objectifs
ARGUMENTER les principales hypothèses diagnostiques et JUSTIFIER les examens complémentaires pertinents.
DIAGNOSTIQUER un ictère chez le nouveau-né, IDENTIFIER les situations d’urgence et PLANIFIER leur prise en charge.
L’ictère se définit comme une coloration jaune des téguments causée par l’accumulation anormale de bilirubine dans le sang et les tissus. Dans les conditions physiologiques, la bilirubinémie totale est inférieure à 20 μmol/L. L’ictère apparaît dès que la bilirubinémie dépasse 40 μmol/L, d’abord visible seulement au niveau de la sclère oculaire (subictère conjonctival) puis au niveau de l’ensemble des téguments lorsqu’elle s’accentue.
L’analyse des signes cliniques, la distinction des hyperbilirubinémies à prédominance conjuguée et non conjuguée et l’imagerie hépatobiliaire sont les principales étapes de la démarche diag­nostique permettant d’identifier la cause de l’ictère.

Mécanismes physiopathologiques de l’hyperbilirubinémie

La connaissance du métabolisme de la bilirubine est le prérequis indispensable à la compréhension des mécanismes et des caractéristiques clinico-biologiques des différentes causes d’ictère.

Métabolisme physiologique de la bilirubine

La bilirubine est un produit de dégradation de l’hème qui provient pour l’essentiel du catabolisme de l’hémoglobine lors de la destruction des globules rouges sénescents par les macrophages. La contribution des autres hémoprotéines de l’organisme dans la production de bilirubine est faible. L’hème est catabolisé par des réactions enzymatiques en biliverdine puis en bilirubine libérée dans le plasma. Le processus de dégradation de l’hème peut être observé directement lors de la résorption locale des ecchymoses qui, après avoir pris une teinte rouge ou violette, virent au vert et au jaune.
La bilirubine non conjuguée (BNC) est insoluble dans l’eau donc non éliminable par voie rénale. Elle est transportée dans le plasma liée à l’albumine. Elle est captée par les hépatocytes, transportée par la glutathion S-transférase (ligandine) puis conjuguée dans le réticulum endoplasmique avec l’acide glucuronique par l’enzyme UDP-glucuronyltransférase. La bilirubine conjuguée (BC) est hydrosoluble et sécrétée dans la bile via le transporteur ABCC2 au niveau du pôle canaliculaire de l’hépatocyte. Elle parvient avec le flux biliaire dans le tube digestif où elle est dégradée en urobilinogène-urobiline et stercobilinogène-stercobiline. L’urobiline est réabsorbée. Elle est hydrosoluble et éliminée par les reins, donnant leur couleur jaune aux urines. La stercobiline est éliminée dans les selles leur donnant leur couleur marron (fig. 1).

Mécanismes de l’hyperbilirubinémie non conjuguée

L’hyperbilirubinémie non conjuguée répond à deux mécanismes principaux qui sont l’excès de production de bilirubine dépassant les capacités de conjugaison du foie (hémolyse) (fig. 2) et un déficit du système de conjugaison (syndromes constitutionnels de Gilbert et de Crigler-Najjar). La bilirubine non conjuguée, non filtrée par les reins, s’accumule dans le sang et les téguments à l’origine de l’ictère. Dans ce cas, les urines et les selles gardent une coloration normale. Un cas particulier est celui de l’hémolyse intravasculaire à l’origine d’une hémoglobinurie qui donne aux urines un aspect rouge porto. Chez le nouveau-né, la bilirubine non conjuguée liposoluble peut franchir la barrière hémato-encéphalique immature et s’accumuler dans les noyaux cérébraux à l’origine de l’encéphalopathie bilirubinique.

