L’ischémie myocardique silencieuse (IMS) résulte d’un déséquilibre entre besoins et apports en oxygène du myocarde, le plus souvent lié à une sténose coronarienne mais sans les signes cliniques habituels (notamment douleur thoracique). Cette forme d’ischémie est fréquente chez les patients diabétiques, pour lesquels une neuropathie autonome peut masquer les symptômes. Elle expose à un risque accru d’infarctus ou de mort subite sans signe d’alerte, rendant son dépistage théoriquement séduisant… mais cliniquement controversé.

Malgré les progrès en prévention, les patients diabétiques gardent un risque cardiovas­culaire deux à trois fois plus élevé que les non-diabétiques. La maladie coronarienne évolue souvent sans symptôme, rendant sa détection difficile. Il en va de même pour les autres complications silencieuses du diabète (néphropathie, rétinopathie, neuropathie) qu’il est nécessaire de dépister systématiquement (fond d’œil, bilan rénal, examen des pieds) afin d’introduire des traitements précoces et ciblés ayant démontré leur capacité à réduire la progression de la maladie. Mais cette logique s’applique-t-elle à l’IMS  ?

Plusieurs essais cliniques randomisés (DIAD, FACTOR- 64, DADDY-D, DYNAMIT) ont comparé une stratégie de dépistage systématique (scintigraphie, coroscanner, échographie d’effort) à un suivi standard. Résultat  : une faible rentabilité (5 à 20  % de tests positifs), peu de revascularisations (environ 4  %) et aucune réduction des événements cardiovasculaires majeurs après trois à cinq ans. Le dépistage de l’IMS n’améliore ni la survie ni la survenue d’événements chez les patients asympto­matiques.

Certains proposent d’améliorer l’utilité du dépistage en ne ciblant que les patients à très haut risque. Les recommandations de la ­Société francophone du diabète et de la ­Société française de cardiologie proposent ainsi un dépistage en cas de score calcique coronarien supérieur à 400. Toutefois, aucune étude n’a validé cette stratégie ciblée. La ­Société européenne de cardiologie et la ­Société américaine de diabétologie ne recommandent ni l’usage du score calcique ni le dépistage systématique, même chez les patients diabétiques à très haut risque.

De plus, les conséquences d’un test positif restent incertaines. L’intuition pousserait à revasculariser (stent, pontage coronarien), mais les études COURAGE, BARI- 2D, FAME- 2 et ISCHEMIA ont montré qu’un traitement médical optimisé est aussi efficace qu’une revascularisation coronarienne pour prévenir les événements chez les patients stables, y compris diabétiques. Seuls les patients avec des lésions très sévères pourraient tirer bénéfice d’un pontage chirurgical aorto-coronarien. Encore faut-il les identifier sans dépistage de masse, inefficace et anxiogène.

En pratique, l’enjeu est donc de stratifier le risque sans multiplier les examens inutiles. Le score calcique peut aider, mais il n’est pas encore validé dans une stratégie séquentielle. Une évaluation pragmatique fondée sur les facteurs de risque classiques reste essentielle. L’algorithme SCORE2 -Diabetes, récemment développé, contribue à estimer le risque cardiovasculaire en intégrant des spécificités du diabète (durée du diabète, HbA1c, fonction rénale). Cette estimation permet de fixer des objectifs (niveau de LDL à atteindre, par exemple) et de décider de l’introduction précoce d’inhibiteurs de SGLT2 et/ou d’agonistes du GLP- 1, comme recommandé par la Haute Autorité de santé.

Au total, du fait de l’absence de bénéfice clinique démontré du dépistage systématique de l’IMS, son usage en routine n’est pas justifié. Mieux vaut concentrer les efforts sur l’évaluation du risque et l’intensification précoce du traitement médical.