Issues d’expériences pilotes dans la période de l’après-guerre, les pratiques de psychothérapie Institutionnelle se développent dans les établissements psychiatriques français des années 1950 aux années 1970. Elles connaissent un désintérêt à partir des années 1980 mais des collectifs soignants continuent les faire vivre.

En 2023, le film Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert, remporte l’Ours d’or à La Berlinale. Il décrit le quotidien de patients d’un centre psychiatrique de jour (fig. 1). Le succès de ce documentaire témoigne du regain d’intérêt pour les pratiques de psychothérapie institutionnelle, aussi bien auprès du grand public que dans les équipes soignantes.

Ce terme de «  psychothérapie institutionnelle  » apparaît pour la première fois en 1952 dans un article de Georges Daumézon et Philippe Koechlin ; il désigne alors un ensemble hétérogène de pratiques thérapeutiques collectives mises en place par de jeunes psychiatres réformateurs durant l’Occupation, puis à la Libération. Celles-ci auraient pour point commun de considérer l’hôpital et ses institutions comme un instrument de soin à part entière à une période où ces derniers ont un fonctionnement encore très asilaire : restriction forte de la liberté des patients, personnel soignant faiblement qualifié, ouverture limitée sur l’extérieur.

Fille de l’Occupation

Bien que les « asiles » changent officiellement de dénomination en 1937 au profit du terme « hôpitaux psychiatriques », ces établissements conservent un fonctionnement faiblement thérapeutique. Celui-ci est marqué par un encombrement très important, avec une grande proportion de patients chroniques. De plus, peu de moyens thérapeutiques sont mis en place et l’asile est surtout pensé comme un espace de relégation, de mise à l’écart. La tâche des infirmiers, encore souvent appelés gardiens ou garde-malades durant l’entre-deux-guerres, est souvent moins de soigner que d’accomplir une fonction domestique et répressive.

De fait, ce fonctionnement asilaire et le relatif abandon de cette population est particulièrement saillant durant la Seconde Guerre mondiale, avec la mort d’environ 45 000 malades mentaux internés morts d’inanition pendant l’Occupation.*

Les restrictions alimentaires, pourtant équivalentes à celles de la société en générale, ont néanmoins entraîné des conséquences beaucoup plus négatives en raison de la situation de relégation de cette population : impossibilité d’accéder au marché noir, vols de la part du personnel et plus faible solidarité familiale. Ce drame a fortement marqué les psychiatres au sortir de la guerre. Il a contribué à mettre en lumière la situation des hôpitaux psychiatriques français et apparaît comme le creuset des projets réformateurs d’après-guerre.

De plus, il marque l’émergence de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole perçu comme une expérience-modèle et considéré comme le berceau de la psychothérapie institutionnelle. Dirigé par le psychiatre communiste Lucien Bonnafé, accompagné à partir de 1940 par François Tosquelles, cet hôpital psychiatrique reculé de Lozère devient un haut-lieu de résistance au régime de Vichy. L’hôpital est connu en particulier pour avoir soigné et caché des maquisards et des réfugiés, dont notamment Paul et Nusch Éluard. Il est aussi un espace d’expérimentation psychiatrique, avec la multiplication d’activités collectives proposées aux patients et surtout une remise en cause profonde de leur ségrégation, avec une ouverture importante sur l’extérieur qui permet de limiter fortement la surmortalité au sein de l’établissement.

Approche compréhensive des thérapies et des maladies mentales

À partir des années 1950, le terme de psychothérapie institutionnelle regroupe un ensemble divers de pratiques administratives et médicales qui prennent comme point de départ l’idée que l’hôpital lui-même constitue un outil de guérison, en ce qu’il agit directement sur les maladies mentales. Cette conception entraîne la revendication par les psychiatres du contrôle total des établissements, puisque la gestion appartient au domaine du soin si l’on suppose que l’hôpital est un agent thérapeutique. Elle participe également à la mise en place de pratiques de psychothérapie collective : sociothérapie, ergothérapie et psychothérapies de groupe.