Mécanismes de l’hyperbilirubinémie conjuguée

L’hyperbilirubinémie à prédominance conjuguée s’inscrit le plus souvent dans le cadre d’une cholestase définie comme l’arrêt ou la diminution de la sécrétion biliaire par obstruction des gros canaux biliaires (cholestase extrahépatique) ou par lésions des petits canaux biliaires ou des hépatocytes (cholestase intrahépatique). La cholestase ictérique se traduit par une élévation des phosphatases alcalines, de la gamma-glutamyltransférase et de la BC. Les modifications de coloration des urines et des selles traduisent les conséquences de la cholestase ictérique. En l’absence de bilirubine conjuguée dans la lumière digestive, il n’y a pas formation de stercobiline, et les selles s’éclaircissent. Parallèlement, la bilirubine conjuguée hydrosoluble présente dans le plasma est filtrée par le glomérule rénal et évacuée dans les urines, les rendant foncées (fig. 3). La sécrétion des acides biliaires et de la bilirubine ne se faisant pas par les mêmes transporteurs, il est possible d’observer des cholestases anictériques. Dans cette situation, les phosphatases alcalines et la gamma-glutamyltransférase sont augmentées alors que la bilirubinémie est dans les limites de la normale. Une augmentation isolée des phosphatases alcalines, non cholestatique donc sans augmentation de la gamma-glutamyltransférase et de la bilirubine, peut être observée au cours du troisième trimestre de la grossesse (phosphatases alcalines placentaires), chez l’adolescent en période de croissance osseuse (phosphatases alcalines osseuses) et au cours de maladies osseuses comme l’ostéomalacie ou la maladie de Paget. Qu’elle soit ictérique ou anictérique, la cholestase peut être à l’origine d’un prurit lié à l’accumulation de substances pruritogènes agissant au niveau neurologique périphérique et central. En cas de cholestase prolongée, la malabsorption de vitamine K entraîne une baisse du TP par défaut de synthèse des facteurs de coagulation vitamine K-dépendants alors que le facteur V reste normal. La baisse du TP est corrigée par l’apport parentéral de vitamine K contrairement à la baisse du TP induite par l’insuffisance hépatocellulaire. Exceptionnellement, la sécrétion de bilirubine conjuguée est inhibée de façon sélective, en l’absence de cholestase : ce sont les syndromes de Dubin-Johnson et de Rotor liés à des mutations des transporteurs hépatocytaires de bilirubine conjuguée.

Diagnostic étiologique

Les différentes causes d’ictère peuvent être classées en deux grandes catégories : ictères à bilirubine non conjuguée et ictères à bilirubine conjuguée. La connaissance des mécanismes décrits précédemment permet d’identifier aisément, par un raisonnement simple, les principales causes impliquées dans la survenue de ces ictères.

Ictère à bilirubine non conjuguée

Chez l’adulte, les causes d’hyperbilirubinémie non conjuguée sont représentées par des maladies hématologiques (hyperhémolyse, dysérythropoïèse) et le déficit partiel en glucuronyltransférase à l’origine du syndrome de Gilbert.
Outre l’ictère (fig. 2), l’hyperhémolyse se traduit par un syndrome anémique (sauf en cas d’hémolyse minime compensée par l’hyper­réticulocytose) et une splénomégalie. Le diagnostic repose sur le contexte clinique et la biologie : anémie régénérative, présence de schizocytes au frottis sanguin, hyperréticulocytose, haptoglobine effondrée, LDH augmentés. Des explorations complémentaires permettent d’identifier la cause de l’anémie hémolytique, corpusculaire ou extracorpusculaire. La dysérythropoïèse est à l’origine d’une anémie non régénérative par hémolyse intramédullaire. Les caractéristiques de l’ictère sont les mêmes que celles de l’hyperhémolyse périphérique.
