vu sa violence connue de tous ; si nous ne savons pas l’heure du drame, on constate qu’il fait grand jour, et probablement déjà chaud dans les vignes ; et d’après le récit, les enfants, qui ne sont pas à l’école, devraient y être. De telles scènes de ménage violentes sont fréquentes et favorisées par la consommation d’alcool, et dans cette famille le malheur veut que le père de famille soit habituellement armé pour l’exercice de son métier : la serpette professionnelle s’est transformée en une arme par destination. Honoré Chauve, jardinier, frappe sa femme à la gorge, puis égorge aussi, dit la presse, deux de leurs filles. Seule la cadette échappe à la mort grâce à l’intervention de Raymond Chauve, voisin et probablement parent, venu en entendant les cris. Blessé lui-même à l’oreille, il en réchappe grâce à la Vierge, et c’est lui qui fait peindre l’ex-voto.

    Mais remontant le cours du XIXe siècle, nous rencontrons un autre cas de violence pathologique, sur un tableau montrant une tentative avortée d’assassinat sur conjoint en août 1848 (toile de 33 x 24 cm) [fig. 2 et 3]. Très joliment vêtue d’un costume provençal soigné, Françoise Camme, qui n’a oublié ni son ravissant châle traditionnel de dentelle blanche ni sa coiffe tuyautée, fait très calmement face au spectateur, dans une attitude peu naturelle. La miraculée se présente de face, légèrement souriante, la poitrine offerte, dans l’encadrement d’une porte ­intérieure, ouverte, de façon peu naturelle, comme pour montrer son innocente pureté, tandis que le mari est accroupi à gauche dans une encoignure, tenant des deux mains son fusil dressé… C’est au-dessus de lui (et non de la présumée victime) que trône, dans des nuages blancs et pommelés, une belle Vierge à l’enfant, le ­personnage le plus grand de ce trio. Le prolongement vers le haut de la ligne gauche du cadre de la porte ­intérieure isole ainsi l’homme à la Vierge : le fou, meurtrier par intention, recroquevillé, accroupi contre le mur, rumine le crime qu’il a eu l’intention de commettre mais ne commettra pas, et son fusil est d’ailleurs dirigé non vers sa femme mais vers le haut, sans visée précise. Le tableau ne propose aucune cause à cette fureur meurtrière ; la prostration du malheureux – qui d’ailleurs n’a encore rien fait de répréhensible – s’oppose à ­l’angélisme ostentatoire de l’épouse, à sa candeur ­proclamée, comme si le rectangle de la porte de communication était un cadre destiné à la mettre en valeur, faisant apparaître un tableau dans le tableau, et suggérant un couple pathologique ; la présence d’une magnifique Vierge à l’enfant au-dessus de l’homme, ce qui coupe verticalement le tableau en deux, laisse entendre que par la protection qu’elle lui confère, elle l’a empêché de commettre l’irréparable, le déresponsabilisant en quelque sorte.

    Le plus ancien des ex-voto de cette sélection, parti­culièrement vivant et dramatique, daté du 9 février 1817, nous fait revenir à Notre-Dame-du-Château, en sa chapelle d’Allauch (fig. 4). Il frappe d’emblée par les couleurs sombres de l’effrayant face-à-face nocturne des deux protagonistes, l’homme vu du côté gauche, marchant vers la femme tournée du côté droit ; c’est au-dessus d’elle que cette fois (comme sur le n° 1) trône la Vierge, la désignant comme le personnage positif de ce drame conjugal saisissant : Claire Michel, ensanglantée, fait face à son mari, Joseph Roubin, tous deux en tenue de nuit. Et pieds nus. On peut dire que le troisième personnage est une arme par destination (comme la serpette du cas n° 1) : le rasoir ; cet instrument du destin est même dupliqué, car le premier a été cassé dans la violence et a été jeté au pied du lit conjugal, dont les draps sont repoussés, alors qu’un bénitier éclatant de blancheur semble faire écho à la présence de la Vierge au-dessus de la victime. En tout cas, la malheureuse, dont les vertus domestiques sont attestées par le bon ordre de l’armoire à linge, figure dans le tiers gauche de l’image, blessée au cou et au visage, et s’est réfugiée derrière la porte de la chambre, qu’elle essaie de garder fermée pour que le forcené ne puisse pas ­sortir, et la frapper de nouveau.
    Le langage de l’inscription montre qu’il s’agit d’un couple plutôt fruste : « ex-voto de Claire Michel que son mari Joseph Roubin voulait assassiner avec un rasouar qui cassa dans la main de sa femme en se détendant dont la malheureuse en reçu trois coups il fut en chercher un autre pour l’achever dans cet espace elle se recommanda a la sainte vierge quelle lui donna leureuse idée de sortir de la chambre et de fermer son mari dedans, en crian au secour dont on vint desuite ; peinier le 9 février 1817 ». Mais si le rendu artistique n’est pas excellent, la composition est subtile.
    Dans ce drame privé, Claire a échappé à la mort, mais on ne sait pas exactement ce qui s’est passé entre ces époux en vêtements de nuit. Le dispositif iconique indique que le coupable est le mari, qui a mis le lit de travers dans la chambre et éparpillé des objets au sol : c’est la fin d’une histoire conjugale dont la faute semble revenir au mari, qui confirme ses intentions homicides du geste du rasoir brandi dans sa main droite, un premier rasoir étant devenu hors d’usage, jeté par terre et tombé juste au-dessous du bénitier de la chambre, à côté d’une tasse, ce qui semble exclure un drame de l’alcoolisme. La femme est tout entière tendue dans une attitude de défense, repoussant la porte intérieure d’un cagibi ou d’un placard, juste au-dessous de l’image sainte de Notre-Dame d’Allauch, qui la protège. Avec l’homme armé se dessine ainsi un rectangle dramatique, tableau dans le tableau (comme dans le cas précédent), sous l’œil de la Vierge trônant dans les nuages. Dans la moitié droite éclate la blancheur du bénitier qui annonce la signification globale de l’histoire.

