Transition : une étape fondamentale
Ce développement de filières de suivi (dans le cadre des centres de référence et de compétence) permet également la surveillance prolongée de cohortes de patients, source de multiples informations susceptibles d’améliorer la prise en charge et le pronostic des AJI.
Évolution à moyen et long termes des AJI
Quelques données récentes
Dans une cohorte scandinave récente2 de 434 AJI diagnostiquées entre 1997 et 2000 et revues avec un recul de dix-huit ans, 46 % des patients avaient une maladie active, 19 % étaient traités par biothérapie et 15 % par disease-modifying antirheumatic drugs (DMARD) conventionnels ; 48 % avaient une maladie inactive définie par un juvenile arthritis disease activity score-71 (JADAS-71) inférieur à 1 et 33 % étaient en rémission sans traitement. L’évolution était différente selon les types d’AJI, le meilleur pronostic (rémission) étant observé dans les oligoarthrites persistantes et dans les AJI systémiques, et le moins bon dans les spondyloarthropathies juvéniles. Ces données évolutives sont assez superposables à celles d’une cohorte plus ancienne.3
Attention à la remise en cause du diagnostic d’AJI
L’étude d’une cohorte de 426 patients suivis dans un service de rhumatologie après une durée moyenne d’évolution de vingt-deux ans montre que quelques patients ont vu leur diagnostic modifié en se fondant sur les critères de l’American College of Rheumatology (ACR).5 Parmi les patients qui avaient une AJI systémique, 92 % remplissaient les critères de maladie de Still de l’adulte ; les AJI polyarticulaires avec facteur rhumatoïde (FR) satisfaisaient dans 95 % des cas les critères de polyarthrite rhumatoïde, alors que seules 57 % des AJI polyarticulaires sans facteur rhumatoïde remplissaient ces critères ; 95 % des arthrites et enthésites satisfaisaient les critères de spondylarthrites. Les discordances les plus importantes se trouvaient dans le groupe des AJI oligoarticulaires : dans ce cas, les critères de spondylarthrite étaient parfois remplis mais sans la présence de l’antigène HLA-B27 ; les autres cas restaient « inclassés » selon les critères de l’ACR en raison du caractère strictement pédiatrique de ces oligoarthrites, rendant nécessaire de conserver le diagnostic pédiatrique. Dans cette cohorte avec plus de vingt-deux ans de recul, 67 % des patients restaient en phase active, 71,9 % avaient un traitement de fond synthétique ou biologique ; 36 % des patients étaient en rémission sans traitement et seuls 11 % présentaient des séquelles ou un handicap.
Atteinte radiologique
Dans une ancienne cohorte de 30 patients atteints d’AJI suivis à l’âge adulte6 et comportant un tiers d’AJI oligoarticulaire persistante, un tiers d’AJI polyarticulaire sans facteur rhumatoïde et un tiers d’AJI polyarticulaire avec facteur rhumatoïde, seuls 46 % des patients avaient des lésions destructrices radiologiques.
En revanche, dans une étude comportant 43 cas d’AJI polyarticulaires (54 % avec facteur rhumatoïde et 52 % avec anticorps anti-CCP)7 évoluant en moyenne depuis treize ans, l’analyse des radiographies retrouvait des lésions au niveau des mains dans 79 % des cas (du carpe et des métacarpo-phalangiennes) et des pieds dans 74 % des cas (essentiellement métatarso-phalangiennes) ; 35 % des patients avaient des lésions au niveau des hanches, bilatérales dans 60 % des cas.
Évolution de la qualité de vie
Une étude française8 a évalué la qualité de vie de 161 patients avec AJI, en rémission avec ou sans traitement pour 40 % des cas, évoluant en moyenne depuis quinze ans, par comparaison avec des témoins sains. Les arthrites systémiques et les polyarthrites étaient les groupes avec le plus de handicap (respectivement 30 % et 20 %), sachant que ces patients avaient, pour la plupart, débuté leur maladie avant l’ère des biothérapies.
De même, dans une étude suédoise de 336 cas d’AJI diagnostiqués entre 1980 et 1985, et revus après quinze et vingt-trois ans pour 260 d’entre eux, on observe une qualité de vie altérée essentiellement dans les formes polyarticulaires et les spondylarthropathies juvéniles.9
Les biothérapies améliorent le pronostic mais ne permettent pas de suspendre le suivi médical. L’apport des biothérapies permet l’amélioration du pronostic en matière de rémission et de handicap.