En dehors d’un contexte hématologique, un ictère à bilirubine non conjuguée chez l’adulte doit faire évoquer en premier lieu le syndrome de Gilbert qui correspond à une diminution partielle de l’activité de la glucuronyltransférase d’origine génétique. L’ictère est habituellement isolé, minime et bénin. Aucun traitement n’est nécessaire (v. Focus).
Chez le nouveau-né, l’ictère à bilirubine non conjuguée expose, lorsqu’il devient intense, à un risque de toxicité neurologique grave (ictère nucléaire) qui se traduit par une encéphalopathie avec des atteintes motrices, auditives et oculomotrices. Cette toxicité est liée au passage de la bilirubine non conjuguée, liposoluble, à travers la barrière hémato-encéphalique immature et à son accumulation principalement dans les noyaux gris cérébraux. Le dépistage est primordial pour mettre en œuvre en temps utile, en fonction du niveau d’hyperbilirubinémie pondéré par l’âge postnatal, la prématurité, le poids et le contexte pathologique, les mesures préventives représentées par la photothérapie et l’exsanguinotransfusion. La photothérapie agit en transformant la bilirubine non conjuguée en dérivés qui peuvent être éliminés par voie urinaire et fécale.
La cause la plus fréquente d’ictère à bilirubine non conjuguée du nouveau-né est l’ictère physiologique qui est lié à l’hyperproduction de bilirubine et à l’immaturité du système de glucuroconjugaison pendant les premiers jours de vie. Il est maximal au 4e ou 5e jour, généralement d’intensité minime ou modérée, sans autre anomalie clinique et décroît spontanément. C’est un diag­nostic d’élimination.
Une autre cause bénigne, beaucoup plus rare, est l’ictère induit par l’allaitement maternel. Le mécanisme physiopathologique est controversé et mal connu. L’ictère est isolé, d’intensité généralement modérée. Il n’impose pas l’interruption de l’allaitement maternel et nécessite rarement une photothérapie.
Le risque d’encéphalopathie est élevé lors des ictères d’intensité sévère observés au cours des hémolyses immunitaires ou constitutionnelles et lors du déficit sévère en glucuronyltransférase (syndrome de Crigler-Najjar). La photothérapie et éventuellement l’exsanguinotransfusion permettent de prévenir les complications neurologiques.
L’incompatibilité materno-fœtale rhésus ou ABO se traduit par une hémolyse sévère liée au passage chez le fœtus des anticorps maternels dirigés contre les antigènes de surface des globules rouges fœtaux entraînant leur destruction. L’ictère est associé à une hépatosplénomégalie. L’hyperhémolyse chez le nouveau-né peut également être d’origine constitutionnelle (déficit en G6DP, sphérocytose héréditaire).
L’exceptionnel syndrome de Crigler-Najjar est secondaire à un déficit constitutionnel sévère en glucuronyltransférase lié à des mutations du gène de cette enzyme (et non de son promoteur comme dans le syndrome de Gilbert). La transmission est autosomique récessive. Le syndrome se présente sous deux formes :
le type 1 se caractérise par un effondrement quasi complet de l’activité enzymatique. Le risque d’encéphalopathie bilirubinique est très élevé. Le traitement repose à la période néonatale sur la photothérapie et l’exsanguinotransfusion et secondairement sur la transplantation hépatique ;
le type 2 est moins sévère. L’enzyme n’est pas strictement absente (< 10 %). Le risque d’encéphalopathie bilirubinique est faible. Le traitement au long cours repose sur le phénobarbital, inducteur enzymatique de la conjugaison.

