Repérer les troubles psychiatriques et les prendre en charge pour réussir le projet thérapeutique.
En 2016, selon l’OMS, plus de 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids (25≤ IMC < 30 kg/m2). Parmi eux, on compte plus de 650 millions d’obèses (IMC≥30 kg/m2). Cette épidémie mondiale, appelée Globesity, touche en particulier les femmes et les personnes défavorisées.
En France, selon l’enquête ObÉpi Roche (2012) portant sur un échantillon de plus de 25 000 adultes, 32,3 % des Français sont en surpoids et 15 % obèses, soit environ 6 922 000 personnes.1
Diverses complications somatiques et psychiques sont liées et susceptibles de diminuer la qualité et l’espérance de vie. La prise en charge initiale relève de la médecine générale : recherche des facteurs favorisants, repérage d’un trouble du comportement alimentaire, historique de l’évolution pondérale, étude des habitudes, des ingesta et de l’activité physique, identification des causes iatrogènes, évaluation de la perception de l’excès de poids et de la motivation au changement.
Parmi les options chirurgicales, on distingue les techniques restrictives (gastroplastie verticale calibrée, ou par pose d’anneau ajustable périgastrique, ou longitudinale) de celles mixtes (restriction et malabsorption : bypass gastrique et dérivation biliopancréatique). Les interventions les plus réalisées sont la gastrectomie longitudinale, le bypass gastrique et la pose d’un anneau ajustable. Les stratégies induisant une malabsorption sont moins restrictives en termes d’ingesta mais exposent à des carences en vitamines et oligoéléments.
La chirurgie bariatrique s’impose au- jourd’hui comme le traitement le plus efficace de l’obésité, en dépit des efforts pour une prise en charge médicale précoce. La perte de poids, de l’ordre de 15 à 30 %, est plus importante sur le long terme qu’avec une approche médicale seule. Les bénéfices physiologiques sont particulièrement significatifs, avec une réduction de 40 % des comorbidités : diabète de type 2, HTA, maladies cardiovasculaires, insuffisance veineuse, dyslipidémies, hépatopathies métaboliques non alcooliques, SAOS, asthme, incontinence urinaire, pathologies articulaires cartilagineuses et céphalées.2
Il en résulte une amélioration de la qualité de vie qui ne doit pas faire minimiser les complications chirurgicales, médicales et surtout psychiatriques. Les recommandations insistent sur l’importance d’une évaluation et d’une prise en charge pluridisciplinaire avant l’intervention pour tous les patients et sur la nécessité d’un suivi après la chirurgie pour ceux souffrant d’un trouble des conduites alimentaires ou d’une affection psychiatrique. En effet, obésité, environnement et pathologies mentales sont intriqués (figure).
En préopératoire
La prise en charge chirurgicale est décidée de façon collégiale, après discussion et concertation pluridisciplinaires. Elle peut être proposée aux patients :3
– ayant un IMC > 40 kg/m2 ou > 35 kg/m2 associé à au moins une comorbidité susceptible d’être améliorée après la chirurgie ;
– après échec d’un traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique ;
– bien informés au préalable, ayant bénéficié d’une évaluation et d’une prise en charge préopératoires pluridisciplinaires ;
– ayant compris et accepté la nécessité d’un suivi médical et chirurgical à long terme ;
– enfin, lorsque le risque opératoire est acceptable.
L’évaluation psychiatrique est systématique car les troubles mentaux et les addictions, plus fréquents chez les obèses que dans la population générale, contre-indiquent parfois la chirurgie et peuvent compliquer l’évolution postopératoire.
Le psychiatre s’assure que la prise en charge psychothérapeutique antérieure a été bien conduite. Il participe ensuite à l’appréciation de la bonne compréhension du projet. Enfin, son rôle principal est l’évaluation des contre-indications (4 sur 7 sont de nature psychiatrique ; encadré).3 Certaines peuvent être temporaires. Si elles sont corrigées, l’indication de la chirurgie est rediscutée.