La cohorte de Giancane et al.10 comprend 310 cas d’AJI diagnostiqués entre 1986 et 2002 suivis pendant plus de cinq ans ; 239 avaient reçu du méthotrexate et 71 une biothérapie. Dans la cohorte méthotrexate, 42 % des oligoarthrites et 31 % des polyarthrites sont en rémission sans traitement, comparativement à 48 % et 41 % dans la cohorte biothérapie. De même, les séquelles articulaires sont présentes dans 17,6 % versus 11 % pour les oligoarthrites et 52,6 % versus 21,8 % pour les polyarthrites.
Impact négatif des comorbidités
Dans le registre allemand JUMBO (suivi des patients adultes atteints d’AJI préalablement suivis dans le registre des AJI traitées par biothérapies), les comorbidités ont été évaluées chez 344 patients grâce à un questionnaire rempli tous les six mois par le patient et le médecin.11 Les comorbidités étaient définies comme un état pathologique lié ou indépendant coexistant avec l’AJI. Les patients avaient en moyenne 19,7 ans, et l’AJI évoluait en moyenne depuis 10,6 ans ; 26,5 % étaient des polyarthrites sans facteur rhumatoïde, 11 % des polyarthrites avec facteur rhumatoïde, 22 % des oligoarthrites et 22 % des spondylarthropathies. Près de 62 % des patients rapportaient une comorbidité ; les plus fréquentes étaient cardiovasculaires (10 %), gastro-intestinales (4 %), ophtalmologiques (uvéite chez 18 % des patients) et, dans 9,3 % des cas, psychiatriques (dépression, anxiété). Fait important, cette cohorte a été comparée à des témoins appariés pour l’âge et le sexe et aucune différence significative n’a été retrouvée. La survenue de comorbidités est, en revanche, liée à la sévérité de l’AJI et à son caractère très inflammatoire, avec une augmentation de la fréquence dans les AJI systémiques (80 % versus 62 %) et une corrélation entre présence d’une comorbidité et plusieurs lignes de traitement DMARD.
La présence de comorbidité influe négativement sur la qualité de vie : la présence d’une comorbidité et d’une évolutivité inflammatoire sont des facteurs prédictifs indépendants d’une baisse du score SF-36 (score de qualité de vie liée à la santé), que ce soit sa composante physique ou mentale.
Le risque cardiovasculaire a fait l’objet d’une étude cas-témoins dans une cohorte nord-américaine de 41 cas d’AJI avec plus de trente ans de recul, comparées à 41 témoins et d’une cohorte scandinave de 170 cas d’AJI ayant un recul de vingt-neuf ans comparées à 90 témoins. Aucune différence significative n’a été observée pour les événements cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, le diabète.12 Cependant, une étude de la fonction cardiaque chez 85 patients atteints d’AJI âgés en moyenne de 38,6 ans et évoluant depuis vingt-neuf ans avec une évolutivité inflammatoire de plus de quinze ans rapporte un épaississement du septum interventriculaire et une augmentation de la pression de remplissage du ventricule gauche sans dysfonction ventriculaire gauche.13
Adaptation du traitement à l’âge adulte
Sur-risque de complications pendant la grossesse en cas d’AJI évolutive
Deux études importantes de cohortes en Australie et en Suède14,15 montrent que les grossesses sont moins nombreuses chez les patientes ayant une AJI et que les complications (prééclampsie, accouchement prématuré et petit poids de naissance) sont deux à trois fois plus fréquentes en cas d’AJI restant évolutive à l’âge adulte ; en revanche, en cas d’AJI non évolutive à l’âge adulte, il n’y a pas de sur-risque de complications.
Pour les traitements de fond, une information claire doit être donnée aux patientes en âge de procréer concernant le méthotrexate, les incitant à associer une contraception médicamenteuse qui peut être stoppée en même temps que le méthotrexate en cas de désir de grossesse ; la conception peut être envisagée après un cycle sans méthotrexate. Peu de données sont disponibles chez l’homme, mais, a priori, il n’y a pas de risque identifié sur les spermatozoïdes.
Pour les biothérapies anti-TNFα, il faut privilégier la prescription de certolizumab pégol, dont les études ont montré le très faible passage placentaire et l’absence de retentissement sur le développement du fœtus.16 Les autres anti-TNFα ont fait l’objet d’études rétrospectives17, et leur maintien pendant la grossesse peut être envisagé au cas par cas s’il est vraiment nécessaire.
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