Les hépatites virales constituent un enjeu mondial de santé publique ; au cours de la grossesse, les risques de complications obstétricales et de transmission verticale sont différents selon le type de virus (tableau 1).
Virus de l’hépatite A
Le virus de l’hépatite A (VHA) est un virus à ARN responsable d’hépatite aiguë transmise par voie entérique de personne à personne ou par exposition à des aliments contaminés.1 L’agent viral est cosmopolite, avec une prévalence qui varie selon la géographie, reflétant les conditions socio-économiques. La France est un pays de faible endémie,2 mais des épidémies sont régulièrement rapportées.
Présentation clinique
Après une incubation de quinze à cinquante jours, le tableau clinique est variable, allant d’une infection asymptomatique à une hépatite ictérique avec fièvre et anorexie jusqu’à l’hépatite fulminante pouvant être fatale dans moins de 1 % des cas. Les données de la littérature sont limitées, mais l’hépatite A est associée à une augmentation du risque de rupture prématurée des membranes et d’accouchement prématuré.3 La transmission verticale materno-fœtale est rare, elle n’a été rapportée que dans un seul cas ;3,4 un tableau de péritonite méconiale est décrit dans cette situation.
Diagnostic biologique
Le diagnostic repose sur la présence d’IgM anti-VHA, associée à une charge virale sanguine positive chez la femme enceinte. La maladie fait l’objet d’une déclaration obligatoire.
Prise en charge pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement
La prise en charge est symptomatique pendant la grossesse. Le traitement de choix (la ribavirine) est contre-indiqué car tératogène.5 L’accouchement par voie basse est possible. L’allaitement n’est pas contre-indiqué si la virémie est négative.
Virus de l’hépatite B
Le virus de l’hépatite B (VHB) reste un problème majeur à l’échelle internationale, malgré l’existence de traitements antiviraux et d’un vaccin efficace. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en 2019 à 296 millions le nombre de porteurs chroniques, avec près de 820 000 décès. Le VHB est un virus à ADN qui se transmet par voie sanguine, sexuelle, ainsi que par contact entre personnes vivant sous le même toit. Il peut également se transmettre au cours de l’accouchement. En France, la prévalence de l’antigène HBs (Ag HBs) chez les femmes enceintes est de l’ordre de 0,84 %, d’après l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2016,6 avec des disparités en fonction des régions et du pays de naissance des femmes.
Présentation clinique
L’hépatite B aiguë donne très rarement des signes cliniques. Seules 5 à 10 % des formes aiguës évoluent vers une forme chronique ; les autres sont généralement résolutives sans traitement. Le diagnostic en cours de grossesse est majoritairement celui de formes chroniques, le plus souvent asymptomatiques.
Dépistage et diagnostic
En France, le dépistage prénatal par la recherche de l’Ag HBs est obligatoire au sixième mois de grossesse.7 Toutefois, en absence d’antériorité d’immunité post-vaccinale connue, il est recommandé d’effectuer un dépistage dès le premier trimestre de la grossesse par la recherche des trois marqueurs sérologiques suivants : Ag HBs, anticorps (Ac) anti-HBs et Ac anti-HBc.8 L’interprétation de ces trois marqueurs est précisée dans le tableau 2.
Transmission mère-enfant
La transmission mère-enfant concerne uniquement les hépatites B actives et se fait essentiellement au moment de l’accouchement, pouvant atteindre 90 % en l’absence de sérovaccination de l’enfant. La contamination périnatale transplacentaire ou via l’allaitement est beaucoup plus rare. Les enfants infectés dès la naissance ont un risque de passage à la chronicité de 90 %.
Prise en charge pendant la grossesse
En cas de découverte d’une hépatite B active au cours de la grossesse, l’urgence est d’éliminer un diagnostic de cirrhose qui conduirait à un suivi spécifique de la grossesse, puis d’évaluer le risque de transmission mère-enfant par la mesure de l’ADN VHB.
Un complément de bilan biologique doit donc être immédiatement réalisé. Il inclut les dosages de la charge virale de l’ADN VHB, de l’Ag HBe, de l’Ac anti-HBe (marqueurs de réplication du virus permettant d’identifier la phase de l’hépatite chronique), la sérologie du virus de l’hépatite D (VHD), un hémogramme, le taux de prothrombine (TP), une albuminémie et le dosage de l’alanine aminotransférase (ALAT).
