objectifs
Diagnostiquer une dyspnée aiguë chez l’adulte et l’enfant
Diagnostiquer une dyspnée chronique.
La dyspnée correspond à une perception anormale et désagréable de la respiration rapportée par le patient. Cette sensation subjective de gêne respiratoire n’est pas applicable chez le nourrisson ou le jeune enfant : on peut également la définir de manière objective par une anomalie du rythme respiratoire plus ou moins associée à une toux, des bruits respiratoires ou des signes de lutte.
La dyspnée aiguë s’installe brutalement en quelques heures à quelques jours et pose le problème du risque d’insuffisance respiratoire aiguë.
Il est important d’en connaître les signes de gravité chez le nourrisson et le jeune enfant, ainsi que les signes d’appel d’orientation étiologique permettant la mise en place rapide d’un traitement.
Il s’agit d’un motif très fréquent de consultation aux urgences pédiatriques. Les causes les plus fréquentes sont d’ordre infectieux et relativement simples à identifier, et une prise en charge adaptée permet une résolution des symptômes ; il ne faut néanmoins pas méconnaître des diagnostics différentiels, surtout en période épidémique.
La dyspnée chronique s’installe progressivement sur plusieurs semaines à plusieurs mois.
Plus rare chez le nourrisson et l’enfant, elle peut être le mode d’entrée dans une pathologie respiratoire chronique et nécessite le plus souvent un avis spécialisé, avec des examens paracliniques plus poussés.

Mécanismes de la dyspnée

La respiration est l’ensemble des mécanismes par lesquels les cellules procèdent à des échanges gazeux avec l’extérieur, l’objectif final étant d’apporter aux cellules l’oxygène dont elles ont besoin, et d’éliminer le CO2 produit.
La dyspnée peut résulter d’une altération des différents acteurs de la respiration : commande centrale (tronc cérébral qui assure la ventilation automatique et le cortex la commande volontaire) ; muscles respiratoires, obstruction ou compression des voies respiratoires hautes (nez, pharynx, larynx) ou basses (trachée et bronches) ; barrière alvéolo-capillaire ; capacité d’éjection de la pompe cardiaque ; transport sanguin de l’oxygène par l’hémoglobine.

Analyse sémiologique

Interrogatoire

L’interrogatoire s’attache à préciser :
  • la chronologie : caractère aigu ou chronique de la dyspnée. Ainsi, une dyspnée aiguë de l’enfant a le plus souvent une cause infectieuse (bronchiolite, pneumonie, laryngite sous-glottique), mais les causes accidentelles sont également toujours à rechercher du fait de leur gravité potentielle (inhalation de corps étranger) ;
  • les circonstances de survenue : effort, prise des biberons (une dyspnée d’effort chez un nourrisson fait toujours rechercher d’autres signes d’insuffisance cardiaque), repas, jeu, traumatisme, contexte infectieux (fièvre, rhinopharyngite) ;
  • les antécédents de l’enfant (asthme, bronchiolites, cardiopathie congénitale, allergies) ;
  • les signes associés : toux, fièvre, douleur thoracique, malaise, cyanose.
Chez le nourrisson, il faut toujours penser à bien faire préciser la qualité des prises alimentaires : une diminution de la prise des biberons, une altération de la croissance staturopondérale est toujours un signe de gravité de la dyspnée aiguë ou chronique.
L’examen clinique du nourrisson et de l’enfant doit être complet chez un patient déshabillé : examen cardiovasculaire, respiratoire, digestif, ainsi qu’une évaluation neurologique succincte.

Recherche d’anomalies du rythme respiratoire

La fréquence respiratoire (FR) doit être mesurée pendant une minute par le clinicien, qui ne doit pas se contenter de la fréquence mesurée par un appareil d’enregistrement du rythme respiratoire.
La fréquence respiratoire varie chez l’enfant, essentiellement avec l’âge, mais peut également être modifiée par la fièvre, l’anxiété. Les normes de fréquence respiratoire en fonction de l’âge sont détaillées dans le tableau 1.
Les anomalies de la fréquence et du rythme respiratoire (tableau 2) sont à la fois des éléments de gravité et d’orientation diagnostique.

