La prise en charge des arthrites juvéniles idio­pathiques (AJI) à l’âge adulte est une nécessité compte tenu de l’évolutivité persistante de bon nombre de ces affections largement au-delà de l’enfance ; et ce bien que leur prise en charge se soit améliorée dans les vingt dernières années grâce, d’une part, aux progrès thérapeutiques (biothérapies) et, d’autre part, à la mise en place des programmes de transition de la pédiatrie vers les services de rhumatologie.

Transition : une étape fondamentale

Depuis plus de vingt ans, les programmes de transition se sont imposés dans toutes les spécialités prenant en charge les maladies chroniques de l’enfant. L’objectif est double : permettre l’autonomisation du jeune patient et éviter une rupture du suivi préjudiciable à un bon pronostic. En effet, durant la phase pédiatrique, ce sont le plus souvent les parents qui sont les interlocuteurs des professionnels de santé ; le passage dans le service de rhumatologie ne peut se faire que lorsque le jeune patient est jugé capable de se prendre en charge lui-même : contact avec les professionnels de santé, mise en œuvre de son traitement. Cette prise en charge dans le service adulte doit impliquer un rhumatologue ayant une bonne connaissance de la pathologie arti­culaire pédiatrique et au mieux après une consultation conjointe impliquant le rhumatologue pédiatre ayant assuré la prise en charge pédiatrique et le rhumatologue qui assurera la poursuite de cette prise en charge.
Ce développement de filières de suivi (dans le cadre des centres de référence et de compétence) permet également la surveillance prolongée de cohortes de patients, source de multiples informations susceptibles d’améliorer la prise en charge et le pronostic des AJI.

Évolution à moyen et long termes des AJI

Peu de cohortes récentes suivies à moyen et long termes sont disponibles pour tenir compte de l’amélioration du pronostic contemporaine de l’utilisation des biothérapies.

Quelques données récentes

Dans la cohorte suédoise de Bertilsson et al.,1 132 AJI diagnostiquées entre 1984 et 1986 ont pu être évaluées après cinq ans (129/132 cas) et dix-sept ans (86/132 cas) d’évolution. Cette cohorte comprenait majoritairement des AJI oligoarticulaires (38 %), 26 % de formes mono­articulaires et 22 % de formes initialement polyarti­culaires. À cinq ans, quelques patients initialement oligoarticulaires étaient devenus polyarticulaires (8/33 cas) ; 38 % des patients étaient en rémission, 20 % avaient une maladie inactive, 29 % étaient stables et 13 % étaient toujours évolutifs. À dix-sept ans, 40 % étaient en rémission, 18 % en maladie inactive, 40 % étaient stables sous traitement et 2 % restaient évolutifs. Soit un total de 40 % de patients en rémission avec ou sans traitement.
Dans une cohorte scandinave récente2 de 434 AJI diagnostiquées entre 1997 et 2000 et revues avec un recul de dix-huit ans, 46 % des patients avaient une maladie active, 19 % étaient traités par biothérapie et 15 % par disease-modifying antirheumatic drugs (DMARD) conventionnels ; 48 % avaient une maladie inactive définie par un juvenile arthritis disease activity score-71 (JADAS-71) inférieur à 1 et 33 % étaient en rémission sans traitement. L’évolution était différente selon les types d’AJI, le meilleur pronostic (rémission) étant observé dans les oligoarthrites persistantes et dans les AJI systémiques, et le moins bon dans les spondy­loarthropathies juvéniles. Ces données évolutives sont assez superposables à celles d’une cohorte plus ancienne.3