L’entretien recherche les comorbidités psychiatriques les plus fréquentes :
– troubles de l’humeur : épisode dépressif caractérisé, dépression récurrente ou chronique, bipolarité ;
– du comportement alimentaire : syndrome d’hyperphagie boulimique (binge eating disorder) caractérisé par l’ingestion de quantités largement supérieures à la moyenne en moins de 2 heures, avec perte de contrôle ou de la possibilité de s’arrêter. Une analyse précise des prises alimentaires est systématique : rythme, fréquence, taille, lieux, temps accordé, collations, repas nocturnes, utilisation de médicaments, erreurs diététiques (croyances sur l’apport calorique de ceraint aliments ou produits allégés, quantité ingérée…), sensation de perte de contrôle et historique pondéral ;
– anxieux : trouble panique ou stress post-traumatique ; phobie sociale ;
– trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ;
– addictions : alcool et substances illicites ; certains troubles du comportement alimentaire peuvent être considérés comme une « addiction à l’alimentation » ;
– personnalité anxieuse, obsessionnelle et dépendante, ou trouble de la personnalité borderline.4
Nous manquons de facteurs prédictifs validés du résultat de la chirurgie.Les troubles psychiatriques – en dehors de ceux de la personnalité et des antécédents d’abus – ne semblent pas avoir un impact délétère sur la perte de poids. Concernant la qualité de vie, ils ont un retentissement négatif. L’avis du psychiatre est indispensable pour identifier une pathologie décompensée, évaluer la motivation au changement et vérifier si les attentes du patient sont réalistes. En cas de contre-indication temporaire, il oriente le sujet vers une prise en charge adaptée.
En postopératoire
Le suivi est recommandé pour les sujets ayant des troubles du comportement alimentaire ou des pathologies psychiatriques en préopératoire. Lamotrigine, olanzapine et quétiapine pourraient être moins efficaces ; on limite l’usage de la forme LP. Pour les autres, le suivi n’est pas imposé, mais il est souhaitable, compte tenu des intrications entre obésité et troubles psychiatriques.
La perte de poids s’accompagne le plus souvent d’une amélioration à court terme de l’estime et l’image de soi, et de l’humeur dépressive. Cependant, la fréquence des troubles psychiatriques postopératoires est d’autant plus importante que les pathologies existaient avant l’intervention (notamment binge eating disorder et troubles de l’humeur).4
Les carences (fer, vitamines B12 et D, calcium) liées à la technique chirurgicale (bypass), à la diminution volontaire des apports, aux modifications de la tolérance (par ex. viande, laitage, céréales) ou à la perte de plaisir alimentaire, peuvent avoir des répercussions négatives sur la neurobiologie cérébrale et sur l’humeur.5
La qualité de vie s’améliore à long terme comparativement à celle des personnes non opérées ou en attente de l’intervention.
En revanche, le risque de suicide après chirurgieest 4 fois plus élevé que dans la population générale.2 Comment l’expliquer ? Les facteurs de risque préopératoires (trouble de la personnalité, de l’humeur, binge eating disorder) peuvent persister en post-chirurgie. À cela peuvent s’ajouter les réticences à accepter le changement corporel et social pour l’individu et/ou son entourage, la persistance de difficultés attribuées avant l’opération exclusivement à l’obésité, le sentiment d’échec en cas de reprise de poids ou encore l’impact des carences en vitamines B9, B12 et en folates, qui augmenteraient significativement le risque dépressif.
Les patients ayant des conduites addictives avant l’intervention doivent faire l’objet d’une surveillance régulière. Un transfert de dépendance vers la prise d’alcool ou le jeu est possible.
Contre-indications à la chirurgie bariatrique
• Troubles cognitifs ou mentaux sévères
• Troubles sévères et non stabilisés du comportement alimentaire
• Incapacité prévisible du patient à participer à un suivi médical prolongé
• Dépendance à l’alcool et aux substances psychoactives licites et illicites
• Absence de prise en charge médicale préalable identifiée
• Maladies mettant en jeu le pronostic vital à court et moyen terme
• Contre-indications à l’anesthésie générale
1. Inserm, Kantar Health, Roche. Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité. Obépi 2012. https://bit.ly/297Otsa
2. le Roux CW, Heneghan HM. Bariatric Surgery for obesity. Med Clin North Am 2018;102:165-82.
3. Haute Autorité de Santé. Obésité : prise en charge chirurgicale chez l’adulte. Janvier 2009.
4. Brunault P, Gohier B, Ducluzeau PH, et al. L’évaluation psychiatrique, psychologique et addictologique avant chirurgie bariatrique : que faut-il évaluer en pratique, pourquoi et comment ? Presse Med 2016;45:29-39.
5. Ferreri F, Grison F. Le régime antidéprime. Paris: Odile Jacob; 2014: 168 p.