    Dans les trois tableaux religieux ci-dessus examinés, on est frappé par la présence bien affirmée d’une Vierge salvatrice qui choisit son camp. Il n’est pas question d’insister sur une interprétation religieuse de ces drames conjugaux, mais c’est un devoir d’historien que de diffuser le message actuel de ces faits divers du passé et de demander au lecteur d’en signaler d’autres qui montrent leur permanence, en un temps de réac­tivation de conduites anciennes, selon l’ambiance ­historique, générale et privée (aujourd’hui la période de confinement) et éclairent sur les enjeux et les valeurs véritables de l’existence. 

    Féminicide et violences contre les femmes en Provence au XIXe siècle
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    Le confinement a exacerbé les violences contre les femmes, dont les racines sont bien lointaines…

    Les violences sur les femmes et en particulier les violences mortifères sur conjointe, qu’elles portent ou non l’appellation nouvelle (2015) de « féminicide », occupent aujourd’hui bien des pages de journaux et suscitent de nombreuses manifestations de rue. Le problème s’est aggravé dans le contexte de confinement imposé par la pandémie liée au nouveau coronavirus, le Sars-CoV-2 ; et la médiatique Marlène Schiappa (secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations) a alerté sur le risque de violences conjugales durant le confinement. Or la tradition religieuse de l’ex-voto fait connaître quelques images de tels crimes, dont deux catalogués dans un ouvrage d’histoire de l’art religieux publié en 2014 par Gilles Sinicropi.1

    Le plus impressionnant de ces tableautins religieux a été offert en 1870 par un certain Chauve au sanctuaire marial de Pégomas (Alpes-Maritimes) [fig. 1]. Entre la mer et les collines de Grasse, la région, arrosée par la Siagne et la Mourachonne, est plantée d’oliviers, de vignes et d’arbres fruitiers mais aussi de mimosa, de jasmin et de plantes aromatiques.
    La scène qui figure sur un carton de 54,5 x 50 cm (photographie p. 128 du Catalogue cité-ci-dessus) ne rappelle guère ce cadre enchanteur bien que l’un des protagonistes soit un vigneron. Elle se passe de jour, dans une pièce dont la fenêtre ouvre sur un paysage ensoleillé, montagneux et verdoyant, et un bâtiment à la toiture de tuiles provençales. Trois personnages y figurent en action, deux hommes et une femme. Celle-ci, ensanglantée, s’accroche de la main gauche à l’un des rideaux blancs de la fenêtre, et de la main droite s’appuie sur une commode ; faisant face au spectateur, elle s’affaisse, ensanglantée du cou jusqu’au bas de sa robe ; même le sol, en tuiles vernissées rouges, est inondé. Il semble qu’elle soit chaussée (du moins à droite).
    La flaque de sang va jusqu’aux pieds d’un homme qui tourne le dos au spectateur, mais dont on voit le profil, entre deux abondantes flaques de sang ; il est vêtu seulement jusqu’aux genoux d’une chemise blanche ensanglantée à droite et il est pieds nus ; il tient de la main droite une serpette de vigneron qui menace la joue gauche du troisième personnage, nu-tête, normalement habillé et chaussé, attaqué par le furieux. Sa joue gauche saigne jusqu’au côté gauche de son habit, veste et pantalon ; blessé à l’épaule gauche, il tient quand même fermement le bras droit du « forsené ».
    Que s’est-il passé ? Nous avons la chance de disposer d’un texte du journal Le Commerce daté du 20 mars 1870 : « Jeudi matin, le bruit se répandait dans la ville qu’un triple assassinat avait été commis à Pégomas, et cette nouvelle malheureusement trop exacte venait mettre en émoi notre population peu habituée à voir commettre dans son sein de pareils forfaits. Voici sommairement ce qui s’était passé : à la suite d’une querelle de ménage, conséquence habituelle de ses emportements, le sieur Honoré Chauve, jardinier à Pégomas, homme d’une ­violence et d’une irascibilité extrêmes, s’est emparé d’une serpette de poche servant à la taille des jasmins, et au moyen de cette arme dangereuse, il a littéralement égorgé sa femme et deux de ses petites filles, l’aînée et la dernière ; la cadette n’a dû son salut qu’à un concours providentiel de circonstances. Un de ses proches voisins, le sieur Raymond Chauve, que les cris des victimes avaient attiré, a engagé courageusement avec l’assassin une lutte dans laquelle il a été lui-même blessé de plusieurs coups de couteau, heureusement sans gravité. Le parquet, averti de cet attentat, s’est immédiatement transporté sur les lieux pour procéder aux constatations d’usage. M. le Commissaire de police de Grasse aidé de la gendarmerie avait déjà arrêté le meurtrier, malgré la résistance désespéré (sic) qu’il a opposée aux agents de la force armée. Ceux-ci n’ont pu le réduire qu’en le menaçant de faire usage de leurs armes. L’émotion produite par ce crime odieux a été grande dans notre ville, et la charrette qui, jeudi soir, amenait ici le prisonnier, a dû, aux abords de la maison d’arrêt, se frayer un passage à travers les rangs épais d’une foule silencieuse et profondément impressionnée. »
    Un alcoolisme chronique est probable chez le mari, vu sa violence connue de tous ; si nous ne savons pas l’heure du drame, on constate qu’il fait grand jour, et probablement déjà chaud dans les vignes ; et d’après le récit, les enfants, qui ne sont pas à l’école, devraient y être. De telles scènes de ménage violentes sont fréquentes et favorisées par la consommation d’alcool, et dans cette famille le malheur veut que le père de famille soit habituellement armé pour l’exercice de son métier : la serpette professionnelle s’est transformée en une arme par destination. Honoré Chauve, jardinier, frappe sa femme à la gorge, puis égorge aussi, dit la presse, deux de leurs filles. Seule la cadette échappe à la mort grâce à l’intervention de Raymond Chauve, voisin et probablement parent, venu en entendant les cris. Blessé lui-même à l’oreille, il en réchappe grâce à la Vierge, et c’est lui qui fait peindre l’ex-voto.