Ainsi, les années 1950 constituent une période de fort développement de l’usage du travail et de diverses activités récréationnelles dans les hôpitaux psychiatriques initiés depuis le XIXe siècle. Ce qui diffère néanmoins à la Libération est l’engouement suscité, sans commune mesure avec celui induit par les initiatives précédentes plus localisées. Celui-ci se traduit par la parution de circulaires en 1952 et 1958 qui encouragent la création d’ateliers ergothérapiques et modifient le fonctionnement comptable des établissements psychiatriques, afin de permettre une gestion plus autonome par les patients du produit de leur travail. De plus, ces pratiques collectives deviennent des thérapies à part entière, alors qu’elles étaient auparavant principalement guidées par l’intérêt économique des établissements et restaient dans le giron de l’administration. Ces évolutions suscitent des réflexions poussées sur l’organisation du travail et la gestion de l’argent dans les hôpitaux psychiatriques, avec une attention particulière aux dérives possibles de ces pratiques : exploitation économique des malades ou paternalisme. Pour éviter cela et assurer une vie collective autonome des patients, sont créés des clubs thérapeutiques, comme celui, séminal, de Saint-Alban, fondé en 1942  ; ils sont dirigés majoritairement par les patients  – bien qu’accompagnés par des soignants. Les patients s’occupent de gérer les budgets et produits des différents ateliers, d’organiser les kermesses ou encore d’imprimer le journal de l’hôpital (fig. 2).

La psychothérapie institutionnelle est enfin caractérisée par le développement d’espaces d’expression tant pour les soignants que pour les soignés. Les réunions, qui se multiplient, deviennent un outil privilégié pour discuter, interroger le fonctionnement du collectif mais aussi pour former le personnel soignant. Elles tranchent avec les pratiques hospitalières d’avant-guerre, marquées par une faible présence des psychiatres dans les services et une hiérarchie stricte laissant peu de place à la parole des infirmiers et des patients.

Cet attrait pour les psychothérapies collectives ne signifie pas pour autant que les jeunes psychiatres se détournent des techniques biologiques de choc – cure de Sakel**, électroconvulsivothérapie – qui ont induit un nouvel espoir thérapeutique dès l’Occupation, ni des neuroleptiques à partir de la fin des années 1950. Au contraire, les tenants de la psychothérapie insti­tutionnelle défendent un modèle thérapeutique où ces techniques collectives et biologiques coexistent.

Scission entre psychiatrie et psychanalyse

Ce socle de pratiques et d’idées directrices ne constitue pas pour autant une théorie médicale unifiée. ­L’hétérogénéité de la psychothérapie institutionnelle apparaît au grand jour à partir des années 1950, avec la multiplication de psychiatres fortement engagés dans les deux mondes de la psychiatrie et de la psychanalyse, dont l’activité clinique amène à redéfinir les frontières des deux disciplines. La question de l’usage de la psychanalyse, ainsi que du rôle psychothérapique des infirmiers psychiatriques, aboutit à un premier schisme entre les principaux réformateurs de la psychothérapie institutionnelle à la fin des ­années 1950. Ce dernier marque l’échec du groupe à produire une théorie unifiée et la fin de la première période du mouvement.

Le nom de psychothérapie institutionnelle perdure néanmoins, bien qu’il recouvre essentiellement à partir de 1960 des pratiques psychiatriques à forte connotation psychanalytique. Robert Castel appelle « psychothérapie institutionnelle seconde manière » cette dernière, dont les représentants les plus éminents sont l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban et la clinique de La Borde, fondée par Jean Oury en 1953. Elle s’institutionnalise à travers la création du Groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles (GTPSI) en 1960. Jusqu’en 1966, les psychiatres et psychanalystes de ce groupe cherchent à produire une théorie à orientation psychanalytique de la psychothérapie institutionnelle. Ils approfondissent ainsi la réflexion sur le caractère thérapeutique des institutions grâce aux outils de la psychanalyse lacanienne. L’accent est alors moins porté sur les institutions elles-mêmes que sur le processus d’analyse, de critique et de transformation de celles-ci. La finalité de ce mouvement d’institutionnalisation est de permettre une expression des désirs des membres soignants et soignés du collectif et l’acquisition d’une autonomie des patients dans l’organisation du quotidien.