Recherche d’un bruit respiratoire

Le caractère bruyant ou non de la dyspnée, associé à une dyspnée survenant plus spécifiquement à un temps respiratoire, a une forte orientation étiologique.
Ainsi, une dyspnée bruyante est en lien avec une obstruction des voies respiratoires et une gêne à l’écoulement de l’air. Une dyspnée inspiratoire avec cornage ou stridor, éventuellement associée à une modification de la voix, oriente vers une obstruction des voies aériennes supérieures (v. Focus), alors qu’une dyspnée expiratoire avec wheezing est en lien avec une obstruction des voies aériennes inférieures.

Examen physique

La recherche de signes de lutte respiratoire est primordiale dans l’évaluation de la gravité de la dyspnée : balancement thoraco-abdominal ; tirage sus-sternal, intercostal, sous-sternal ; battement des ailes du nez ; entonnoir xiphoïdien ; geignement expiratoire.
L’examen respiratoire recherche ensuite des anomalies de l’auscultation : crépitants évocateurs d’une atteinte alvéolaire ; sibilants et frein expiratoire d’une obstruction bronchique ou bronchiolaire ; râles bronchiques témoins d’un encombrement plus proximal ; diminution ou abolition localisée du murmure vésiculaire signes évocateurs d’une condensation ou d’un épanchement pleural. On recherche également les anomalies de per­cussion : matité en cas d’épanchement liquidien, tympanisme en cas d’épanchement aérique.
Sur le plan plus général, l’examen cardiovasculaire recherche un souffle cardiaque, une anomalie de la coloration cutanée, la présence des pouls fémoraux chez le nourrisson, une hépatomégalie, et tient compte des constantes hémodynamiques. L’appréciation de l’état neurologique (conscience, tonus, développement psychomoteur) est importante dans le retentissement, et peut également orienter vers une cause neurologique ou neuro­musculaire en cas de dyspnée chronique. Enfin, sur le plan cutané, la survenue d’une urticaire ou d’un angio-œdème évoque une origine allergique.

Dyspnée aiguë

Une dyspnée aiguë est une urgence diagnostique et thérapeutique compte tenu d’un risque vital immédiat potentiel. La difficulté de la prise en charge est donc d’allier à la fois le repérage rapide des signes de gravité : détresse respiratoire aiguë (DRA), qui imposeraient la mise en œuvre de mesures de sauvegarde rapide, et l’établissement d’un diagnostic au moyen des signes d’orientation étiologique, afin d’adapter au plus vite le traitement.

Signes de gravité

La détresse respiratoire aiguë peut être responsable d’une défaillance respiratoire (signes de lutte majeurs, épuisement respiratoire avec bradypnée ou apnée, thorax bloqué, parole impossible, signes d’hypoxie ou d’hypercapnie), hémodynamique (tachycardie, temps de recoloration cutanée [ou TRC] allongé, marbrures, hypotension) et même neurologique (agitation, épuisement, somnolence) (fig. 1). Si tel est le cas, l’enfant doit être rapidement installé dans un box de déchocage et conditionné : oxygénothérapie, scope cardiorespiratoire, pose d’abord veineux périphérique, jusqu’à la mise en œuvre d’une intubation pour ventilation en cas de troubles de conscience majeurs ou d’épuisement respiratoire avec arrêt cardiorespiratoire imminent. L’orientation diagnostique doit être rapide afin de mettre en place un traitement étiologique urgent.
Le retentissement sur l’alimentation est également un facteur de gravité : difficulté à la prise des biberons (moins de la moitié des prises habituelles), vomissements, déshydratation.
à ces signes de détresse respiratoire aiguë sévère sont à ajouter la prise en compte des terrains spécifiques à risque d’exacerbation grave, ainsi que du contexte socio-familial : prématurité et jeune âge ; cardiopathie ou maladie respiratoire sous-jacente (mucoviscidose, bronchodysplasie, maladie neuromusculaire…), drépanocytose, immunosuppression.