    Mais remontant le cours du XIXe siècle, nous rencontrons un autre cas de violence pathologique, sur un tableau montrant une tentative avortée d’assassinat sur conjoint en août 1848 (toile de 33 x 24 cm) [fig. 2 et 3]. Très joliment vêtue d’un costume provençal soigné, Françoise Camme, qui n’a oublié ni son ravissant châle traditionnel de dentelle blanche ni sa coiffe tuyautée, fait très calmement face au spectateur, dans une attitude peu naturelle. La miraculée se présente de face, légèrement souriante, la poitrine offerte, dans l’encadrement d’une porte ­intérieure, ouverte, de façon peu naturelle, comme pour montrer son innocente pureté, tandis que le mari est accroupi à gauche dans une encoignure, tenant des deux mains son fusil dressé… C’est au-dessus de lui (et non de la présumée victime) que trône, dans des nuages blancs et pommelés, une belle Vierge à l’enfant, le ­personnage le plus grand de ce trio. Le prolongement vers le haut de la ligne gauche du cadre de la porte ­intérieure isole ainsi l’homme à la Vierge : le fou, meurtrier par intention, recroquevillé, accroupi contre le mur, rumine le crime qu’il a eu l’intention de commettre mais ne commettra pas, et son fusil est d’ailleurs dirigé non vers sa femme mais vers le haut, sans visée précise. Le tableau ne propose aucune cause à cette fureur meurtrière ; la prostration du malheureux – qui d’ailleurs n’a encore rien fait de répréhensible – s’oppose à ­l’angélisme ostentatoire de l’épouse, à sa candeur ­proclamée, comme si le rectangle de la porte de communication était un cadre destiné à la mettre en valeur, faisant apparaître un tableau dans le tableau, et suggérant un couple pathologique ; la présence d’une magnifique Vierge à l’enfant au-dessus de l’homme, ce qui coupe verticalement le tableau en deux, laisse entendre que par la protection qu’elle lui confère, elle l’a empêché de commettre l’irréparable, le déresponsabilisant en quelque sorte.

    Le plus ancien des ex-voto de cette sélection, parti­culièrement vivant et dramatique, daté du 9 février 1817, nous fait revenir à Notre-Dame-du-Château, en sa chapelle d’Allauch (fig. 4). Il frappe d’emblée par les couleurs sombres de l’effrayant face-à-face nocturne des deux protagonistes, l’homme vu du côté gauche, marchant vers la femme tournée du côté droit ; c’est au-dessus d’elle que cette fois (comme sur le n° 1) trône la Vierge, la désignant comme le personnage positif de ce drame conjugal saisissant : Claire Michel, ensanglantée, fait face à son mari, Joseph Roubin, tous deux en tenue de nuit. Et pieds nus. On peut dire que le troisième personnage est une arme par destination (comme la serpette du cas n° 1) : le rasoir ; cet instrument du destin est même dupliqué, car le premier a été cassé dans la violence et a été jeté au pied du lit conjugal, dont les draps sont repoussés, alors qu’un bénitier éclatant de blancheur semble faire écho à la présence de la Vierge au-dessus de la victime. En tout cas, la malheureuse, dont les vertus domestiques sont attestées par le bon ordre de l’armoire à linge, figure dans le tiers gauche de l’image, blessée au cou et au visage, et s’est réfugiée derrière la porte de la chambre, qu’elle essaie de garder fermée pour que le forcené ne puisse pas ­sortir, et la frapper de nouveau.
    Le langage de l’inscription montre qu’il s’agit d’un couple plutôt fruste : « ex-voto de Claire Michel que son mari Joseph Roubin voulait assassiner avec un rasouar qui cassa dans la main de sa femme en se détendant dont la malheureuse en reçu trois coups il fut en chercher un autre pour l’achever dans cet espace elle se recommanda a la sainte vierge quelle lui donna leureuse idée de sortir de la chambre et de fermer son mari dedans, en crian au secour dont on vint desuite ; peinier le 9 février 1817 ». Mais si le rendu artistique n’est pas excellent, la composition est subtile.
    Dans ce drame privé, Claire a échappé à la mort, mais on ne sait pas exactement ce qui s’est passé entre ces époux en vêtements de nuit. Le dispositif iconique indique que le coupable est le mari, qui a mis le lit de travers dans la chambre et éparpillé des objets au sol : c’est la fin d’une histoire conjugale dont la faute semble revenir au mari, qui confirme ses intentions homicides du geste du rasoir brandi dans sa main droite, un premier rasoir étant devenu hors d’usage, jeté par terre et tombé juste au-dessous du bénitier de la chambre, à côté d’une tasse, ce qui semble exclure un drame de l’alcoolisme. La femme est tout entière tendue dans une attitude de défense, repoussant la porte intérieure d’un cagibi ou d’un placard, juste au-dessous de l’image sainte de Notre-Dame d’Allauch, qui la protège. Avec l’homme armé se dessine ainsi un rectangle dramatique, tableau dans le tableau (comme dans le cas précédent), sous l’œil de la Vierge trônant dans les nuages. Dans la moitié droite éclate la blancheur du bénitier qui annonce la signification globale de l’histoire.