Que reste-t-il de la psychothérapie institutionnelle ?

Les pratiques de psychothérapie institutionnelle continuent à se diffuser dans les établissements psychiatriques français durant les années 1970, au détriment parfois de son objectif initialement radical de transformation des institutions. Elles connaissent néanmoins des freins et critiques qui expliquent le relatif déclin et désintérêt pour ces travaux à partir des années 1980.

Tout d’abord, la mise en place de la politique de sectorisation psychiatrique à partir des années 1970, qui s’intensifie dans les années 1980, a contribué au désintérêt pour la psychothérapie institutionnelle. Celle-ci consiste à déployer la prise en charge des patients, au plus près de leur environnement social, avec une équipe pluridisciplinaire unique qui les suit au sein d’une diversité d’institutions psychiatriques. Remettant en cause la centralité de l’hôpital dans la prise en charge des maladies mentales, la politique de sectorisation psychiatrique contribue à la marginalisation progressive des idées de la psychothérapie institutionnelle qui sont principalement associées à la vie collective à l’intérieur des hôpitaux. Celle-ci est renforcée par le coût important des thérapies collectives dans un contexte de restriction budgétaire et de séparation entre directions administrative et médicale, qui rendent difficile la mise en place de pratiques de psychothérapie institutionnelle.

Ensuite, les années 1980 voient les débuts d’un changement de paradigme médical, avec l’essor de critiques de la psychanalyse. À l’échelle mondiale, la parution du DSM-III en 1980 marque l’effort de sortir d’une psychiatrie à orientation psychanalytique. Bien que cette évolution soit plus tardive en France, l’essor des théories cognitivo-comportementalistes et l’intérêt pour des modèles étiologiques biologiques expliquent un désintérêt pour la psychothérapie institutionnelle perçue comme peu scientifique, coûteuse et finalement peu efficace.

Que reste-t-il, alors, aujourd’hui, de la psychothérapie institutionnelle ? Bien que concentrés dans certaines institutions, de nombreux collectifs soignants la font vivre et continuent à réfléchir sur leurs pratiques. Citons par exemple les Rencontres de Saint-Alban qui, depuis 1986, discutent tous les ans des enjeux posés par la psycho­thérapie institutionnelle, ou encore l’existence d’une fédération de clubs thérapeutiques, le Terrain de rassemblement pour l’utilité des clubs (TRUC). Aujourd’hui, peut-être en raison de la dégradation importante des conditions de prise en charge psychiatrique, ces travaux connaissent un regain d’intérêt, en ce qu’ils constituent moins un corpus clair de pratiques et savoirs psychiatriques qu’une position éthique et militante qui restitue une valeur au collectif.

* Pour une réfutation de la thèse, largement débattue à partir des années 1980, d’une intentionnalité de la part du régime de Vichy et des psychiatres, voir Isabelle Von Bueltzingsloewen. L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation ,Paris, Aubier, 2007, 508 p.** La cure de Sakel, utilisée entre les années 1930 et 1960, n’est plus pratiquée aujourd’hui  ; elle a été remplacée par l’administration des neuroleptiques. Du nom du psychiatre Manfred Sakel (1900 - 1957), cette thérapie de choc consistait à provoquer des comas hypoglycémiques profonds par injection d’insuline, suivis d’un resucrage progressif dans un contexte de maternage réalisé par un infirmier. L’objectif était une guérison rapide de la schizophrénie mais, en réalité, l’efficacité n’a jamais été prouvée.
Pour en savoir plus
Mathis Lorenzo. Des Fous et des normopathes. La clinique de La Borde : une psychiatrie politique (1946-1986). Mémoire de master. École normale supérieure: Paris-Saclay, 2020, 354 p.
Joana Masó. Soigner les institutions. L’Arachnéen: Paris, 2021, 400 p. 
Mathis Lorenzo. Psychothérapie institutionnelle. In Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS. Le Mans Université, 2023.

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