Identifier la cause de la dyspnée aiguë

En pédiatrie, des tableaux typiques en fonction de l’âge, du contexte saisonnier et du type de la dyspnée sont à reconnaître d’emblée (fig. 1). Toutefois, la situation n’est pas toujours aussi évidente, l’interrogatoire peut ne pas être toujours très fiable, et il faut veiller à ne pas méconnaître des situations moins claires.
Avant l’âge de 6 mois, il faut toujours évoquer une cause congénitale : décompensation de cardiopathie congénitale en cas de dyspnée expiratoire ou de dyspnée non bruyante, non fébrile avec crépitants bilatéraux et hépatomégalie ; stridor laryngé congénital, angiome sous-glottique ou autre malformation laryngée devant une dyspnée inspiratoire.
Après 6 mois, une cause accidentelle (inhalation de corps étranger) est à évoquer devant toute dyspnée de début brutal en contexte évocateur et peu ou pas fébrile.
à tout âge, les causes infectieuses sont les plus fréquentes, et même une crise d’asthme chez un grand enfant est fréquemment déclenchée par une infection virale des voies respiratoires hautes ou basses.
Les examens complémentaires en urgence aident à identifier la cause comme le retentissement de cette dyspnée aiguë. La radiographie thoracique de face en inspiration est l’examen le plus utile en urgence pouvant identifier une cause éventuelle et/ou une complication de la détresse respiratoire : opacité parenchymateuse avec bronchogramme aérique évoquant une pneumonie, opacité rétractile en faveur d’une atélectasie, épanchement pleural liquidien ou aérique, masse comprimant la trachée, cardiomégalie faisant suspecter une cardiopathie sous-jacente. En cas d’asymétrie, d’hyperclarté unilatérale, l’ajout d’un cliché expiratoire mettra en évidence un trappage évoquant fortement un corps étranger bronchique.
La gazométrie veineuse (le plus fréquent chez l’enfant) en cas de signes de gravité recherche une hypercapnie pouvant relever d’une prise en charge réanimatoire (PCO2 normale ≤ 45 mmHg). Les autres examens sont réalisés en fonction de l’orientation clinique : échocardiographie en cas de signes de décompensation cardiaque, glycémie en cas d’acidose métabolique, bilan infectieux, dosage de la tryptase sérique en cas de suspicion d’anaphylaxie, endoscopie bronchique en cas de suspicion d’inhalation de corps étranger.
Le tableau 3 résume les principales causes de dyspnée aiguë en fonction de la sémiologie de la dyspnée et des signes associés d’orientation étiologique.

Prendre en charge la dyspnée aiguë

En cas de détresse respiratoire aiguë mal tolérée, une prise en charge au déchocage est indiquée, avec la mise en œuvre de mesures non spécifiques : libération des voies aériennes supérieures (désobstruction rhinopharyngée systématique chez le nourrisson), position semi-assise (ne jamais allonger un enfant en détresse respiratoire aiguë), oxygénothérapie adaptée à la saturation de l’enfant pour une SpO2 > 94 % (aux lunettes nasales si débit nécessaire ≤ 4 L/min ou au masque haute concentration si débit nécessaire > 4 L/min). En cas de signes d’épuisement, de signes hémodynamiques laissant présager d’un arrêt cardio­respiratoire imminent, ou d’une gazométrie attestant d’une acidose respiratoire sévère, une prise en charge ventilatoire en réanimation peut être nécessaire, avec la pose rapide d’un accès veineux périphérique permettant de restaurer une hémodynamique correcte.
Hors d’un milieu hospitalier, l’évaluation de la nécessité d’un transfert médicalisé (SAMU) est indispensable en cas de signes de gravité de la dyspnée.
En l’absence de signes de gravité, et en parallèle au traitement symptomatique, le traitement spécifique à la cause doit être mis en œuvre dès que possible.

