En quoi consiste votre métier ?
À Paris, un médecin de PMI a essentiellement trois missions. La première est d’assurer des consultations, gratuites, universelles, de prévention et de dépistage pour les moins de six ans. La seconde est d’intervenir auprès des lieux d’accueil de la petite enfance : chaque établissement a l’obligation d’avoir un médecin référent. Il y est garant de la santé, de la sécurité et de l’hygiène. Il donne son accord pour l’admission des plus fragiles. En coordination avec le médecin traitant de l’enfant, ses parents et la responsable de l’établissement, il met en place les protocoles d’accueil individualisé (en cas de pathologies chroniques et/ou de handicap). Il dépiste d’éventuels troubles développementaux ou sensoriels.
J’ai cinq établissements en charge. Je m’y rends environ une fois par mois et j’essaie de faire connaissance avec tous les enfants, les professionnel(le)s et les parents (que je rencontre à leur demande ou à la mienne).
Enfin, à Paris (mais l’organisation n’est pas identique dans tous les départements), notre troisième mission est la protection de l’enfance : nous coordonnons les prises en charge des moins de trois ans, sur un secteur géographique, en binôme avec des puéricultrices et en partenariat avec les institutions et les services ad hoc. Nous pouvons ainsi être amenés à participer à des évaluations de familles à la demande de la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes), pour des enfants dont on craint qu’ils soient en danger.
Quelle formation avez-vous reçue ?
Je suis médecin généraliste. J’ai commencé par exercer en libéral (remplacements), avec une patientèle régulière, essentiellement constituée de familles. En parallèle, j’ai suivi un DU de pédiatrie, des vacations en PMI et assisté à des réunions de protection de l’enfance, en « auditeur libre ».
Médecin salariée de la fonction publique, c’est un choix ?
Non. Mon choix a été celui de la PMI ! Je l’ai découverte pendant mes études, en stage SASPAS, où j’ai rencontré des professionnel(le)s passionnants et passionnés.
Cela étant dit, être salariée me convient très bien. Je ne suis pas du tout attirée par l’exercice libéral, que j’ai connu en remplaçant : je préfère nettement le travail en équipe pluriprofessionnelle. Il permet de croiser les regards.
Avant la consultation, la puéricultrice ou une auxiliaire de puériculture fait un premier bilan avec les parents (poids, taille, alimentation, etc.). À la fin de celle-ci, nous échangeons avec les professionnels impliqués, en tenant compte de ce que les familles acceptent de partager.
Nous nous réunissons régulièrement, avec des psychologues, les puéricultrices, les sages-femmes, les psychomotriciens, les cadres… ainsi qu’avec les services partenaires. Nous évoquons les prises en charge de situations complexes, les questions d’organisation, les projets à mener, etc.
Tous ces échanges se font en transparence avec les parents. Il est fondamental qu’ils soient au courant de ce qui se dit à leur propos. Si nous sommes inquiets, nous nous devons de le leur signaler (sauf intérêt contraire de l’enfant, cela va de soi !).
Travailler dans la fonction publique ne va pas sans quelques lourdeurs, mais il y a aussi beaucoup d’avantages, ne serait-ce que l’offre de formations (initiale et continue, en protection de l’enfance, vaccinologie, congrès et séminaires…)
Les professionnels de PMI sont en général passionnés, empathiques et très bienveillants, avec les familles et les collègues. Ces qualités sont fondamentales car ce travail expose parfois à des situations extrêmement dégradées. Il est souvent ardu et peu valorisé. Mais vécu de l’intérieur, il est très valorisant !
Pourquoi vous être lancée dans l’écriture d’un blog ?
C’est une amie qui m’en a donné l’idée. Je lui racontais quelques-unes des situations vécues (passionnantes, étonnantes, mais aussi éprouvantes). « Mais écris tout ça ! », m’a-t-elle lancé. Le soir même, j’ouvrais mon blog ! Et je n’ai pas cessé : je dois avoir rédigé 400 articles…
Comment écrivez-vous ?
Uniquement quand cela me prend, c’est donc fluctuant ! Le plus souvent, sur mon téléphone portable et je termine toujours par le titre. Je prends parfois des notes au cours d’une réunion ou à l’occasion d’une rencontre avec une famille. Mes récits sont composites, faits de plusieurs histoires mêlées. C’est la règle pour respecter le secret professionnel : pas question qu’une famille puisse être reconnue !