Attention à la remise en cause du diagnostic d’AJI

La deuxième notion essentielle est que les patients suivis dans l’enfance pour une AJI doivent, dans la majorité des cas, conserver le même diagnostic à l’âge adulte, et ce notamment pour les formes polyarticulaires d’AJI, qui ne doivent pas être systématiquement considérées comme des polyarthrites rhumatoïdes (tableau).4 Néanmoins, les critères diagnostiques des rhumatismes inflammatoires n’étant pas superposables chez l’enfant et chez l’adulte, cela peut parfois conduire à des remises en cause du diagnostic.
L’étude d’une cohorte de 426 patients suivis dans un service de rhumatologie après une durée moyenne d’évolution de vingt-deux ans montre que quelques patients ont vu leur diagnostic modifié en se fondant sur les critères de l’American College of Rheumatology (ACR).5 Parmi les patients qui avaient une AJI systémique, 92 % remplissaient les critères de maladie de Still de l’adulte ; les AJI polyarticulaires avec facteur rhumatoïde (FR) satisfaisaient dans 95 % des cas les critères de poly­arthrite rhumatoïde, alors que seules 57 % des AJI polyarticulaires sans facteur rhumatoïde remplissaient ces critères ; 95 % des arthrites et enthésites satisfaisaient les critères de spondylarthrites. Les discordances les plus importantes se trouvaient dans le groupe des AJI oligoarticulaires : dans ce cas, les critères de spondy­larthrite étaient parfois remplis mais sans la présence de l’antigène HLA-B27 ; les autres cas restaient « inclassés » selon les critères de l’ACR en raison du caractère strictement pédiatrique de ces oligoarthrites, rendant nécessaire de conserver le diagnostic pédiatrique. Dans cette cohorte avec plus de vingt-deux ans de recul, 67 % des patients restaient en phase active, 71,9 % avaient un traitement de fond synthétique ou biologique ; 36 % des patients étaient en rémission sans traitement et seuls 11 % présentaient des séquelles ou un handicap.

Atteinte radiologique

Une atteinte radiologique est retrouvée surtout dans les AJI polyarticulaires avec facteur rhumatoïde et les AJI à évolution polyarticulaire ; les AJI oligoarticulaires persistantes ou faiblement extensives et les spondy­larthropathies juvéniles sont peu ou pas destructrices.
Dans une ancienne cohorte de 30 patients atteints d’AJI suivis à l’âge adulte6 et comportant un tiers d’AJI oligoarticulaire persistante, un tiers d’AJI polyarti­culaire sans facteur rhumatoïde et un tiers d’AJI polyarticulaire avec facteur rhumatoïde, seuls 46 % des patients avaient des lésions destructrices radiologiques.
En revanche, dans une étude comportant 43 cas d’AJI polyarticulaires (54 % avec facteur rhumatoïde et 52 % avec anticorps anti-CCP)7 évoluant en moyenne depuis treize ans, l’analyse des radiographies retrouvait des lésions au niveau des mains dans 79 % des cas (du carpe et des métacarpo-phalangiennes) et des pieds dans 74 % des cas (essentiellement métatarso-phalangiennes) ; 35 % des patients avaient des lésions au niveau des hanches, bilatérales dans 60 % des cas.

Évolution de la qualité de vie

La qualité de vie dépend largement du type initial d’AJI.
Une étude française8 a évalué la qualité de vie de 161 patients avec AJI, en rémission avec ou sans traitement pour 40 % des cas, évoluant en moyenne depuis quinze ans, par comparaison avec des témoins sains. Les arthrites systémiques et les polyarthrites étaient les groupes avec le plus de handicap (respectivement 30 % et 20 %), sachant que ces patients avaient, pour la plupart, débuté leur maladie avant l’ère des bio­thérapies.
De même, dans une étude suédoise de 336 cas d’AJI diagnostiqués entre 1980 et 1985, et revus après quinze et vingt-trois ans pour 260 d’entre eux, on observe une qualité de vie altérée essentiellement dans les formes polyarticulaires et les spondylarthropathies juvéniles.9
Les biothérapies améliorent le pronostic mais ne permettent pas de suspendre le suivi médical. L’apport des biothérapies permet l’amélioration du pronostic en matière de rémission et de handicap.
La cohorte de Giancane et al.10 comprend 310 cas d’AJI diagnostiqués entre 1986 et 2002 suivis pendant plus de cinq ans ; 239 avaient reçu du méthotrexate et 71 une biothérapie. Dans la cohorte méthotrexate, 42 % des oligoarthrites et 31 % des polyarthrites sont en rémission sans traitement, comparativement à 48 % et 41 % dans la cohorte biothérapie. De même, les séquelles articulaires sont présentes dans 17,6 % versus 11 % pour les oligoarthrites et 52,6 % versus 21,8 % pour les polyarthrites.

