La variole est un des pires fléaux de l’humanité, ayant provoqué près de 300 millions de morts au cours du seul XXe siècle. Cette maladie a été éradiquée en 1980 grâce à une campagne mondiale de vaccination sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. Cette disparition est due à la découverte de la vaccine par Edward Jenner en 1798 et aux innovations ayant facilité son utilisation et sa diffusion.

Il y a près de cinquante ans que la variole (ou petite vérole) a disparu. Cette maladie due au virus smallpox et touchant surtout les jeunes enfants a été à l’origine d’épidémies meurtrières avec 30 % de mortalité. Les survivants sont épargnés de toute rechute pour le restant de leur vie, d’où l’idée de prévenir la maladie par inoculation du pus de variole d’évolution favorable. Ce procédé appelé « inoculation » (ou variolisation) a été introduit en Angleterre et en Nouvelle-Angleterre en 1721. S’il est efficace pour protéger durablement, il n’est pas sans risque : celui de la contagion nécessitant l’isolement des inoculés et celui, peu fréquent, de développer une variole. 

Accueillie avec réticence par les médecins et la population, l’inoculation a surtout été pratiquée dans les milieux aristocratiques au cours du XVIIIe siècle.1

La découverte d’Edward Jenner

Peu d’hommes ont permis de sauver autant de vies humaines qu’Edward Jenner (1749 - 1823) [fig. 1], un médecin de campagne de Berkeley, près de Gloucester en Angleterre, qui pratiquait des inoculations. À l’origine de cette pratique, il avait remarqué que les personnes ayant souffert de la maladie des trayeurs étaient résistantes à l’inoculation et épargnées au cours des épidémies. Après vingt ans d’observations cliniques, il a démontré expérimentalement l’effet protecteur du cowpox contre la variole. En mai 1796, lors d’une épizootie de cowpox, une jeune trayeuse, Sarah Nelmes, présente des pustules sur les mains et les bras (fig. 2 A et B). À partir du pus de ces pustules, Jenner inocule un jeune garçon en bonne santé, James Phipps, 8 ans. Le 14 mai 1796, avec une lancette imprégnée de « matière  », il pratique deux incisions superficielles sur l’un des bras de l’enfant. Après quelques jours, James présente des vésicules au point d’inoculation ainsi que des signes généraux (malaise, perte d’appétit et léger mal de tête), guérissant en quelques jours. Le 1er juillet 1796, Jenner inocule le jeune garçon avec du pus de varioleux. Il pratique plusieurs piqûres et incisions superficielles et n’observe aucune réaction. L’épreuve est réitérée quelques mois plus tard, puis après cinq ans, à nouveau sans aucune réaction. Il collige ainsi 23 cas similaires, confirmant la protection conférée par le pus de cowpox contre la variole. Il publie ses résultats à compte d’auteur dans un petit livre de 75 pages, intitulé An inquiry into the causes and effects of the variolæ vaccinæ (17 septembre 1798). Dès 1800, on nomme ce procédé « vaccination  » (vacca, vache) et la lymphe «  vaccine » (virus vaccinia).

La vaccination est rapidement acceptée par la population et le corps médical, contrairement aux réticences légitimes concernant l’inoculation. En France, le procédé est diffusé sous l’égide du duc François de La Rochefoucauld-Liancourt, qui crée la Société des souscripteurs pour l’inoculation de la vaccine, dans le but de promouvoir la vaccination des jeunes enfants dans les orphelinats et les hospices. En 1823, cette charge est reprise par l’Académie royale de médecine. En Europe, deux médecins, le Suisse Jean de Carro à Vienne et l’Italien Luigi Sacco à Milan, ont joué un rôle crucial en fournissant la vaccine provenant d’Angleterre et d’Italie à toute l’Europe de l’Ouest jusqu’aux Empires ottoman et russe. Ainsi, la vaccination s’est rapidement propagée dans tous les pays d’Europe jusqu’aux États-Unis.

À partir de 1803, grâce à l’expédition Balmis-Salvany (1803 - 1812), la vaccine est distribuée dans l’immense Empire espagnol, aux Caraïbes, au Mexique, en Amérique du Sud jusqu’aux Philippines, en utilisant des enfants «  vaccinifères  » pour véhiculer le « levain vaccinal  ».