Ictère à bilirubine conjuguée

Les ictères à bilirubine conjuguée s’intègrent dans le cadre de la cholestase hormis les rares cas d’hyperbilirubinémie secondaires à des mutations sur les transporteurs de bilirubine conjuguée. Les lésions peuvent se situer soit au niveau des gros canaux biliaires visibles à l’imagerie biliaire (cholestase extra­hépatique), soit au niveau des petits canaux biliaires visibles seulement à l’examen microscopique ou des hépatocytes (cholestase intra­hépatique) [tableau 1].

Cholestase par atteinte des gros canaux biliaires

Les principales causes d’obstruction des voies biliaires extra- hépatiques sont la lithiase biliaire, le cancer du pancréas et le cancer des voies biliaires (tableau 2).
La migration lithiasique se manifeste typiquement par la survenue d’une douleur brutale et intense de l’hypocondre droit suivie d’une fièvre et d’un ictère. Cette triade dite de Charcot est typique de l’angiocholite lithiasique. Le calcul siège le plus souvent dans la voie biliaire principale, mais il peut aussi être enclavé dans le cystique et exercer une compression extrinsèque de la voie biliaire principale (VBP) (syndrome de Mirizzi). L’imagerie de première intention est l’échographie, qui peut montrer une dilatation des voies biliaires et parfois le calcul enclavé. Elle est souvent complétée par une cholangiographie IRM, qui est plus sensible et plus spécifique. L’examen le plus performant pour détecter les calculs infracentimétriques est l’écho-endoscopie haute. Le traitement de l’angiocholite est une urgence qui repose 1) sur la mise en route d’une antibiothérapie à large spectre dirigée au minimum contre les germes à Gram négatif du tube digestif et 2) la désobstruction de la voie biliaire principale par sphinctérotomie endoscopique et extraction des calculs au cours d’une cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE). Très rarement, en cas d’échec ou d’impossibilité de l’examen endoscopique, le drainage biliaire peut être obtenu par voie percutanée. La prise en charge est adaptée au degré de sévérité du sepsis. Un sepsis sévère ou un choc septique imposent une hospitalisation en soins intensifs ou unité de surveillance continue. L’antibiothérapie empirique est adaptée aux résultats des hémocultures et culture de bile. Une cholécystectomie secondaire est indiquée sauf en cas de comorbidités rendant le geste chirurgical à haut risque.
Le cancer de la tête du pancréas et le cholangiocarcinome de la voie biliaire principale ou du hile sont typiquement révélés par un ictère nu, c’est-à-dire sans fièvre ni douleurs. L’altération de l’état général domine le tableau. Un prurit peut précéder l’ictère. L'échographie complétée par un scanner et une IRM met en évidence la dilatation des voies biliaires en amont d’un obstacle qui peut être visible sous la forme d’un syndrome de masse. En cas de tumeur du hile (tumeur de Klatskin), les voies biliaires intrahépatiques sont dilatées alors que la voie biliaire principale a un calibre normal. L’échoendoscopie haute permet de préciser au mieux l’extension locale de la tumeur et parfois d’effectuer une biopsie pour obtenir un diagnostic histologique. La cholangio­pancréatographie rétrograde endoscopique permet également d’effectuer des prélèvements (cytologie biliaire, brossage, biopsies) et le cas échéant d’assurer un drainage biliaire par la mise en place d’une prothèse à visée palliative ou préopératoire.
Le cancer de la vésicule peut être révélé par un ictère secondaire à un envahissement par contiguïté du pédicule hépatique ou par compression biliaire par des adénopathies. L’ampullome vatérien est une tumeur (adénome, adénocarcinome) qui se développe à la convergence des canaux biliaires et pancréatiques (ampoule de Vater). L’ictère est typiquement variable dans son intensité (contrairement à l’aggravation inexorable de l’ictère du cancer du pancréas ou du cholangiocarcinome). L’existence d’une anémie par saignement digestif lorsque l’ampullome envahit la paroi duodénale est un élément d’orientation diagnostique. Les voies biliaires sus-jacentes sont dilatées à l’échographie. En cas de développement dans le duodénum, le diagnostic peut être obtenu par une duodénoscopie qui permet de visualiser la tumeur et de la biopsier. En cas de développement strictement intra-ampullaire, la tumeur peut être visualisée par échoendoscopie et le diagnostic histologique obtenu par biopsies ampullaires après sphinctérotomie endoscopique.
Les autres causes sont plus rares. Citons la compression extrinsèque de la voie biliaire principale par des adénopathies malignes (cancers digestifs, lymphome) ou bénignes (tuber­culose, sarcoïdose), la sténose fibreuse du cholédoque ou la compression par des faux kystes au cours de la pancréatite chronique calcifiante, les sténoses bénignes après plaie biliaire opératoire. Enfin, la cholangite sclérosante primitive est une atteinte inflammatoire de cause inconnue qui touche les gros canaux biliaires extrahépatiques et/ou intrahépatiques et qui se traduit par une cholestase chronique. La cholangiographie IRM permet de préciser l’atteinte canalaire (aspect irrégulier et moni­liforme des voies biliaires atteintes). Elle est associée dans 70 à 80 % des cas à une maladie inflammatoire intestinale (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn ou colite indéterminée). Un cas particulier est la cholangite à IgG4 (caractérisée par l’augmentation des IgG4 sériques et un infiltrat inflam­matoire à lymphocytes IgG4) qui peut être associée à une pancréatite auto-immune et dont le traitement repose sur la corticothérapie. Des sténoses inflammatoires serrées peuvent compliquer l’évolution. Le diagnostic différentiel avec une trans­formation focale en cholangiocarcinome est difficile. L’apparition d’un ictère ou d’angiocholites à répétition doivent faire discuter une transplantation hépatique.
Rappelons que la dilatation de la vésicule palpable à l’examen clinique apparaît lorsque l’obstacle est situé en aval du cystique et lorsque la vésicule est saine. Il n’y a pas de dilatation possible en cas de vésicule lithiasique scléro-atrophique même en cas de cancer du pancréas.

