En janvier dernier s’est ouvert le second acte de la campagne #ChoisirPsychiatrie. L’enjeu est crucial  : les besoins en soins psychiatriques explosent alors que la discipline peine à séduire les jeunes médecins. Ainsi, 13  % des places de psychiatrie n’ont pas été pourvues lors du choix des EDN en 2024, alors qu’un quart des médecins psychiatres ont plus de 65 ans et que 30  % des postes hospitaliers sont vacants. Si la psychiatrie universitaire est bien représentée dans cette campagne, il est nécessaire de parler aussi de la psychiatrie humaniste, notamment incarnée dans la psychiatrie «  de secteur  ».

«  Pourquoi la médecine  ?  », m’avait demandé la conseillère d’orientation au lycée. À 16 ans, je voulais «  savoir comment ça marche, l’être humain  ».

L’externat et les premières rencontres avec les patients m’ont amenée à préciser ma question. «  Savoir comment ça marche  » était une nécessité qui se modifiait à mesure que je m’entretenais avec des patients et percevais, à côté de la souffrance physique, des émotions, des inquiétudes, des bouleversements intimes. Je commençais à entrevoir que mon écoute de jeune soignante était un outil d’une puissance non enseignée.

Il s’est agi d’abord de la rencontre de l’altérité, de la fascination devant l’étrangeté, de l’accès à l’intimité psychique des personnes hospitalisées. J’ai dû percevoir, inconsciemment encore, le pouvoir thérapeutique des liens de travail dans le collectif soignant (psychiatres, psychologues et infirmiers).

Mon premier stage d’interne s’est déroulé en CHU. Je ne savais pas encore que la psychiatrie «  de secteur  » existait. Les premières fois sont toutes extraordinaires et, parfois, dramatiques. Première rencontre avec une femme délirante et hallucinée, premier virage maniaque en cours d’hospitalisation, premier suicide dans le service. Ce dernier événement m’a fait franchir la porte de celui qui allait être mon psychanalyste pendant quelques années. Accéder à ce qui m’était inconnu – et énigmatique – de mes motivations et désirs en lien avec le métier de psychiatre m’a été salutaire.

La découverte de la psychiatrie de secteur m’a mise au contact de patients que j’ai le plus envie d’accompagner  : les plus malades, les plus vulnérables, les plus pauvres souvent, les plus abîmés par la vie. Son organisation des soins est pensée pour qu’une équipe pluridisciplinaire assure la continuité entre dépistage, prévention, traitement ambulatoire et soins en hospitalisation  ; continuité des soins permise par la pérennité du lien en préservant ainsi l’unité de la personne, son histoire, sa construction identitaire, la cohérence de son parcours. J’ai donc trouvé mon chemin dans la diversité des possibilités de pratiques pour une médecin psychiatre. L’hôpital public, depuis mon internat, a continué à se détériorer toujours un peu plus  ; la psychiatrie s’y est dégradée jusqu’à sa quasi-disparition par endroits. Pourtant, j’y suis restée par engagement auprès des patients et des équipes, pensant que, sans la psychiatrie publique, les plus fragiles n’auraient plus accès aux soins.

Je suis aujourd’hui persuadée qu’il faut réinventer la psychiatrie pour lui redonner sa noblesse  : prendre le temps d’accueillir un autre en souffrance, de l’accompagner dans la construction d’une mise en sens, d’élaborer les modalités de ses soins, de sa réinsertion sociale et professionnelle...

Comment rêver la psychiatrie de demain, dans ce contexte morose  ? À mon sens, en utilisant l’énergie et les savoirs de ses usagers pour la refonder, avec le souci constant du respect des droits des patients. Réenchantons la discipline en nous décalant d’une approche strictement biomédicale, en militant aux côtés des soignés pour exiger des moyens suffisants. La psychiatrie de secteur engage pleinement  : envers les patients, les équipes, l’institution. L’exercice y est passionnant. Les pratiques s’y réinventent au quotidien en pluridisciplinarité, et notamment par l’intégration de nouveaux métiers (médiateur de santé-pairs, infirmier en pratique avancée, etc.). Il s’agit finalement de réaffirmer le principe même qui fonde une psychiatrie humaniste  : s’appuyer toujours sur le soin relationnel.