La vaccination des jeunes enfants devient obligatoire en Dalmatie et en Bavière (1807), au Danemark (1810), à Hanovre, en Norvège et en Suède (1816), puis en Grande-Bretagne (1853), en Allemagne (1874), en Italie (1888) et finalement en France (loi du 15 février 1902). Au fur et à mesure que le nombre de vaccinés augmente, la fréquence des épidémies diminue et le nombre de décès tombe à des niveaux sans précédent, ne concernant plus que des personnes non vaccinées. La dernière épidémie grave en Europe a été celle de la guerre franco-prussienne de 1870 - 1871.

La vaccine animale

En dépit de ces succès, la diffusion du procédé est entravée par les sources parcimonieuses de vaccine et par la durée de protection qui diminue après une dizaine d’années, nécessitant des rappels. Les épizooties de cowpox sont rares et imprévisibles, ce qui peut entraîner des pénuries plus ou moins longues. C’est pourquoi ­Jenner avait très tôt proposé la vaccination de bras à bras, seul moyen d’avoir une source continue de vaccine, sans affaiblissement ou perte de la virulence de la lymphe (fig. 3). Cependant, au cours du XIXe siècle, ce procédé a été à l’origine de transmission de maladies comme la syphilis, l’érysipèle ou l’hépatite. Comment éviter ce risque infectieux  ? La solution adoptée a été la « rétrovaccination », c’est-à-dire l’inoculation de la vaccine à des génisses qui deviennent une source sûre et stable de lymphe. Cette pratique utilisée à Naples depuis le début du XIXe siècle est amenée en France en 1864 par Gustave Lanoix et Ernest Chambon, qui créent l’Institut de vaccine animale et diffusent le procédé dans le monde (fig. 4). La production peut désormais être standardisée et la conservation améliorée par l’addition de glycérine, par congélation et par lyophilisation. Ces progrès techniques se sont avérés essentiels pour conserver partout la vaccine, en particulier dans les pays tropicaux.

La variole au XXe siècle

Le XIXe siècle s’achève par un très fort recul de la variole en Europe. Les dernières épidémies de variole majeure surviennent à Londres et à Liverpool en 1901 - 1903. Dès lors, il n’y a plus, ni en Europe ni aux Etats-Unis, que des épidémies limitées d’importation. À cette époque, une nouvelle forme clinique atténuée, à faible mortalité (alastrim ou variole mineure), se répand en Europe à partir des États-Unis et de l’Afrique du Sud. En France, la variole majeure a disparu à l’orée du XXe siècle du fait de la vaccination obligatoire des jeunes enfants. Il n’y a eu aucun cas pendant la Première Guerre mondiale. En URSS, la variole disparaît officiellement en 1936, à la suite d’une campagne de vaccination de masse ayant duré dix ans. De même, la maladie est éradiquée en Chine en 1965, à la suite d’une campagne de vaccination de masse débutée en 1951. On considère qu’en 1953, la variole est éradiquée en Europe et dans l’ensemble du continent américain, à l’exception de quelques épidémies importées par des voyageurs et facilement maîtrisées. Cependant, la situation est demeurée très préoccupante en Afrique et en Asie, avec de nombreuses épidémies mortelles. En 1967, plus de 40 pays déclaraient encore l’existence de nombreux cas de variole endémique.

Un programme mondial d’éradication de la variole

La question d’un programme mondial d’éradication de la variole est discutée en 1958 lors de la Onzième Assemblée mondiale de la santé, à Minneapolis. Le Pr Viktor Zhdanov, vice-ministre de la Santé d’URSS et chef de la délégation soviétique, présente un rapport dans lequel il affirme que l’éradication est réalisable sur la base des résultats obtenus par certains programmes nationaux, comme dans son pays et en Chine. Il propose que des campagnes de vaccination et de revaccination soient menées dans toutes les régions endémiques du monde, en instituant la vaccination obligatoire. Selon lui, l’effort financier considérable exigé est justifié par la menace constante d’épidémies importées à partir des pays d’endémie. L’éradication de la variole en zone d’endémie pourrait être obtenue en quelques années en vaccinant ou en revaccinant avec succès 80  % de la population. En mai 1959, la Douzième Assemblée mondiale de la santé adopte à l’unanimité la résolution et décide d’entreprendre un programme d’éradication mondiale de la variole.