Cholestase par atteinte des petits canaux biliaires

Les principales causes sont les hépatites immuno-allergiques médicamenteuses, la cholangite biliaire primitive et la cholangite sclérosante primitive.
L’atteinte médicamenteuse des petits canaux biliaires est observée notamment avec des antibiotiques tels que l’amoxicilline- acide clavulinique ou un macrolide. Elle se traduit par un tableau pseudo-angiocholitique avec des douleurs de l’hypocondre droit, une fièvre et une cholestase anictérique ou ictérique. L’existence d’une hyperéosinophilie, la chronologie et éventuellement la biopsie hépatique permettent de poser le diagnostic.
La cholangite biliaire primitive (anciennement cirrhose biliaire primitive) est une maladie auto-immune touchant principalement la femme. Elle se traduit par une cholestase chronique, la présence d’anticorps antimitochondries de type M2 et l’existence d’une cholangite destructrice non suppurée à l’examen histologique. La biopsie n’est pas obligatoire lorsque les deux premiers critères sont réunis. Le prurit peut être le premier signe clinique de la maladie. Le traitement repose sur l’acide ursodésoxycholique au long cours. L’apparition d’un ictère signe un stade évolué devant faire discuter une transplantation hépatique.
La cholangite sclérosante primitive des petits canaux biliaires est plus rare. Elle peut évoluer progressivement vers une atteinte des plus gros canaux.
Des syndromes de chevauchement (« overlap syndromes ») sont possibles, associant les caractéristiques de la cholangite biliaire primitive et de l’hépatite auto-immune ou de la cholangite sclérosante primitive et de l’hépatite auto-immune.
Enfin, citons les ictères liés à l’envahissement tumoral massif primitif ou secondaire du foie, et ceux observés au cours de l’infiltration massive du foie par une amylose (secondaire à une hémopathie ou une maladie inflammatoire chronique) ou une sarcoïdose.

Cholestase sans atteinte des canaux biliaires

Au cours du syndrome inflammatoire, les cytokines pro-inflammatoires peuvent induire une inhibition du transport canaliculaire des acides biliaires et/ou de la bilirubine conjuguée par action directe sur l’expression des transporteurs spécifiques. Il en résulte une cholestase ictérique ou anictérique. Ces mécanismes sont en cause au cours des hépatites aiguës virales (virus A, B, C, D, E, Epstein-Barr, cytomégalovirus, herpès), auto-immune, alcoolique ou médicamenteuse. Les hépatites aiguës relèvent d’une prise en charge en urgence lorsqu’il existe une insuffisance hépatocellulaire. Il s’agit principalement des infections virales aiguës A, B ou BD et E, de l’hépatite auto-immune et des hépatites médicamenteuses lorsque le médicament responsable a été stoppé tardivement. L’hépatite est dite sévère lorsque le TP baisse au-dessous de 50 % et justifie alors une surveillance en milieu spécialisé. Elle est dite fulminante lorsque des signes d’encéphalopathie hépatique apparaissent dans les 2 semaines suivant l’apparition de l’ictère et subfulminante lorsque l’encéphalopathie apparaît au-delà de deux semaines. Dans les deux cas, une hospitalisation dans un service de transplantation hépatique s’impose pour discuter une greffe en super-urgence. En cas d’intoxication au paracétamol, une perfusion en urgence de l’antidote N-acétylcystéine est indiquée.
L’hépatite aiguë alcoolique est un cas particulier qui peut justifier la mise en route d’une corticothérapie lorsqu’elle est sévère. Les signes cliniques évocateurs chez un buveur excessif sont les hépatalgies avec décalage thermique, l’existence d’une cytolyse modérée prédominant sur les ASAT et d’une hyperleucocytose à prédominance de polynucléaires neutrophiles. Le diagnostic de certitude est histologique, obtenu par biopsie percutanée ou transjugulaire selon le bilan de coagulation. La sévérité est évaluée par le score de Maddrey combinant le temps de prothrombine et la bilirubinémie. En cas de score supérieur à 32 et en l’absence de contre-indication infectieuse, la corticothérapie est indiquée et permet d’améliorer le pronostic vital.
L’hépatite auto-immune est révélée par une cytolyse chronique ou une hépatite aiguë cytolytique ictérique parfois fulminante. Le diagnostic repose sur l’association d’une cytolyse hépatique, d’anticorps antinucléaires et/ou antimuscles lisses (type 1) ou anti-LKM (type 2), d’une hypergammaglobulinémie (augmentation des IgG) et d’une hépatite d’interface (nécrose parcellaire) à la biopsie. Le traitement repose sur les corticoïdes et les immuno­suppresseurs.
L'inhibition des transporteurs canaliculaires par des cytokines pro-inflammatoires peut aussi être en cause dans les infections systémiques sévères, sans atteinte hépatique propre. Le traitement de l’atteinte hépatique est celui en urgence de l’infection systémique.
À un stade évolué, la cirrhose quelle que soit sa cause peut se compliquer d’une cholestase ictérique ou anictérique par de multiples mécanismes combinés : insuffisance hépatocellulaire, insuffisance rénale, inhibition de la captation hépatocytaire des acides biliaires, inhibition des transporteurs canaliculaires par un syndrome inflammatoire en rapport ou non avec des infections.