Dyspnée chronique

La dyspnée chronique s’installe progressivement, sur une période de quelques semaines à plusieurs mois. Même si l’urgence est plus relative, elle est rarement anodine, notamment chez le nourrisson.
Contrairement à la dyspnée de l’adulte, celle de l’enfant et particulièrement du nourrisson est difficilement quantifiable. Les signes d’appel, comme dans la dyspnée aiguë, peuvent être initialement une dyspnée à l’effort, comme l’apparition d’une polypnée, de signes de lutte ou d’un bruit respiratoire lors de la prise des biberons. Ces symptômes peuvent être initialement intermittents, puis se majorer et devenir permanents.

Orientations diagnostiques

Le retentissement et les signes de gravité sont majeurs à rechercher : signes d’hypoxie (cyanose, hippocratisme digital), d’hyper­capnie (sueurs), troubles du sommeil, malaises ou apnées, ralentissement ou cassure de la croissance staturo-pondérale. Ce dernier symptôme peut être la fois le reflet d’une hypoventilation chronique comme un signe de malabsorption pouvant orienter vers une maladie plus générale (mucoviscidose avec insuffisance pancréatique externe, déficit immunitaire, maladie métabolique par exemple). Il est donc fondamental d’effectuer un examen clinique complet à la recherche de signes extrarespiratoires et de réaliser la courbe de croissance.
Comme dans la dyspnée aiguë, on distingue les dyspnées bruyantes et non bruyantes. Les dyspnées bruyantes inspiratoires se manifestent par l’existence d’un stridor qui peut être d’apparition néonatale ou plus retardé, elles orientent vers une cause laryngée ; alors que les dyspnées à prédominance expiratoire orientent vers une cause obstructive basse : trachéomalacie ou compression trachéale, asthme. La présence d’une toux ainsi que son horaire et sa tonalité sont également à rechercher : par exemple, une toux pendant l’alimentation ou juste après évoque une pathologie d’inhalation ou un reflux, une toux sèche nocturne ou à l’effort oriente vers un asthme, une toux grasse matinale vers un encombrement chronique associé.
Une dyspnée d’effort non bruyante dans les premières semaines de vie doit faire évoquer en premier lieu une cardiopathie congénitale, et l’examen clinique recherche la présence d’un souffle cardiaque, une abolition éventuelle des pouls fémoraux, une hépatomégalie. Plus exceptionnellement, une tachypnée isolée avec apparition progressive de signes de lutte, toux sèche, hypoxie, associés à des crépitants à l’auscultation oriente vers une patho­logie interstitielle chronique.
Enfin, une dyspnée apparaissant puis s’aggravant, progressivement entrecoupée d’épisodes de dyspnée aiguë d’origine infectieuse fait rechercher une bronchopathie chronique, un déficit immunitaire, un syndrome de pénétration à l’origine d’une inhalation de corps étranger passée inaperçue.

Examens complémentaires

La radiographie thoracique inspiratoire et expiratoire est le premier examen indispensable devant tout symptôme respiratoire chronique. Elle permet de mettre en évidence une cardiomégalie, une opacité parenchymateuse persistante, une masse anormale compressive, un syndrome interstitiel.
Ensuite, en fonction de l’orientation diagnostique, on réalise une échocardiographie transthoracique ; un scanner thoracique à la recherche de dilatations de bronches, d’un syndrome interstitiel ou encore d’une anomalie des gros vaisseaux ; une laryngo­scopie ± bronchoscopie souple avec lavage broncho-alvéolaire ; un test de la sueur et un dosage de l’élastase fécale à la recherche d’une mucoviscidose ; des explorations fonctionnelles respiratoires chez les plus grands enfants à la recherche d’un syndrome obstructif ou restrictif ; un bilan sanguin immunitaire et métabolique.
Les orientations étiologiques principales sont résumées dans la figure 2.•
Points forts

Dyspnée aiguë et chronique

Toute dyspnée aiguë est une URGENCE VITALE jusqu’à preuve du contraire.

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