Impact négatif des comorbidités

Les comorbidités constituent également un élément pouvant grever le pronostic des AJI à l’âge adulte.
Dans le registre allemand JUMBO (suivi des patients adultes atteints d’AJI préalablement suivis dans le registre des AJI traitées par biothérapies), les comorbi­dités ont été évaluées chez 344 patients grâce à un questionnaire rempli tous les six mois par le patient et le médecin.11 Les comorbidités étaient définies comme un état pathologique lié ou indépendant coexistant avec l’AJI. Les patients avaient en moyenne 19,7 ans, et l’AJI évoluait en moyenne depuis 10,6 ans ; 26,5 % étaient des polyarthrites sans facteur rhumatoïde, 11 % des poly­arthrites avec facteur rhumatoïde, 22 % des oligo­arthrites et 22 % des spondylarthropathies. Près de 62 % des ­patients rapportaient une comorbidité ; les plus fréquentes étaient cardiovasculaires (10 %), gastro-intestinales (4 %), ophtalmologiques (uvéite chez 18 % des patients) et, dans 9,3 % des cas, psychiatriques (dépression, anxiété). Fait important, cette cohorte a été comparée à des témoins appariés pour l’âge et le sexe et aucune différence significative n’a été retrouvée. La survenue de comorbidités est, en revanche, liée à la sévérité de l’AJI et à son caractère très inflammatoire, avec une augmentation de la fréquence dans les AJI systémiques (80 % versus 62 %) et une corrélation entre présence d’une comorbidité et plusieurs lignes de traitement DMARD.
La présence de comorbidité influe négativement sur la qualité de vie : la présence d’une comorbidité et d’une évolutivité inflammatoire sont des facteurs prédictifs indépendants d’une baisse du score SF-36 (score de qualité de vie liée à la santé), que ce soit sa composante physique ou mentale.
Le risque cardiovasculaire a fait l’objet d’une étude cas-témoins dans une cohorte nord-américaine de 41 cas d’AJI avec plus de trente ans de recul, comparées à 41 témoins et d’une cohorte scandinave de 170 cas d’AJI ayant un recul de vingt-neuf ans comparées à 90 témoins. Aucune différence significative n’a été observée pour les événements cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, le diabète.12 Cependant, une étude de la fonction cardiaque chez 85 patients atteints d’AJI âgés en moyenne de 38,6 ans et évoluant depuis vingt-neuf ans avec une évolutivité inflammatoire de plus de quinze ans rapporte un épaississement du septum interven­triculaire et une augmentation de la pression de ­remplissage du ventricule gauche sans dysfonction ventriculaire gauche.13

Adaptation du traitement à l’âge adulte

L’objectif du traitement reste l’obtention d’une rémission ou d’une faible activité de la maladie. Les stratégies thérapeutiques ne diffèrent pas sensiblement de celles utilisées pendant la période pédiatrique. La cortico­thérapie peut être utilisée avec moins de réticence que durant la période de croissance. 
Encadre

Sur-risque de complications pendant la grossesse en cas d’AJI évolutive

Deux études importantes de cohortes en Australie et en Suède14,15 montrent que les grossesses sont moins nombreuses chez les patientes ayant une AJI et que les complications (prééclampsie, accouchement prématuré et petit poids de naissance) sont deux à trois fois plus fréquentes en cas d’AJI restant évolutive à l’âge adulte ; en revanche, en cas d’AJI non évolutive à l’âge adulte, il n’y a pas de sur-risque de complications.

Pour les traitements de fond, une information claire doit être donnée aux patientes en âge de procréer concernant le méthotrexate, les incitant à associer une contraception médicamenteuse qui peut être stoppée en même temps que le méthotrexate en cas de désir de grossesse ; la conception peut être envisagée après un cycle sans méthotrexate. Peu de données sont disponibles chez l’homme, mais, a priori, il n’y a pas de risque identifié sur les spermatozoïdes.

Pour les biothérapies anti-TNFα, il faut privilégier la prescription de certolizumab pégol, dont les études ont montré le très faible passage placentaire et l’absence de retentissement sur le développement du fœtus.16 Les autres anti-TNFα ont fait l’objet d’études rétrospectives17, et leur maintien pendant la grossesse peut être envisagé au cas par cas s’il est vraiment nécessaire.

