Née Marthe Béraud en 1884 dans l’Algérie française, cette fille d’un officier est fiancée à l’âge de 18 ans à un soldat qui meurt en Afrique occidentale d’une maladie tropicale. Dès lors, elle est recueillie par le général Élie Noël et son épouse, et vit dans la luxueuse villa Carmen, à Alger. Très vite, à la suite de ce décès brutal, elle prétend avoir développé des capacités médiumniques, à commencer par la possibilité d’interagir avec son défunt fiancé. Des séances publiques sont organisées dans cette même villa en 1905, où elle convoque et matérialise des esprits divers, le premier étant un certain Bien Boâ, « brahmane hindou vieux de 300 ans ». Après un relatif succès, la fraude est découverte : l’esprit est en réalité un serviteur arabe, Areski, déguisé maladroitement et qui s’infiltre dans la pièce par une porte dérobée.
En 1909, ayant changé son nom en Éva Carrière,1 elle tente une nouvelle vie de médium, réussit à convaincre le très crédule Arthur Conan Doyle, mais ne trompe pas le magicien américain Harry Houdini, qui détecte des « trucs » assez classiques dans sa profession, lui permettant de dégager ses mains et d’attraper des objets dissimulés.2
Mais Éva Carrière est surtout connue pour le caractère parfois très obscène de ses séances spirites, destinées autant à satisfaire un public masculin cherchant à « se rincer l’œil » qu’à contenter, d’après certains analystes, ses propres pulsions « perverses et érotiques ». À cette occasion, elle apparaît fréquemment nue ou torse nu, se faisant caresser (et parfois plus) par des témoins choisis au hasard dans la pièce. Avant et après chaque séance, on pratique sur elle un examen gynécologique et anorectal complet destiné à vérifier l’absence de tout corps étranger (sa compagne, Juliette Bisson, pratique fréquemment de tels gestes en public, dans ce qu’il faut bien appeler une véritable représentation pornographique). Des clichés sont pris lors de ces séances (fig. 1 et 2), au cours desquelles des « ectoplasmes » – supposés matérialisations physiques d’esprits initialement impalpables – s’accrochent à la pointe de ses seins, coulent de sa bouche de façon très lascive ou dégoulinent vers son pubis. Et que dire de certaines matérialisations dont la morphologie rappelle furieusement celle de sexes masculins en érection ?
Cette érotisation des séances spirites n’empêchera pas une seconde chute pour Éva Carrière, puisque de nouvelles falsifications sont mises en évidence par de nombreux témoins (l’anthropologue Eric Dingwall, le psychiatre Donald West, le chercheur Harry Price, notamment) : production d’ectoplasmes par régurgitation ou sortis de ses mèches de cheveux ; usage de coupures de journaux, de papier mâché ou de carton pour matérialiser les fantômes de personnalités comme le président américain Woodrow Wilson, le roi Ferdinand de Bulgarie ou encore le président de la République Raymond Poincaré (certains sont si grossiers qu’on arrive même à lire le titre du quotidien !).3,4 On a peine à croire, a posteriori, à la crédulité des spectateurs…
Éva Carrière s’est éteinte (ou désincarnée ?) sans avoir perdu complètement la confiance de ses partisans, principalement au sein de l’Institut métapsychique international (Charles Richet, Eugène Osty, Jean Meyer, Albert von Schrenck-Notzing) : si, en effet, il y a bien eu fraude, c’est peut-être tout simplement que les conditions optimales de sa médiumnité n’étaient pas réunies. Éva était, pour eux, une vraie médium mais qui avait, de temps en temps, besoin d’être un peu aidée. The show must go on.