Le reste de la prise en charge, dans le cas d’une découverte d’hépatite B chronique, comprend une échographie hépatique, pour évaluer la morphologie hépatique et rechercher une hypertension portale ou un nodule hépatique, ainsi qu’une élastométrie hépatique pour évaluer la fibrose hépatique. Ces examens ne sont pas urgents et sont coordonnés par un hépatologue lors d’une consultation spécialisée.
Au cours de la grossesse, le traitement antiviral peut être indiqué dans deux objectifs :
- la santé de la patiente elle-même. Si celle-ci a une indication personnelle de traitement, alors la molécule à privilégier est le ténofovir disoproxil fumarate (TDF) car cet antiviral a un profil de sécurité satisfaisant au cours de la grossesse ;
- la prévention de la transmission mère-enfant. Le risque de transmission mère-enfant est fortement corrélé au taux d’ADN VHB. Si la patiente n’a pas d’indication personnelle de traitement, il est alors recommandé d’introduire un traitement par TDF si l’ADN VHB est supérieur à 200 000 UI/mL car celui-ci a fait la preuve de son efficacité pour réduire la transmission.8 Le traitement doit alors être démarré entre 24 et 28 SA. Dans les autres situations (ADN VHB < 200 000 UI/mL), la sérovaccination du nouveau-né suffit à rendre le risque de transmission quasi nul et le traitement antiviral n’a pas d’utilité.
Si le traitement est introduit en cours de grossesse, il ne doit pas être brutalement interrompu après l’accouchement. Son arrêt est conseillé douze semaines après l’accouchement et doit s’accompagner d’une surveillance car un risque de cytolyse hépatique ou de réactivation secondaire du VHB a été décrit.
Accouchement et allaitement
Le mode d’accouchement ne doit pas être influencé par le diagnostic d’hépatite B active et la patiente doit être prise en charge selon les indications obstétricales uniquement. En effet, il n’y a pas d’étude ayant permis de montrer que l’accouchement par voie basse serait associé à un risque plus élevé de transmission, et ce risque est quasi nul si la prévention est correctement effectuée.
L’allaitement n’est pas contre-indiqué.
Sérovaccination du nouveau-né
Tout enfant né de mère positive pour l’Ag HBs doit être sérovacciné à la naissance, c’est-à-dire dans ses douze premières heures de vie. Cette sérovaccination comporte une injection intramusculaire de 100 UI d’immunoglobulines anti-HBs et une injection intramusculaire de vaccin anti-VHB, sur un autre site, par exemple une injection dans chaque cuisse. Idéalement, elle est réalisée en salle de naissance et elle doit être tracée dans le carnet de santé de l’enfant.
Le schéma vaccinal anti-VHB doit ensuite être complété (injections suivantes à un mois et six mois de vie), et la sérologie VHB complète (Ag HBs, Ac anti-HBs et Ac anti-HBc) doit être effectuée chez l’enfant à l’examen du neuvième mois. Cet examen permet de conclure à l’absence de transmission et à une bonne immunisation (tableau 2).
Virus de l’hépatite C
Le virus de l’hépatite C (VHC), virus à ARN, constitue l’une des principales causes d’hépatite chronique, de cirrhose et de carcinome hépatocellulaire (CHC) dans le monde. En 2019, l’OMS estimait que 58 millions de personnes étaient infectées par le VHC. Grâce aux nouveaux traitements, la prévalence en France est en diminution constante.
Le VHC se transmet principalement par contact avec du sang contaminé, notamment lors de l’usage partagé de matériel d’injection, de transfusions sanguines avant 1991 ou par du matériel non stérilisé utilisé pour des tatouages et piercings. La transmission sexuelle de l’hépatite C est faible ; elle est principalement associée aux rapports anaux, et rare lors des rapports vaginaux.
Présentation clinique
La période d’incubation varie de trente à soixante jours. La grande majorité des patientes (80 %) est asymptomatique. Au moins 50 % des personnes infectées évoluent vers une infection chronique, indépendamment de la gravité de l’infection initiale. L’infection chronique à VHC peut évoluer vers une cirrhose. La co-infection par le VIH est un facteur de risque d’aggravation clinique.
Diagnostic biologique
Le dépistage sérologique du VHC en début de grossesse est fortement recommandé en cas de facteurs d’exposition (antécédent de toxicomanie intraveineuse, infection à VIH, tatouage/piercing…). Il est réalisé par la recherche des anticorps anti-VHC. En cas de positivité, la quantification de la charge virale VHC doit être réalisée.