Hyperbilirubinémie conjuguée sans cholestase

Cette situation correspond à l’inhibition isolée du transport hépatocytaire de la bilirubine conjuguée dans la bile. Le tableau est alors celui d’une hyperbilirubinémie conjuguée sans cholestase. Des mutations au niveau des transporteurs hépatocytaires de la bilirubine déterminent deux syndromes extrêmement rares : le syndrome de Dubin-Johnson et le syndrome de Rotor.
Le syndrome de Dubin-Johnson se révèle généralement à l’adolescence sous forme d’un ictère à prédominance de bilirubine conjuguée sans autre anomalie des tests hépatiques. Il n’y a pas de prurit. La biopsie hépatique si elle est réalisée met en évidence des dépôts cytoplasmiques pigmentaires brun-noir dans les hépatocytes. Le diagnostic est génétique. L’évolution est constamment bénigne et ne justifie pas de traitement.
Le syndrome de Rotor est également bénin. La transmission est autosomale récessive. L’hyperbilirubinémie à prédominance conjuguée est le souvent diagnostiquée dans l’enfance, fluctuant entre 40 et 100 µmol/L. Les mutations génétiques à l’origine du syndrome ont été découvertes en 2012. Aucun traitement n’est nécessaire.

Démarche diagnostique

La démarche diagnostique est résumée dans la fig. 4. La clinique ne doit pas être négligée. Avant tout examen complémentaire, le terrain (âge, sexe, habitus), les modalités d’installation de l’ictère (douleur biliaire, fièvre, altération de l’état général, prise de médicaments hépatotoxiques), l’existence d’un syndrome anémique, la couleur des urines et des selles, la palpation d’une hépato­mégalie, d’une splénomégalie ou d’une vésicule dilatée, la présence de signes d’hépatopathie chronique sont des éléments d’orientation étiologique.
La biologie permet de différencier les hyperbilirubinémies non conjuguée et conjuguée et de s’assurer de l’absence d’insuffisance hépatocellulaire par la mesure du taux de prothrombine (diagnostic différentiel avec l’hypovitaminose K). L’échographie est l’examen d’imagerie de première intention. Elle permet de séparer les ictères avec dilatation des voies biliaires orientant vers un obstacle et les ictères sans dilatation orientant vers une cause intrahépatique. Il faut retenir toutefois que l’absence de dilatation n’élimine pas formellement un obstacle des voies biliaires (obstacle récent notamment lithiasique, sclérose des canaux ou du parenchyme).
Les examens d’imagerie de seconde intention dépendent de l’orientation diagnostique donnée par le bilan clinico-biologique et échographique initial. En cas de suspicion de lithiase de la voie biliaire principale, les examens qui se discutent sont la cholangiographie IRM ou l’échoendosocopie avec dans le même temps anesthésique une cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique à visée thérapeutique si le diagnostic a été confirmé. En cas de suspicion de maladie tumorale, le scanner et la cholangio-IRM sont indiqués pour identifier le syndrome de masse et évaluer l’extension loco-régionale. L’échoendoscopie est utile à deux titres. Elle permet de préciser au mieux l’extension locale et éventuellement d’obtenir un diagnostic histologique par ponction dirigée. La cholangiopancréatographie rétrograde endo­scopique permet également de réaliser des prélèvements (cytologie biliaire, brossage, biopsies) et, éventuellement, de mettre en place une prothèse pour drainage biliaire.
En cas de cholestase intrahépatique, la biologie complémentaire explore principalement les causes virales (infections virales A, B, BD, C, E, Epstein-Barr, cytomégalovirus), immunitaires (cirrhose biliaire primitive, hépatite auto-immune de types 1 et 2) ou des causes plus rares (maladie de Wilson, déficit en alpha-1-anti­trypsine, amylose).
La biopsie de foie devient indispensable en dernier lieu en cas de difficultés diagnostiques pour les cas de cholestase par atteinte des petits canaux biliaires ou des hépatocytes.