    Dans les trois tableaux religieux ci-dessus examinés, on est frappé par la présence bien affirmée d’une Vierge salvatrice qui choisit son camp. Il n’est pas question d’insister sur une interprétation religieuse de ces drames conjugaux, mais c’est un devoir d’historien que de diffuser le message actuel de ces faits divers du passé et de demander au lecteur d’en signaler d’autres qui montrent leur permanence, en un temps de réac­tivation de conduites anciennes, selon l’ambiance ­historique, générale et privée (aujourd’hui la période de confinement) et éclairent sur les enjeux et les valeurs véritables de l’existence. 

  3. Découvrir

    Le 1er octobre 1951, les éditions Jean-­Baptiste Baillière publiaient le ­premier numéro de La Revue du Praticien, fruit de la fusion de deux périodiques : Le Journal

    Extrait de l’éditorial du Pr Harvier, membre du comité de rédaction, commentant la monographie. (Rev Prat 1951;1:5-6)

    Extrait de l’article « Le traitement médical des ulcères gastro-duodénaux » de Raymond Dupuy. (Rev Prat 1951;1:7-13

  4. Découvrir

    La faculté de médecine de la Reichsuniversität Straßburg avait de multiples liens avec le camp de concentration Natzweiler-Struthof pour la réalisation d’expérimentations

    En avril 1947, La Presse médicale publie un article du Dr Jean-Marie Inbona au sujet du « procès des médecins allemands et [de] leur responsabilité dans la technique d

    Cette histoire, notre histoire, a du mal à passer, même plus de quatre-vingts ans après. Le souvenir reste à vif, l’horreur présente dans les mémoires.

    Les résultats essentiels du rapport de la commission concernent en premier lieu la présence de restes humains dans les collections médicales strasbourgeoises.

    La commission historique a également approché l’activité scientifique et médicale quotidienne de la Reichs­universität Straßburg.

    Les recherches biomédicales conduites au KL Natzweiler par trois professeurs de la RUS (Eugen Haagen, Otto Bickenbach et August Hirt) sont connues depuis leur jugement par le tr

    Par ailleurs, l’analyse d’environ 10 000 dossiers de patients des cliniques universitaires de la RUS permet de reconstruire des récits de vie de patientes.

    Les données et récits présentés ici posent à notre sens la question : « En quoi cette histoire concerne la faculté et le corps des médecins alsaciens et mosellans de l’époque

    Renverser l’inhumaine réduction de personnes à des sujets, puis à des objets de recherche, et à des matricules déshumanisés, c’est l’objet du travail de la commission, qui a che

    Découvrir
    Les représentations antiques révèlent parfois des états pathologiques, dont les manifestations visibles ont frappé les artistes.
    Dans Les Maladies dans l’art antique, ouvrage publié en 1998 chez Fayard, Mirko Grmek et Danielle Gourevitch avaient tenté de définir l’iconodiagnostic,1 considér
    Parmi ces portraits, celui d’une petite fille porteuse de plusieurs indicia mortis,2 et notamment d’un extraor­dinaire hippocratisme digital.
    On peut rapprocher ce cas de celui d’un autre enfant ­antique, un garçon étrusco-romain cette fois, Aulus Caecina Selcia, mort à l’âge de 12 ans (musée Guarnacci, Volterra), avec s
    L’ordonnance du médecin dans l’Égypte ancienne
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    En complément de la magie, les médecins égyptiens ont progressivement élaboré de nombreux remèdes qui se sont ensuite transmis de génération en génération.

    Les médecins égyptiens de l’Antiquité, les « sounou »,1 ont étudié les maux qui accablaient leurs contemporains pour tenter d’y remédier ou de les soulager. À l’origine, la magie était le seul recours. À partir de certains remèdes utilisés en complément, ils ont élaboré un art de guérir, à l’origine de la médecine. L’écriture, apparue en Égypte vers -3200, a permis de transmettre de génération en génération les acquis de ce savoir médical.