Références
1. Bertilsson L, Andersson-Gare B, Fasth A, et al. Disease course, outcome and predictors of outcome in a population-based juvenile chronic arthritis cohort followed for 17 years. J Rheumatol 2013;40:715-24.
2. Glerup M, Rypdal V, Arnstadt ED, et al. Long term outcomes in juvenile idiopathic arthritis: Eighteen years of follow-up in the population-based nordic juvenile idiopathic arthritis cohort. Arthritis Care Res 2020;72:507-16.
3. Fantini F, Gerloni V, Gattinara M, et al. Remission in juvenile chronic arthritis: A cohort study of 683 consecutive cases with a mean 10 year follow-up. J Rheumatol 2003;30:579-84.
4. Feger DM, Longson N, Dodanwala H, et al. Comparison of adults with polyarticular juvenile idiopathic arthritis to adults with rheumatoid arthritis. J Clin Rheum 2019; 25:163-70.
5. Oliveira-Ramos F, Eusebio M, Martins FM, et al. Juvenile idiopathic arthritis in adulthood: Fulfilment of classification criteria for adult rheumatic disease, long term outcomes and predictors of inactive disease, functional status and damage. RMD Open 2016;2(2):e000304.
6. Koivuniemi R, Leisario-Repo M. Juvenile chronic arthritis in adult life: A study of long-term outcome in patients with juvenile chronic arthritis or adult rheumatoid arthritis. Clin Rheumatol 1999;18:220-6.
7. Elhai M, Bazeli R, Freire V, et al. Radiological peripheral involvement in a cohort of patients with polyarticular juvenile idiopathic arthritis at adulthood. J Rheumatol 2015;40:520-7.
8. Wipff J, Sparsa L, Lohse A, et al. Impact of juvenile chronic arthritis on quality of life during transition period at the era of biotherapies. J Bone Spine 2016;83:69-74.
9. Tollsen A, Selvaag AM, Aulie HA, et al. Physical functioning, pain and health related quality of life in adults with juvenile idiopathic arthritis: A longitudinal 30 year follow-up study. Arthritis Care Res 2018;70:741-9.
10. Giancane G, Muratore V, Marzetti V, et al. Disease activity and damage in juvenile idiopathic arthritis: Methotrexate era versus biologic era. Arthritis Res Ther 2019;21:168.
11. Raab A, Sengler C, Niewerth M, et al. Comorbidity profiles among adult patients with juvenile idiopathic arthritis: Results of a biologic register. Clin Exp Rheumatol 2013;31:796-802.
12. Anderson JH, Anderson KR, Aulie HA, et al. Juvenile idiopathic arthritis and future risk for cardiovascular disease: A multicenter study. Scand J Rheumatol 2016;45:299-303.
13. Aulie HA, Estensen ME, Selvaag AM, et al. Cardiac function in adult patients with juvenile idiopathic arthritis. J Rheumatol 2015;42:1716-23.
14. Cheng JS, Ford JB, Roberts CL, et al. Pregnancy outcome in women with juvenile idiopathic arthritis: A population based study. Rheumatology 2013;52:1119-25.
15. Remaeus K, Johansson K, Askling J, et al. Juvenile onset arthritis and pregnancy outcome: A population-based cohort study. Ann Rheum Dis 2017;76:1809-14.
16. Mariette X, Förger F, Abraham B, et al. Lack of placental transfer of certolizumab pegol during pregnancy: Results from CRIB, a prospective postmarketing, pharmacokinetic study. Ann Rheum Dis 2018,78:226-33.
17. Romanowska-Prochnicka K, Fells-Giemza A, Olesinska M, et al. The role of TNFα and anti-TNFα during conception, pregnancy and breastfeeding. Int J Mol Sci 2021;22:2922.

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Résumé

Les arthrites juvéniles idiopathiques restent évolutives à l’âge adulte dans 40 % des cas en moyenne, avec des différences selon les formes (oligoarticulaire, polyarticulaire, spondylarthropathie). Il est fondamental d’assurer un lien entre le suivi pédiatrique et celui à l’âge adulte, conduisant à ne pas remettre en cause le diagnostic pédiatrique. L’enjeu est de poursuivre une stratégie thérapeutique visant à maintenir une absence d’évolutivité inflammatoire, une qualité de vie satisfaisante et une absence ou un minimum de séquelles. Les cohortes ainsi constituées permettront le recueil de données informatives pour le devenir à long terme et le risque de survenue de comorbidités.