Enfin j’illustre mes chroniques par la couverture d’un ouvrage pour enfants en rapport avec le sujet traité. La littérature enfantine est extraordinairement riche et j’estime qu’il est fondamental que les petits se familiarisent précocement avec les livres. Je conseille souvent aux parents d’aller à la bibliothèque, lieu ressource fabuleux et très accessible. Même si certains ne savent pas lire, les images constituent un support pour raconter des histoires, échanger, transmettre, vivre un moment complice… et ça, c’est fondamental pour le développement d’un enfant !
Pour qui écrivez-vous ?
Initialement, je pensais surtout aux professionnels de santé, mais petit à petit j’ai élargi le propos. J’ai des retours très positifs de la part de collègues, qui me remercient de faire connaître la PMI.
Beaucoup de gens imaginent qu’elle est destinée aux populations défavorisées, alors que nous accueillons tout le monde ! Dans le centre où je travaille, qui est dans une zone assez privilégiée, un tiers de la population est plutôt aisée. Mais nous recevons également des familles très précarisées.
Ce qui est fabuleux, c’est l’image que la PMI a chez ses usagers. Selon une enquête sociologique menée dans le Val- de-Marne, la PMI représentait pour la population « la place du marché », tout simplement parce qu’en salle d’attente se retrouvent tous les milieux sociaux et diverses cultures. En plus de l’offre de santé proposée, ce qui attire beaucoup sont les rencontres humaines, informelles ou plus structurées comme lors des ateliers collectifs (éveil de l’enfant, massages, portage, alimentation…). Il est essentiel que les parents ne restent pas seuls, au domicile. Les liens humains sont nécessaires. Vivre des jours entiers dans un logement souvent insalubre ou minuscule avec un tout petit enfant peut être générateur de troubles psychologiques !
Comment êtes-vous passée au livre ?<br/>
Là encore, c’est un ami qui m’a conseillé de proposer mes textes à des maisons d’édition. Je connaissais la collection Plumes de l’EHESP (École des hautes études en santé publique), qui publie des témoignages de soignants. J’ai eu beaucoup de chance qu’ils m’accordent leur confiance. C’est une équipe formidable qui m’a soutenue et aidée à adapter mon écriture au format papier.
Vous donnez beaucoup de conseils, notamment en ce qui concerne les écrans
Oui, j’en parle désormais systématiquement aux parents, quel que soit leur niveau social ou leur éducation, avec un leitmotiv simple : l’abus d’écrans rendra votre enfant idiot.
Ils ne s’en rendent pas toujours compte. Par exemple, très fréquemment, on m’explique que oui, l’enfant mange très bien : la tablette devant le nez, il ouvre la bouche sans problème... Et cela, dès la diversification alimentaire !
Or la suppression des écrans a des effets très rapides : l’enfant fait moins de colères, il est plus en contact avec ses proches, il répond quand on l’appelle, etc. Les petits ont cette particularité impressionnante de rapidement se dégrader, mais également de très vite s’améliorer.
On entend parfois que les parents n’ont plus d’autorité
Ils ont surtout un problème de culpabilité : ils travaillent beaucoup et sont souvent absents. Pour compenser leur manque de disponibilité, ils gâtent leurs enfants et sont plus souples sur les limites à donner. J’essaie de leur faire comprendre que ce n’est pas la longueur du temps ensemble qui compte, c’est sa qualité : cinq minutes par jour de complète disponibilité peuvent suffire. Il faut parler aux enfants. Ils sont capables de comprendre énormément de choses. Il faut aussi leur donner le cadre de sécurité affective qu’ils recherchent. Ne pas le faire, c’est risquer de les angoisser : sur qui puis-je compter si je ne peux pas m’appuyer solidement sur mon parent ?
Quels sont vos rapports avec les médecins généralistes de ville ?
Nous sommes très complémentaires et travaillons avec eux. Nous leur adressons des enfants et il arrive qu’ils nous demandent des avis, notamment en matière de protection de l’enfance (thème peu abordé lors des études de médecine). La prévention est la mission de tous les professionnels de santé. Mais étant le cœur de l’activité de PMI, que les confrères de ville n’hésitent pas à la lui déléguer !