    Nombreux et variés, ses remèdes ont fait la réputation de la médecine égyptienne dans le monde antique.2 Kemi, la terre noire, le nom égyptien de l’Égypte, serait à l’origine du mot chimie. Le terme grec « Pharmakon », dériverait de l’égyptien ancien « Pheret-maki » (celui dont les prescriptions protègent), allusion à Thot, le dieu guérisseur, qui a soigné l’œil blessé d’Horus.3
    Les préparations médicamenteuses étaient habi­tuellement longues et compliquées. En multipliant les principes actifs, le thérapeute pouvait espérer obtenir un maximum d’efficacité. Leur élaboration était volontiers accompagnée de formules magiques pour en accroître l’efficacité. « Paroles à dire au moment de placer la médication sur tout endroit douloureux d’un homme ; vérifié efficace un million de fois » (papyrus Ebers n° 1).
    Pour des problèmes d’interprétation, il faut rester prudent quant à l’identification de certains ingrédients qui les composent. Sur les 500 produits relevés dans la pharmacopée égyptienne, Grapow estime que 358 traductions sont acquises, 167 restent douteuses ou intraduisibles et 19 illisibles.4 Pour les 400 drogues figurant dans le papyrus médical Ebers, Ebbel n’a pu proposer que 240 traductions.5 Certains termes tels que « l’œil du ciel », « l’onguent précieux », « la queue de souris », « la tête d’âne » ou « la dent de porc » désignent probablement des plantes sans plus de précision.

    La pharmacopée égyptienne utilisait des substances d’origine minérale, végétale et animale.6
    Elle accordait à certaines substances minérales des vertus thérapeutiques. Un onguent à base de poudre d’albâtre permettait d’obtenir une peau parfaite (papyrus Ebers n°715, Hearst n°154), l’ocre jaune (argile riche en oxyde ferrique hydraté) traitait le trachome et la pelade, la galène (sulfure de plomb), la chrysocolle (sulfate de cuivre hydraté) et le granit soignaient les yeux, le natron était utilisé comme émollient, le carbonate de calcium contre les acidités digestives. Parmi d’autres substances minérales de leur pharmacopée, citons le sel marin, la brique, l’argile, la terre, la faïence, le gypse, la pierre de Memphis (calcaire ?), la malachite, la poudre de meule, la boue du Nil, le sable du désert pour soigner une morsure de serpent (papyrus Brooklyn n°44 a), la suie, etc.
    Les plantes utilisées par le sounou étaient pour la plupart d’origine égyptienne, qu’elles soient endémiques ou acclimatées. Certaines venaient de l’étranger. Le safran et la sauge, de Crète ; les parfums, les épices, la myrrhe et l’encens d’Arabie, le cannabis et la cannelle d’Inde.
    Certains de ces végétaux avaient des vertus curatives incontestables. Comme laxatifs, les fruits du sycomore (Ficus Aegyptiae), la coloquinte, les figues, le ricin et l’aloès étaient sûrement efficaces. La caroube et la levure de bière aidaient à calmer certaines affections intestinales et le saule les états douloureux ou fébriles. Ils utilisaient comme diurétiques les graines de genévrier, la bryone et la scille. Parmi les sédatifs, ils avaient recours au pavot (Papaver somniferum), à la jusquiame, et au datura aux propriétés hallucinatoires. Parmi d’autres plantes utilisées, citons l’acacia, l’ail et l’oignon, le blé et l’orge, les fèves, les dattes, le chou, le céleri, la coriandre, le concombre, le fenouil, les figues, la laitue, le poireau, les pois, les pignons, le radis, le raisin, le melon et la pastèque, le séné, le thym, etc.
    Les substances d’origine animale étaient aussi mises à contribution. Grapow en a relevé 984 dans les 1 740 recettes recensées.
    Le miel constitue l’un des produits les plus fréquemment mentionnés. Nous lui reconnaissons ses propriétés adoucissantes, cicatrisantes, antibactériennes et antifongiques.7 L’apiculture est fort ancienne et se retrouve dans des scènes des tombes dès la ve dynastie. L’abeille est d’ailleurs le symbole de la Haute-Égypte.
    Le recours à l’amalgame est incontestable. Un crâne de silure, frit dans sa graisse et appliqué sur la tête, était censé guérir le migraineux en quatre jours (papyrus Ebers n°250).
    Les Égyptiens utilisaient également le lait de vache ou d’ânesse, la graisse de divers animaux. La viande fraîche était utilisée pour la cicatrisation des plaies. Toute une thérapeutique dite excrémentielle (fiente, urine, chiures de mouches...) soulève un certain nombre de questions.

    Selon les papyrus médicaux, la préparation des remèdes exigeait rigueur et minutie quant aux ingrédients nécessaires, à leur mode de préparation et à leur voie d’administration.

    Les différentes substances utilisées étaient énumérées, avec pour chacune d’elles le volume (et non le poids) nécessaire à la confection du remède. L’unité de référence était le boisseau ou « heqat », initialement prévu pour mesurer les céréales, et correspondant à 4,5 litres. Son sous-multiple, le « henou », soit 1/10 de heqat, valait 450 mL. Aussi le « ro », littéralement la bouchée, soit 1/320 d’heqat (14 mL) était la mesure la mieux adaptée aux petites quantités de produits utilisées.8

    Il était énoncé avec précision : « Une fumigation pour rendre agréable l’odeur de la maison ou des vêtements ; les ingrédients seront moulus finement, pétris en une masse homogène, et cuits au feu » (papyrus Ebers n° 852).9 Les excipients les plus utilisés étaient l’eau, la bière, le miel, et plus rarement le vin.