Conclusion

L’ictère est la traduction symptomatique d’un très grand nombre de maladies hépatiques et extrahépatiques. Une démarche diag­nostique cohérente ne peut reposer que sur la connaissance des mécanismes d’élimination de la bilirubine. Quatre niveaux successifs d’analyse et d’explorations – la clinique, la distinction biologique des ictères à bilirubine non conjuguée et à bilirubine conjuguée, l’orientation vers une cause extra- ou intra­hépatique par l’imagerie, la biopsie hépatique pour certains cas de cholestase intrahépatique – permettent d’aboutir rapidement au diag­nostic dans la grande majorité des cas.
Points forts
Ictère

La distinction des ictères à bilirubine non conjuguée et à bilirubine conjuguée est la première étape du raisonnement étiologique.

L’ictère à bilirubine non conjuguée chez l’adulte correspond à une hyperhémolyse ou au syndrome de Gilbert.

Le syndrome de Gilbert doit être parfaitement connu du fait de sa fréquence (5-10 % de la population générale). Le diagnostic est aisé et repose sur l’élimination d’une hyperhémolyse (hémogramme, réticulocytose, haptoglobine). Ce n'est pas une maladie. Aucun traitement n’est justifié.

L’ictère à bilirubine non conjuguée chez le nouveau-né se caractérise par le risque de complications neurologiques graves (encéphalopathie bilirubinique-ictère nucléaire) si des mesures préventives (phothotérapie, exsanguino-transfusion) ne sont pas mises en œuvre en fonction de la concentration sanguine de bilirubine.

L’existence d’une dilatation des voies biliaires à l’échographie oriente vers une cholestase extra-hépatique ; en revanche, l’absence de dilatation n’élimine pas totalement ce diagnostic. Une obstruction lithiasique débutante peut ne pas s’accompagner d’une dilatation des voies biliaires.

L’échoendoscopie haute est l’examen le plus performant pour le diagnostic de lithiase de la voie biliaire principale. Elle peut être complétée dans le même temps anesthésique par un cathétérisme rétrograde des voies biliaires pour l’extraction des calculs. En cas de tumeurs de la tête du pancréas ou de la voie biliaire principale, elle peut permettre d'effectuer des ponctions dirigées de la lésion primitive ou d’adénopathies, et elle contribue au bilan d’extension locorégionale de ces tumeurs.

Encadre

Le syndrome de Gilbert

Le syndrome de Gilbert est une cause bénigne d’ictère à bilirubine non conjuguée lié à un déficit partiel en glucuronyl-transférase. Ce déficit est secondaire à des mutations du promoteur du gène de l’enzyme. Les mutations sont non pathogènes et correspondent à un polymorphisme génétique. Le syndrome de Gilbert n'est pas une maladie. La transmission est autosomique récessive. Chez les sujets atteints, l’activité enzymatique représente 20-35 % de la normale. Il est admis que l’expression clinique du déficit nécessite la coexistence d’autres anomalies mineures telles qu’un déficit de captation hépatocytaire de la bilirubine, une dysérythropoïèse ou une hémolyse a minima. Cela expliquerait pourquoi seulement 40 % des individus homozygotes ont une expression clinique. Finalement, la fréquence du syndrome de Gilbert dans la population générale caucasienne se situe entre 5 et 10 %.

L’expression clinique est un ictère fluctuant et d’intensité minime sans aucune autre anomalie. Les selles sont normalement colorées et les urines ne sont pas foncées. Il n’y a pas de splénomégalie. En fait, le diagnostic est souvent fait de façon incidente à l'occasion d’un bilan biologique de routine mettant en évidence une minime hyperbilirubinémie non conjuguée, sans autre anomalie des tests hépatiques. La numération formule, la réticulocytose et l'haptoglobine sont dans les limites de la normale. L’hyperbilirubinémie non conjuguée ne dépasse pas 80 µmoles/L. Toute élévation au-dessus de ce seuil doit faire évoquer un autre diagnostic. La recherche de la mutation du promoteur du gène est inutile en pratique clinique.

L’hyperbilirubinémie du syndrome de Gilbert peut être révélée ou accentuée par le jeûne ou des infections intercurrentes. Elle est diminuée voire corrigée par la prise de phénobarbital, qui est un inducteur enzymatique de la glucuro-conjugaison. Néanmoins, compte tenu des effets indésirables de ce médicament et du caractère totalement bénin du syndrome de Gilbert, aucun traitement médicamenteux n’est recommandé. Le pronostic est excellent.

