Le Dr Denis Mukwege, le « médecin qui répare les femmes » à l’hôpital de Panzi dans le Kivu (République démocratique du Congo) ravagé par la guerre, où elles subissent des violences atroces, fait preuve d’une détermination et d’un courage exemplaires.
Le prix Nobel de la paix a été créé en 1901. Son premier récipiendaire fut Henry Dunant, fon- dateur du Comité international de la Croix-Rouge ; le premier médecin lauréat de ce prix fut Albert Schweitzer en 1952, et le premier Africain, Albert Lutuli, pour son combat contre l’apartheid en Afrique du Sud (tableaux 1 et 2). En 2018, Denis Mukwege est le premier médecin africain bénéficiaire de cette distinction (fig. 1). Ce n’est pas le prix Nobel de médecine ; c’est davantage qu’un prix pour une recherche ciblée, c’est une distinction au cours d’une carrière exemplaire marquée par la compétence et le courage.
Né en 1955, près de Bukavu, en République démocratique du Congo (RDC) [fig. 2 et 3], fils de pasteur, Denis Mukwege hésite sur son orientation professionnelle et finalement choisit d’être médecin plutôt que prédicateur. Après des études de médecine effectuées au Burundi, petit État voisin de la RDC, il part en France, au centre hospitalier universitaire d’Angers, pour se former en gynécologie aux côtés, entre autres, du Pr Jacques Lansac. À Angers, Denis crée une association, « France-Kivu », qui, avec ses amis angevins, lui a apporté un soutien efficace et fidèle dans sa réinsertion au Congo où il s'installe, avec son épouse et ses trois premiers enfants, à l’hôpital de Lemera (Sud-Kivu) dont il devient le médecin directeur en 1989.

Le viol, arme de guerre

Très perturbé par le récit des souffrances des femmes qu’il reçoit en consultation, il ressent le besoin de les prendre en charge cliniquement et socialement, en les réparant, en les reclassant, en les accompagnant et en les protégeant pour qu’elles retrouvent une place et un rôle dans une société instable. Les conséquences des viols organisés sont terribles : déplacement massif de populations terrorisées, diffusion des infections sexuellement transmissibles dont le sida, mais surtout atrocités physiques et morales inimaginables. Sa première patiente, victime de viol en 1999, l’avait été par six soldats avant que l’un d’eux n’insère une arme à feu dans son vagin et tire ! Denis Mukwege croyait avoir affaire à un fou mais il constate la multiplication des cas au cours de la même année.
Désormais, le viol est institué comme une authentique arme de guerre. C'est contre ce constat que s’élève Denis, qui entreprend alors une série de démarches en faveur de ces femmes traumatisées, y compris celles dont l’appareil génital est détruit lors d’accouchements mal pris en charge (fistules obstétricales), avec de lourdes séquelles urinaires, les excluant socialement.

L’hôpital de Panzi

Mais, en 1996, l’hôpital de Lemera est totalement détruit dans des conditions atroces. Denis Mukwege est contraint de fuir. Il quitte la région pour Bukavu, où il construit l’hôpital de Panzi, avec un important soutien suédois en faveur de ces femmes pour aider, dans un lieu de paix, à leur réinsertion sociale. Il y crée, en outre, une faculté de médecine et une école de sages-femmes. Il s’engage avec foi et courage dans la chirurgie, le soutien psychologique, les conseils juridiques, la formation professionnelle et la prise en charge des enfants de ces patientes. Aujourd’hui, l’hôpital de Panzi accueille gratuitement chaque année plus de 3 500 victimes de violences sexuelles et leur permet d’accéder à une chirurgie reconstructive.
Sans cesse menacé par les groupes armés et les trafiquants miniers, il doit, à plusieurs reprises, quitter son pays et se réfugier en Belgique ou en Amérique du Nord. En 2012, il échappe miraculeusement à une tentative d’assassinat.
Durant toutes ces années, Denis Mukwege, « le médecin qui répare les femmes », s’est distingué par une prise en charge de blessées dues à la violence luciférienne d’une soldatesque déstabilisant* cette région du Congo démocratique, aux marches du Rwanda. Les rebelles en zone congolaise sont, semble-t-il, soutenus par cet État (grand comme la Sardaigne) qui y intrigue, cherchant à s’approprier son sous-sol envié (coltan, cobalt…). Ces désordres permanents se déroulent autour du lac Kivu, un lieu paradisiaque mais marqué par un terrorisme, avec menaces de mort ou d’enlèvement à chaque instant. Denis Mukwege doit recourir à la protection constante de soldats de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (MONUSCO).

UN PLAIDOYER INTERNATIONAL

Le Dr Mukwege n’est certes pas le premier à s’impliquer dans ce travail de réparation de l’appareil génital des femmes, il n'est pas non plus le seul**, mais il opère dans un climat d’instabilité et de terreur qui rendent difficile le suivi de son action ; et surtout, parallèlement à ce combat local quotidien, et en dépit des menaces contre lui-même et sa famille, Denis Mukwege développe un ardent plaidoyer international lors de ses déplacements et localement à l’hôpital de Panzi, profondément convaincu de la mission qui lui incombe.
L’engagement de Denis Mukwege lui a valu la reconnaissance internationale (tableau 3). En 2007, il reçoit le prix spécial des Droits de l’homme de la République française ; l’année suivante, celui des Droits de l’homme des Nations unies. En 2009, le prix suédois Olof Palme, le prix Roi Baudouin et celui de la fondation Clinton. En 2013, il est décoré de la Légion d’honneur et bénéficie du prix pour la prévention des conflits de la fondation Chirac .
Un an plus tard, le Parlement européen lui décerne le prix Sakharov et, quatre ans après, en 2018, Denis Mukwege reçoit le prix Nobel de la paix avec Nadia Murad, survivante du trafic des êtres humains de l’État islamique. Grand, solide, charismatique, courageux, Denis Mukwege, bravant les dangers et l’adversité par sa compétence et son efficacité, offre à l’Afrique une transcendante image d’humanité et d’exemplarité. Ce prix Nobel de la paix ne pourra que l’aider à diffuser son réquisitoire contre le martyre des femmes.V
* Les graves troubles engendrés par la guérilla rendent en outre impossible la maîtrise de l’épidémie d’infections par le virus Ebola qui sévit tragiquement à l’est du Congo.** À signaler, le travail remarquable de gynécologues et de chirurgiens français dans différents États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

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