Le programme prévoit de vacciner 80 % de la population dans les pays où la variole est endémique et même d’atteindre des taux plus élevés dans les villes densément peuplées. Une unité d’éradication de la variole, dirigée par Donald Henderson, un médecin américain des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta, est mise en place à Genève. Sa mission est de suivre la situation épidémiologique dans les régions endémiques en collectant les informations provenant du terrain. Fondée sur l’absence de réservoir animal et de porteurs sains, la vaccination de masse cherche à couvrir 80 % de la population, ce qui serait suffisant pour stopper la circulation du virus. Cette stratégie a permis d’éliminer la variole dans certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, mais le fléau persiste en Inde et en Afrique de l’Est en dépit de très forts taux de vaccination. En réalité, ces taux étaient largement surestimés, car ils ne tenaient pas compte des échecs fréquents ni de nombreux biais de recrutement des vaccinés.

Un heureux hasard a permis de découvrir une remarquable innovation qui s’avérera très efficace : la vaccination « en anneau  » (ring vaccination). Installé à Yahé, ville de l’est du Nigeria, William Foege, un jeune médecin américain de santé publique, est confronté en 1966 à une épidémie débutante de variole qui touche plusieurs villages. Du fait de l’insuffisance de doses de vaccins, il ne peut mettre en œuvre la stratégie de vaccination de masse. Il décide de vacciner uniquement les cas contacts des varioleux, pour prévenir la dissémination. Il réussit à stopper cette épidémie avec très peu de doses de vaccins. L’année suivante, il met en place avec succès un programme d’éradication de la variole dans la région est du Nigeria en adoptant cette stratégie. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la question cruciale devient dès lors la détection précoce des cas pour mettre en œuvre la vaccination en anneau. 

Finalement, après des années de lutte intensive, le dernier cas spontané de variole majeure est enregistré au Bangladesh, dans l’île de Bhola, le 16 octobre 1975, chez une petite fille de 2 ans, Rahima Banu (fig. 5A). Le dernier refuge de la variole aura été la Corne de l’Afrique, où sévissait surtout la variole mineure. Le dernier cas de variole, un patient nommé Ali Maow Maalin souffrant d’alastrim, survient le 27 octobre 1977 en Somalie (fig. 5B). Le 8 mai 1980, l’OMS annonce officiellement l’éradication de la variole de la surface du globe. Le coût de la campagne qui a mobilisé 100 000 personnes sur le terrain n’a été que de 300 millions de dollars  !

Du smallpox au monkeypox

À la suite d’une contamination accidentelle à Birmingham en août 1978 provenant d’un laboratoire de haute sécurité, l’OMS a demandé la destruction des stocks de virus smallpox existant un peu partout dans le monde, à l’exception de deux laboratoires officiels de l’OMS, à Atlanta et à Moscou (aujourd’hui à Koltsovo, Sibérie) où sont congelés des centaines de virus viables. L’arrêt de la vaccination dans la plupart des pays à partir de 1980 a entraîné une perte de la résistance de la population, qui redevient très sensible au virus. Cette baisse de l’immunité pourrait avoir favorisé l’émergence en Afrique du virus monkeypox, un virus apparenté au virus smallpox, qui a frappé d’abord les enfants africains puis s’est propagé dans le monde par voie sexuelle en 2022. La vaccine de Jenner obtenue sur génisses est aujourd’hui remplacée par un virus vaccinal produit sur cultures cellulaires ou œufs de poule (ACAM 2007), et surtout par la souche MVA obtenue par 500 passages sur culture de fibroblastes d’embryons de poule. Ce vaccin vivant non réplicatif est très bien toléré, utilisable chez les femmes enceintes et les immunodéprimés. Il confère une très bonne protection contre le virus monkeypox.

Référence
1. Berche P. Life and death of smallpox. Presse Med 2022;51(3):104-17.

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