Une tribune parue dans Le Monde du 4 mars 2025 relayait le vœu du mouvement Stand up for science de « réaffirmer le rôle fondamental des sciences comme moteur d’émancipation et de progrès social et renforcer la culture scientifique au sein de la société ».1 Ce soulèvement s’exprime actuellement dans de nombreux pays, en réponse au risque lié aux nouveaux obscurantismes. On voit même apparaître l’agnotologie, discipline créée par Robert N. Proctor – professeur d’histoire des sciences à l’université de Stanford –, qui étudie la façon dont l’ignorance peut être construite en dévoyant les outils de la science (à l'exemple des cigarettiers qui sèment le doute sur la nocivité de leurs produits).
La désinformation consiste à partager des informations délibérément trompeuses pour discréditer la parole scientifique à des fins de profit individuel, lucratif, politique, et/ou religieux… avec des effets destructeurs pour la santé publique. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais le besoin d’accès immédiat à l’information – donc l’absence de vérification –, la place prépondérante prise par les réseaux sociaux (d’autant plus lorsqu’ils renoncent à la vérification des faits !) et la mauvaise gestion ou communication lors de crises sanitaires ne font que l’entretenir. Au-delà, on peut craindre que cette désinformation soit alimentée et perpétuée par des contenus générés par l’intelligence artificielle. Car, si celle-ci est capable de discriminer les données sans fondement scientifique, elle ne le fera que si elle est explicitement sollicitée pour cela.
Comment la désinformation accroche-t-elle le public ? Les mécanismes sont assez stéréotypés : donner du crédit à la défiance vis-à-vis des pouvoirs publics, renforcer les fausses croyances, conforter l’interlocuteur dans son sentiment de victime…
En matière de santé, la désinformation prend la forme de propagande, surfe sur la vague de la peur, incite à la perte de tout esprit critique : vaccination, alimentation (des lobbyistes industriels ont attaqué le Nutri-Score, arguant le conflit d’intérêts… avec la science ! un comble !2), santé environnementale3…
Pour lutter, la démarche doit être systématique : d’abord prévenir, en favorisant l’adhésion à l’information scientifique ; ensuite trouver la source du discours trompeur ; enfin, protéger toute la population en identifiant les plus vulnérables.
La prévention par l’éducation est essentielle, car la désinformation se propage souvent plus vite que les faits : Xavier Becerra, ancien directeur au ministère américain de la Santé, affirme que « les agences fédérales sont dépassées par l’information et la désinformation instantanées ».4 L’Éducation nationale inclut la formation à l’esprit critique dans ses programmes pour sensibiliser dès le plus jeune âge.5 En outre, les messages sanitaires adressés au public doivent être pertinents pour l’individu, fournir des informations exactes sans laisser place à l’interprétation, et les éléments d’incertitude ne doivent pas être tus. Les concertations citoyennes sont aussi une excellente idée : faire prendre part les représentants des usagers aux décisions. Enfin, le colloque singulier avec le médecin traitant est fondamental pour répondre aux inquiétudes point par point, grâce au lien de confiance engagé dans une décision partagée.
En aval, pour lutter contre la propagation d’informations trafiquées, les initiatives se multiplient : recommandations de la Commission européenne ; mesures de l’OMS pour encourager une communication responsable et signaler les contenus trompeurs ; outils de médiation scientifique et de « débunkage » (Afis, Revues et Intégrité, Vaccination et Lien social…) ; réseaux sociaux utilisés comme force positive (charte du Cnom pour les médecins créateurs de contenu) ; Assises nationales dédiées aux dérives sectaires et aux fake news, etc.6
En France, une loi dite « infox » existe (loi n° 2018 - 1202) mais elle ne concerne pas la santé publique. Il serait pourtant bienvenu qu’un texte pose rapidement les limites entre liberté d’expression et désinformation en la matière.
2. Hercberg S, Galan P, Deschasaux-Tanguy M. Nutri-Score : quand les lobbies économiques accusent les chercheurs académiques de conflit d’intérêts avec… la science ! Rev Prat 2024(9);951-2.
3. https://bit.ly/3Y0dz6n
4. Health in the age of disinformation. Lancet 2025;405(10474):173.
5. https://bit.ly/4ioyB6y
6. https://bit.ly/4kXhjiK