La glucuro-conjugaison intervient dans l’élimination des métabolites toxiques de certains médicaments. C’est le cas de l’irinotécan, inhibiteur de l’ADN topoisomérase de type 1, qui est une chimiothérapie fréquemment utilisée. Un des métabolites actifs de l’irinotécan, le SN-38, doit être glucuro-conjugué pour être éliminé. Un déficit même partiel de la glucuro-conjugaison de l’irinotécan ralentit l’élimination du métabolite et augmente de ce fait la toxicité de la chimiothérapie. Plusieurs allèles du promoteur de l’enzyme ont été identifiés comme étant responsables d’une aggravation de la toxicité de l’irinotécan. En France, un génotypage systématique avant mise en route du traitement n’est pas recommandé actuellement. En revanche, une réduction de dose est recommandée en cas d’hyperbilirubinémie entre 1,5 et 3 fois la normale avec une surveillance hématologique plus étroite et l'administration du médicament est contre-indiquée au-delà de 3 fois la normale.

Message auteur

Message de l'auteur

S’agissant d’une question transversale qui recoupe un grand nombre d’items de diverses spécialités, la probabilité que la question de l’ictère soit abordée à l’ECN d’une façon ou d’une autre est élevée. La connaissance minimale du métabolisme de la bilirubine doit permettre d’éviter de grossières erreurs d’interprétation des signes cliniques et des caractéristiques biologiques d’un ictère. La connaissance des principales causes est incontournable. Pour les plus fréquentes, elles font l’objet d’items spécifiques. Il paraît plus pertinent ici de mettre l’accent sur des causes moins fréquentes mais susceptibles d’entrer dans des cas cliniques transversaux sur plusieurs spécialités.

Il faut avoir l’esprit clair sur le diagnostic et les caractéristiques du syndrome de Gilbert (5 à 10 % de la population générale) qui peut être un facteur de confusion dans de nombreuses questions.

Les maladies immunitaires comme la cholangite biliaire primitive et l’hépatite auto-immune, peu abordées par ailleurs dans le programme, doivent être connues dans leurs principaux aspects. Ces hépatopathies ne sont pas fréquentes mais elles ne sont pas non plus exceptionnelles et peuvent faire l’objet d’un cas clinique exposant une cholestase intrahépatique chronique ou une hépatite cytolytique ictérique. Se souvenir que la terminologie « cirrhose biliaire primitive » est supplantée depuis peu par « cholangite biliaire primitive ». Elles peuvent s’intégrer dans le cadre d’un cas de « mosaïque immunitaire » associant par exemple une thyroïdite auto-immune et une maladie immunitaire du foie.

Les hépatites médicamenteuses peuvent également s’intégrer dans de nombreux cas cliniques dès lors que la prise en charge d’une maladie fait appel à un traitement médicamenteux notamment une antibiothérapie. Il ne faut pas méconnaître la possibilité d’hépatites médicamenteuses immuno-allergiques qui peuvent se révéler par un tableau pseudo-angiocholitique qui représente un piège diagnostique classique avec le diagnostic de lithiase biliaire compliquée.

Pour en savoir
Garioud A, Cadranel JF. Hépatite auto-immune. Rev Prat 2015;65:163-9.Ictère constitutionnel - Sites internet Orphanet : syndrome de Dubin-Johnson, syndrome de Rotor ; syndrome de Gilbert ; syndrome de Crigler-Najjar.Ictère néonatal - Recommandations de pratique clinique d’un groupe d’experts émanés de la Société française de néonatologie. Ictère à BNC du nouveau-né de 35 semaines et plus : du dépistage au suivi après sortie de la maternité. Recommandations pour la pratique clinique. Cortey A, Renesme L, Raignoux J, Bedu A, Casper C, Tourneux P, Truffert P. Arch Pediatr. 2017 Feb;24(2):192-203 (disponible en ligne).Valla DC. Cholestase. Hepato Gastro 2013;20:618-27. doi:10.1684/hpg.2013.0915Recommandations de pratique clinique 2010. Prise en charge de la lithiase biliaire. http://www.snfge.org/recommandations Conseil de pratique clinique 2014. Prise en charge de la cholangite sclérosante primitive (CSP). http://www.snfge.org/recommandations Conseil de pratique clinique 2014. Prise en charge de la cirrhose biliaire primitive (CBP). http://www.snfge.org/recommandations Cancer du pancréas. Cancer des voies biliaires. Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD). http://www.tncd.org/

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