    Les Égyptiens avaient surtout recours à la voie orale, sous forme de potions, infusions, décoctions, macé­rations, mais aussi de pilules, pastilles, boulettes, etc. Par voie cutanée ils appliquaient cataplasmes, onguents, pommades, emplâtres. Aux affections respiratoires, ils opposaient fumigations et inhalations, avec des instructions détaillées pour le patient : « Tu iras chercher 7 pierres que tu feras chauffer au feu ; tu apporteras l’une d’elles et tu mettras dessus une portion de ce médicament ; tu le recouvriras d’un pot neuf dont le fond a été percé ; tu y introduiras la tige creuse d’un roseau ; tu placeras ta bouche à l’orifice de cette tige ; de sorte que tu inhales les vapeurs qui s’en exhalent. Et ainsi avec les 6 autres pierres » (papyrus Ebers n° 325). On ne peut être plus précis pour un mode d’emploi. Un praticien spécialisé, le « berger de l’anus », utilisait les suppositoires et surtout les lavements, un mode de traitement couramment appliqué.10 Tampons et injections vaginales traitaient les pathologies féminines. Pour les soins buccaux, on disposait de gargarismes et bains de bouche, pour les yeux, de collyres et pommades ophtalmiques. Des pâtes dentaires apaisaient les algies dues aux caries.
    L’ordonnance précisait l’âge auquel la médication s’adresse, l’heure à laquelle on devait l’administrer, le jour, voire la saison et la durée du traitement. « Ce sera cuit, filtré puis absorbé quatre jours de suite » (papyrus Ebers n° 289). Pour soigner un nourrisson, la nourrice devait enduire ses tétons du remède avant l’allaitement ou alors elle absorbait elle-même le traitement que son lait restituait au bébé.
    Même la température pouvait être recommandée : « (Ce) sera cuit et absorbé à une température convenable au doigt » (papyrus Ebers n° 799).

    L’élaboration des remèdes, dans la plupart des cas, était le fait du médecin lui-même. Toutefois, dans certaines situations, il pouvait disposer d’un assistant avec lequel il partageait ses secrets. Ainsi dans un journal de chantier sur un ostracon du Nouvel Empire, il est noté que l’ouvrier de la tombe, Pa-Héri-Padjet, se rend régulièrement au chevet d’ouvriers malades et prépare des remèdes pour la femme du scribe.
    Une organisation de la pharmacie est très vraisemblable au sein des « per ankh », les maisons de vie, véritable conservatoire du savoir égyptien antique.11 L’administrateur avait le titre de « chef des pharmaceutes ». Les différentes plantes, après contrôle par le prêtre-Sem,« l’homme aux plantes médicinales », étaient entreposées dans la maison de vie, sous l’autorité du « gardien de la myrrhe ». La myrrhe symbolisait l’ensemble des plantes médicinales. Ce responsable était vraisemblablement chargé de la conservation et de la délivrance des drogues entreposées.12 Aurait-on là le vénérable ancêtre des préparateurs en pharmacie, voire des pharmaciens ?13 

    Les médecins déportés au camp de concentration de Natzweiler
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    Jusqu’au 15 juin 2019, le Centre européen du résistant déporté, sur le site de l’ancien camp de concentration nazi de Natzweiler (Bas-Rhin), propose aux visiteurs une exposition

    Le camp de de Natzweiler fut implanté en mai 1941 au lieu-dit du Struthof, dans l’Alsace annexée de fait par le IIIe Reich. À partir de fin 1942, il se dote d’une cinquantaine de camps annexes situés de part et d’autre du Rhin. Dans ces différents lieux, la situation sanitaire est terrible, et le rôle des déportés médecins n’en est que plus crucial.
    L’exposition « Au nom d’Hippocrate »* essaie de comprendre leur rôle, grâce à des témoignages, des illustrations originales émanant de déportés et des dessins réalisés par l’illustrateur Édouard Steegmann. Elle présente également des objets ainsi qu’un documen- taire sur le résistant belge Georges Boogaerts, déporté à Natzweiler. En contrepoint de l’exposition, l’artiste plasticienne Angélique Bègue a composé une série de peintures sur les médecins nazis qui utilisèrent les déportés comme cobayes.

    Nous sommes partis d’un constat : alors que le sujet des médecins nazis qui ont œuvré dans les camps est bien documenté, celui des médecins déportés reste sous-étudié. Pourtant, il pose des questions fondamentales : que peut faire un médecin dans un camp, confronté à des pathologies souvent violentes, mais lui-même affaibli et dépourvu de moyens ? que signifie exercer la médecine dans un camp où la mort règne ? soulager son prochain ? faire acte de résistance ? sauver sa peau grâce à son savoir ? À travers l’exemple du camp de concentration de Natzweiler et de ses camps annexes, cette exposition apporte quelques pistes de réflexion fondées sur les archives et les témoignages, sans prétendre à l’exhaustivité sur un sujet complexe.