Transmission materno-fœtale
La transmission materno-fœtale n’est observée qu’en cas de réplication virale maternelle. Elle est de l’ordre de 3 à 5 %9,10 et est augmentée en cas de co-infection par le VIH.9
Prise en charge pendant la grossesse
En cas de découverte d’une sérologie hépatite C positive en cours de grossesse et de charge virale négative, le risque de transmission est nul, aucun examen complémentaire n’est indiqué. La grossesse est poursuivie normalement. La patiente est revue dans le post-partum, en hépatologie, pour discuter d’un traitement curatif.
En cas de charge virale positive, la patiente est orientée vers un centre spécialisé afin de réaliser des explorations (bilan hépatique complet avec dosage du TP, recherche de co-infection par le VHB ou le VHD et échographie hépatique). Tous les traitements curatifs anti-VHC sont à ce jour contre-indiqués pendant la grossesse.11
En cas de gestes invasifs, malgré une littérature pauvre, il est conseillé de privilégier une amniocentèse à une biopsie de trophoblaste afin de limiter les risques de transmission.
Prise en charge de l’accouchement et allaitement
Aucune mesure particulière n’est nécessaire pour l’accouchement en dehors des mesures de protection pour le personnel. Il n’est pas indiqué de réaliser une césarienne pour prévenir la transmission materno-fœtale.12,13 Pendant le travail, l’utilisation d’électrode au scalp ou la réalisation de prélèvement sanguin au scalp sont contre-indiquées.
L’allaitement est possible en cas d’hépatite C maternelle.13
Virus de l’hépatite D
Le virus de l’hépatite D (VHD) est un virus à ARN qui co-infecte ou surinfecte les patientes ayant une hépatite B active, c’est-à-dire avec un Ag HBs positif. Ses modes de transmission sont identiques à ceux du VHB. Dans le monde, 5 à 10 % des personnes atteintes de VHB seraient également infectées par le VHD. L’infection active est définie par la positivité de la charge virale ARN VHD dans le sang. Il y a très peu de données sur les femmes infectées par le VHD pendant la grossesse et sur le risque de transmission mère-enfant.
Prise en charge pendant la grossesse
Une sérologie VHD est recommandée chez toutes les femmes enceintes positives pour l’AgHBs. Si cette sérologie est positive, il est alors recommandé de réaliser une charge virale ARN du VHD.8
Les deux traitements spécifiques du VHD (interféron alpha pégylé et bulévirtide) sont contre-indiqués pendant la grossesse. Il n’y a cependant généralement pas d’urgence à démarrer ces traitements, et l’indication peut être réévaluée après l’accouchement.
Le dosage des transaminases peut fluctuer plus fréquemment que lors d’une mono-infection à VHB.
Virus de l’hépatite E
Le virus de l’hépatite E (VHE) est la cause la plus fréquente d’hépatite virale aiguë, avec 20 millions d’infections par an dans le monde et 44 000 décès en 2015. Deux profils épidémiologiques se distinguent. Dans les pays à faible revenu, le VHE est endémique, sa transmission est essentiellement féco-orale par ingestion d’eau contaminée. Il s’agit des génotypes 1 et 2, qui sont strictement humains. Dans les pays industrialisés, la transmission est essentiellement zoonotique (réservoir principal : le porc). Il s’agit alors des génotypes 3 et 4, responsables de cas sporadiques.
Présentation clinique et prise en charge
Les formes cliniques associées aux génotypes 1 et 2 sont exclusivement aiguës. Des formes sévères sont constatées chez les femmes enceintes (la moitié des patientes développent une hépatite fulminante), surtout au troisième trimestre, avec une mortalité estimée entre 20 et 25 %. Les patientes présentant une hépatite aiguë E ont une augmentation de la morbidité obstétricale14 avec un risque accru de prématurité, de mort fœtale in utero et d’hémorragies en dehors du travail. La transmission verticale est très rare.
Aucune augmentation de la gravité n’a été observée pour les quelques cas signalés pendant la grossesse dans les zones de faible endémie (génotypes 3 et 4).
Diagnostic biologique
Le diagnostic de l’hépatite E doit être proposé aux femmes enceintes en cas de cytolyse hépatique, signes cliniques évocateurs d’une hépatite virale aiguë. Il est réalisé par la recherche d’IgM anti-VHE et, en cas de positivité, par la quantification de la charge virale dans le sang.
Le diagnostic post-natal d’une éventuelle infection congénitale repose sur la détection du génome viral du VHE dans les selles ou le sérum du nouveau-né.
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