Le 14 avril dernier, l’Assurance maladie expliquait sur son site comment signaler un remboursement suspect de soin ou d’acte médical1 : il suffit de demander au chatbot « Comment signaler un remboursement suspect ? » ; un espace de dialogue s’ouvre alors, permettant de déclarer une sus­picion de fraude au moyen d’un formulaire ; il suffit ensuite de choisir dans la liste des propositions de motifs « Remboursements des soins », d’expliquer son signalement dans un message et de cocher la case « Signaler un acte médical ou un soin non réalisé » avant de cliquer sur « Envoyer ». L’Assurance maladie ajoute que l’assuré pourra être contacté pour plus de précisions. Elle précise enfin que cette démarche sera bientôt simplifiée : l’assuré recevra un courriel pour chaque remboursement effectué. L’objectif est clairement énoncé : « L’envoi de mails à échéance régulière permettra [...] de renforcer (la) vigilance (de l’assuré) ». Et, toujours plus aisé, début 2026, chaque assuré pourra signaler toute suspicion de fraude directement depuis la rubrique « Mes paiements » de son compte ameli.

Les assurés sont donc désormais invités, voire incités, à dénoncer tout soupçon de fraude de la part des professionnels de santé. D’où est venue cette idée ?

Cette initiative a été insufflée après des constats ayant alerté l’Assurance maladie, qui formule des vœux d’économies : en 2024, elle a détecté et arrêté des fraudes valant 628 millions d’euros (en hausse de 35 % par rapport à 2023 mais ne représentant, notons-le, que 0,2 % de son budget annuel global).2 Les professionnels de santé de ville sont en cause dans 27 % des fraudes identifiées en nombre, et ces fraudes représentent 68 % du montant total (ces proportions sont respectivement de 52 % et 18 % pour les assurés ; 21 % et 14 % pour les établissements).2 

Or, si la détection des fraudes commises par les professionnels de santé a augmenté en 2024 (+ 29 % comparé à 2023), elles sont essentiellement le fait des audioprothésistes : 115 millions d’euros en 2024 (contre 21 en 2023) versus 10 millions d’euros pour les médecins généralistes (en baisse de 44 % par rapport à 2023).3 Les fraudes commises par les assurés concernent notamment les indemnités journalières et ont largement crû en 2024 (42 millions d’euros contre 17 en 2023). Concernant les fraudes commises par les assurés toujours, un téléservice a été mis en place, permettant aux pharmaciens de signaler un soupçon de fausse ordonnance et, réciproquement, à l’Assurance maladie d’alerter rapidement l’ensemble des pharmacies françaises de la circulation d’ordonnances frauduleuses.

Proposer la dénonciation des professionnels de santé par les assurés, n’est-ce pas la porte ouverte à toutes les dérives ?

À une époque où l’on voit fleurir des avis étoilés sur internet à propos des médecins, qui traduisent parfois des décharges émotionnelles et un mécontentement non lié directement aux soins prodigués, dans un contexte de désinhibition de la parole derrière l’écran ; à une époque où il semble bienvenu d’opposer population et soignants, stigmatisant ces derniers quitte à leur attribuer la responsabilité du dysfonctionnement du système de santé français pourtant porté par des politiques défaillantes depuis plusieurs dizaines d’années… il est licite de s’interroger sur ces méthodes. Communiquer de manière transparente et honnête envers les assurés sur la répartition de ces fraudes serait la moindre des choses. Et ce ne sont pas les patients des audioprothésistes qui seront les plus en capacité de dénoncer des agissements frauduleux… L’efficience sera donc très relative ! Faut-il vraiment fragiliser encore les rapports patients-­soignants pour ce maigre gain ?

Si l’on ne peut que condamner les fraudes avérées inadmissibles commises par certains confrères, on est, en tout état de cause, en droit d’attendre que ces dénonciations soient correctement traitées et non prises pour argent comptant. Or, lorsque l’on sait que ­l’Assurance maladie compte seulement 1 600 agents pour lutter contre la fraude en 2025, on ne peut cacher son inquiétude !3 Sera-t-il demandé au médecin de prouver qu’il a effectué tel acte ou tel soin signalé par le patient comme non réalisé ? Sera-ce donc alors la parole du patient contre celle du praticien ? Qui jugera où se trouve la vérité et selon quels critères ? Comment la confiance pourra-t-elle perdurer dans de telles circonstances ? 

Références 
1. Remboursement suspect d’un soin ou d’un acte médical : comment le signaler ? ameli.fr Assuré.
2. Lutte contre les fraudes à l’Assurance maladie : des résul­tats records en 2024. ameli.fr Assuré.
3. Assurance maladie : 628 millions d’euros de fraudes détectées...sur 4 milliards de fraudes estimées. Fondation IFRAP.