    Il est difficile de dire combien de médecins furent déportés à Natzweiler. Les registres du camp comportent souvent des données erronées sur les professions. Certains médecins, par ailleurs, ont caché leur fonction pour ne pas être utilisés comme assistants par les médecins nazis qui pratiquaient des expérimentations humaines au camp. Dans l’état actuel de la recherche, 95 médecins et 23 étudiants en médecine ont été répertoriés parmi les 52 000 déportés de Natzweiler. Ils appartenaient à 12 nationalités différentes.
    Nous n’avons de renseignements biographiques précis que pour un petit nombre d’entre eux, parmi lesquels les sept médecins qui servent de fil conducteur à notre exposition. Avant d’être arrêtés pour faits de résistance, tous exerçaient la médecine. Nous les avons choisis originaires de plusieurs pays d’Europe pour rappeler la dimension internationale de la population concentrationnaire et montrer que l’engagement déontologique n’a pas de frontière. André Ragot était médecin militaire dans la Marine française, Robert Morel était interne à l’hôpital d’Arles, et Léon Boutbien exerçait en région parisienne. Nous présentons aussi le parcours du médecin norvégien Leif Poulsson, et de deux médecins allemands aux personnalités très différentes, le communiste Fritz Lettow et le socialiste Werner Vogl, neurologue à Wiesbaden, marié à une femme juive. Le cas de Georges Boogaerts, médecin dans l’armée belge, est particulièrement documenté. C’est lui, du reste, qui a donné son visage à l’affiche de l’exposition.

    Les conditions sont apocalyptiques. L’état de santé des déportés est délétère : les privations alimentaires, le travail épuisant et l’absence d’hygiène, auxquels s’ajoutent les conditions climatiques extrêmes du camp principal, favorisent le déclenchement et la propagation des maladies. Les blessures par accident ou provoquées par les SS (morsures de chien, coups, flagellations, armes à feu) sont quotidiennes. Affaiblis, les déportés perdent peu à peu leurs défenses immunitaires et leur énergie. Dans ce contexte, des pathologies bénignes en temps normal (rhinites, maladies intestinales, abcès…) sont souvent fatales. La tuberculose trouve là un terrain propice. À partir de 1944, la situation se dégrade encore, avec la survenue d’épidémies particulièrement mortifères. Redouté par les SS qui craignent pour leur propre vie, le typhus fait des ravages dans le camp principal de Natzweiler, provoqué en partie par les expériences conduites par le médecin nazi Eugen Haagen.

    C’est très compliqué. Soigner son prochain est avant tout un acte d’engagement personnel. Les médecins n’ont ni médicaments ni matériel et ils doivent prodiguer leurs soins à la sauvette. Ils inventent une médecine de la débrouille en recourant aux techniques ancestrales et aux produits naturels accessibles – du charbon de bois contre la dysenterie, un linge mouillé froid autour de la gorge contre l’angine. Les savoirs sont réinterrogés, les connaissances s’échangent entre spécialistes des différents pays. Chaque guérison est une victoire scientifique tout autant qu’un miracle, comme en témoigne Fritz Lettow : « Les opérations septiques, inflammations avec suppuration, étaient les plus fréquentes. J’en effectuais de six à huit par jour. Dans les presque deux ans de mon activité à Natzweiler, j’avais fait près de deux mille de ces opérations, parfois à des endroits rares. Comme la capacité de guérison des patients était très faible, surtout à cause de la malnutrition, les plaies septiques des flegmons devaient être démesurément agrandies. »

    Certains médecins ou étudiants en médecine se sont comportés de manière très peu solidaire ; les survivants leur en ont fait le reproche après la guerre. Mais dans leur grande majorité, les médecins ont respecté leur serment d’Hippocrate et essayé de soulager les douleurs. Cela leur a posé des cas de conscience inédits. Par exemple, dans un camp, face à la quantité de malades, qui doit-on tenter de sauver – ce qui signifie en contrepoint : qui doit-on accepter de laisser mourir ? Autre dilemme : doit-on ou non seconder les médecins nazis qui pratiquent des expériences sur les déportés, dans l’espoir d’obtenir des moyens et des informations ? Il faut également noter que la médecine, à Natzweiler, a parfois été une arme de résistance : les faux diagnostics établis par les médecins déportés ont permis d’éviter la mort de certains résistants. Par exemple, pour éviter le transfert vers une mort certaine du jeune déporté Alex Lapraye, les médecins Boogaerts et Laffite l’opérèrent de l’appendicite la veille de son départ. Problème : un médecin SS survient pour assister à l’opération, alors que l’appendice est bien sûr parfaitement sain. Les deux confrères risquent la mort. Mais ils réussissent à détourner l’attention du SS et à frotter l’appendice avec un coton imbibé d’éther pour le rendre turgescent… À l’inverse, un acte médical habile sert de temps en temps à se débarrasser d’un kapo trop violent…

    Reconnus pour leur art, les médecins déportés étaient souvent sollicités par les médecins nazis pour les seconder dans les expérimentations et les autopsies qui s’ensuivaient. D’autres demandes étaient plus insolites : Robert Morel, un jour, reçut l’ordre du SS Telschow de soigner son chiot « Bouboule », chez lequel il diagnostiqua une hypertrophie d’un lobe de la thyroïde. « S’il meurt, tu mourras avec lui », répondit le SS. Pour les médecins, ces situations sont particulièrement éprouvantes. Leur engagement résistant rend inconcevable une quelconque coopération avec les nazis, et en même temps ils peuvent espérer ainsi obtenir des avantages pour eux-mêmes et/ou pour leurs camarades. Boogaerts, ainsi, participe aux autopsies aux côtés des médecins nazis qui opèrent dans le camp pour être en mesure de témoigner lors des procès à la Libération, ce qu’il ne manquera pas de faire. Sa position auprès des SS lui permet également d’accéder à la fonction de médecin-chef du revier (infirmerie des déportés), un poste-clé pour sauver des vies. Morel, en échange des soins vétérinaires qu’il prodigue à Bouboule, obtient le droit de conserver la valise d’instruments chirurgicaux que le SS lui a procurée.

    La première conséquence est d’ordre médical. À partir de ce qu’ils ont observé, les médecins déportés dans les camps sont en mesure de décrire les symptômes et les séquelles des pathologies spécifiques à la déportation. Lors du premier congrès médical de la Fédération internationale de la Résistance en 1954 est établi le syndrome des camps de concentration, reconnu par l’Organisation mondiale de la santé. Ce syndrome répond à un ou plusieurs des symptômes suivants : fatigue, déficit pondéral, maux de tête, résistance amoindrie à la tuberculose, instabilité émotionnelle (sautes d’humeur, irritabilité), état dépressif pouvant mener au suicide, diminution de la mémoire immédiate (handicap à la réinsertion).
    Ces mêmes études de 1954 estiment que parmi les déportés survivants 10 % sont atteints d’affections graves ne permettant pas de travailler et 25 % d’affections sérieuses qui ne permettent qu’une adaptation sociale atténuée, tandis que 65 % ont « récupéré » physiquement. La deuxième conséquence est judiciaire. Dans les camps, les médecins ont été les témoins des terribles agissements de leurs confrères nazis. À Natzweiler, par exemple, le médecin nazi Haagen, virologue de renom, a testé sur les déportés un vaccin sur le typhus et déclencha ainsi une vaste épidémie qui fit de nombreuses victimes. Dans la chambre à gaz, le docteur Bickenbach a utilisé des cobayes humains pour vérifier l’effet de l’urotropine comme antidote au gaz de combat phosgène. Quatre déportés tsiganes meurent immédiatement. Le docteur Hirt, membre de la SS, directeur de l’Institut d’anatomie de la Reichsuniversität de Strasbourg, a commandité le gazage de 86 déportés juifs spécialement sélectionnés à Auschwitz-Birkenau et acheminés à Natzweiler pour constituer une collection anatomique de squelettes juifs.
    Plusieurs médecins déportés participent aux procès d’après-guerre. Robert Morel et Georges Boogaerts témoignent contre Haagen et Bickenbach lors du procès de Metz en 1952. Les deux nazis sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité, peine qui est ramenée à 20 ans en 1954, avant que tous deux soient libérés en 1955 et retournent exercer la médecine en Allemagne... Hirt est jugé par contumace mais s’est suicidé entre-temps.
    La dernière conséquence, la plus durable sans doute, est déontologique. À l’issue du procès de Nuremberg (1946-1947) où sont jugés 23 médecins nazis, une liste de 10 critères est rédigée pour fixer le cadre d’une pratique expérimentale acceptable. L’article 1 pose pour principe essentiel le consentement volontaire du sujet humain. L’article 4 rappelle que toute expérience doit être conduite de façon à éviter la souffrance du sujet.
    Cette liste, connue sous le nom de code de Nuremberg, n’est pas la première tentative d’introduire l’éthique dans la médecine. Mais c’est la première fois qu’un pareil texte revêt une dimension universelle. Le code de Nuremberg est conforté en 1964 par la déclaration d’Helsinki et en 1975 lors du congrès de Tokyo : depuis lors, toute recherche sur les sujets humains qui ne respecterait pas la déclaration est interdite de publication.
    Nous espérons, par cette exposition, par les conférences qui y ont été associées, par nos interventions au Forum européen de la bioéthique, contribuer à sensibiliser la société à ces enjeux déontologiques qui sont au fondement de notre humanité.

  5. Découvrir

    La diplomatie médicale du régime cubain s’enracine dans une longue histoire qui, depuis la colonisation espagnole, lie politique et médecine.

    En septembre 2020,* Le Point publiait une ­enquête intitulée « Le mystère des médecins cubains ».1 Une journaliste s’y penchait sur le cas des 14 médecins cuba

    Durant tout le xixe siècle, Cuba est le territoire qui dénombre le plus de médecins et de chirurgiens assermentés au monde.

    Or c’est précisément cette tutelle impériale qui est remise en cause par un groupe de petits propriétaires terriens de l’est de l’île en 1868.

    C’est ce même nationalisme médical qui préside en 1903 à la proposition d’un des nombreux médecins membres de la première Assemblée législative de la République cubaine : avec d

    Au prisme de ce panorama historique, 1959 et le triomphe de la révolution de Fidel Castro ne sauraient représenter le premier jalon de la construction d’une «nation soignante ».

    L’histoire longue des liens entre santé, médecine et ­politique à Cuba montre bien que tout ne commence pas en 1959.

    Découvrir
    Créées à une dizaine d’années d’intervalle au début du xxe siècle, les deux sociétés savantes, toujours très actives, ont une histoire in
    Les professions de santé ont des histoires profondément intriquées, chacune ayant en définitive le même objectif que ses homologues : maintenir ou restaurer le bien-être physique e
    Paul Marie Jean Dorveaux était né le 21 juillet 1851 à Courcelles- Chaussy, un petit bourg mosellan situé à une vingtaine de kilomètres de Metz (fig. 1).
    Lorsque Eugène-Humbert Guitard (fig. 2), sorti diplômé quelques années plus tôt de l’École nationale des chartes, eut l’idée de créer une société savante vou
    Les statuts de la Société d’histoire de la pharmacie s’inspirèrent directement de ceux de la Société française d’histoire de la médecine.
    Plus de 100 ans après leurs naissances respectives, les deux sociétés historiques poursuivent, bon an mal an, leur exploration du passé médico-pharmaceutique.
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