La mucoviscidose, dépistée dès la naissance depuis 2002, touche 7 800 patients, d’un âge médian de 24 ans (données du Registre français 2023).1 Aujourd’hui encore, elle demeure une maladie génétique complexe particulièrement sévère : plus de 900 patients vivent grâce à une greffe bipulmonaire, et seuls 18 % des malades sont âgés de plus de 40 ans.
Le gène CFTR, porteur des mutations responsables de la maladie, a été identifié en 1989. Il code pour une protéine canal éponyme intervenant dans la régulation du transport des ions chlorure et sodium au niveau de la membrane cellulaire. Plus de 2 100 variants ont été identifiés et les mutations ont été regroupées en six classes de sévérité. La plus fréquente (83 % des malades en France) est la mutation F508del.
Les désillusions de la thérapie génique in vivo par transfection via des aérosols (vecteurs viraux ou inertes) ont conduit, au début des années 2000, à un changement radical de paradigme : la réparation de la protéine CFTR devient le nouveau défi. Dans un premier temps, des études de criblage ont permis d’identifier quelques molécules capables de restaurer partiellement la fonction CFTR, distinguant potentiateurs, qui activent le canal à la surface, et correcteurs, qui libèrent le trafic intracytoplasmique de la protéine vers la membrane. Le laboratoire américain Vertex Pharmaceuticals s’impose rapidement dans cette nouvelle voie. Tous les modulateurs de CFTR aujourd’hui commercialisés sont issus de ses travaux, le plaçant de fait en situation de monopole par la qualité de son département recherche et développement.
En 2012, le premier potentiateur est commercialisé : l’ivacaftor (Kalydeco), aujourd’hui prescrit dès l’âge de 1 mois. Les résultats respiratoires et nutritionnels sont spectaculaires, avec une seule ombre au tableau : son indication pour un nombre très réduit de patients (2,7 % en France), porteurs de mutations de classe 3. L’étape suivante a donc été de développer des combinaisons potentiateur-correcteur visant la mutation majoritaire. Deux bithérapies ont été développées, avec des résultats prometteurs, mais sensiblement moindres que ceux observés avec l’ivacaftor.
La mise au point d’une trithérapie à destination des patients porteurs d’au moins une mutation F508del, associant deux correcteurs et un potentiateur, Kaftrio (ivacaftor-tezacaftor-elexacaftor), confirme les espoirs suscités : amélioration très sensible de la fonction respiratoire, de l’état nutritionnel et de la fécondité ; baisse remarquable du taux de chlore sudoral, témoignant de ses effets systémiques ; bon profil de sécurité.2 Ces données sont confortées par un accès compassionnel en 2020 et 2021 pour les patients les plus sévèrement atteints, qui leur permet d’échapper à la greffe pulmonaire. Il a cependant fallu attendre juillet 2021, soit près d’un an après l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne, pour que soit acté le remboursement de cette trithérapie, au terme d’âpres négociations entre le laboratoire et les pouvoirs publics. La France a été le dixième pays européen à franchir cette étape décisive.
Le coût de cette révolution thérapeutique pour la collectivité est élevé, bien que nous ne disposions que du prix facial (les remises de la firme à l’État ont été négociées dans le plus grand secret). En 2023, Kaftrio, qui a bénéficié à environ 5 000 patients (accès précoce dès l’âge de 2 ans), a coûté 459 millions d’euros à la Sécurité sociale,3 montant décorrélé de son coût de recherche et développement et de production. Cependant, ces chiffres sont à placer en regard du nombre de vies sauvées et de la spectaculaire atténuation des contraintes de soins. De 2019 à 2023, le nombre de greffes pulmonaires pour mucoviscidose est passé de 89 à 8 par an, résultat perceptible dès la mise en place de l’accès compassionnel.4 Protégé par son statut européen de médicament orphelin, ce traitement à vie ne pourra pas être génériqué avant 2032.
Mais, contrepartie de cette médecine personnalisée, environ 1 800 patients ne sont pas éligibles à cette trithérapie, alors même que la France occupe une position de leadership international en matière d’extension de ses indications. Ils n’ont rien à en attendre soit parce que leurs mutations se soldent par l’absence totale de production de protéine, soit parce qu’ils sont greffés pulmonaires, ces modulateurs de CFTR ne pouvant améliorer leur fonction respiratoire et ayant des effets antagonistes vis-à-vis des médicaments antirejet, avec un rapport bénéfice-risque souvent défavorable. Les efforts de recherche redoublent (une nouvelle trithérapie vient d’obtenir une AMM européenne), avec l’espoir d’un traitement efficace pour tous.
Autre frein à la prescription sur le plan international, le coût supporté pour de tels traitements est prohibitif pour nombre de gouvernements et assureurs de santé privés confrontés à un nombre élevé de patients (Amérique du Centre et du Sud, Moyen-Orient, Europe de l’Est).5 Saluons cependant l’instauration récente d’un don par l’industriel pour les patients d’Ukraine, d’Égypte, d’Inde et du Pakistan. Des voix s’élèvent pour exiger du laboratoire Vertex, dont la santé financière est éclatante, la délivrance de licences volontaires aux fabricants de génériques pour qu’ils puissent distribuer, avec profit, des médicaments abordables permettant de sauver des vies,6,7 comme cela a pu être fait face à l’épidémie de VIH, et plus récemment à la pandémie de Covid- 19. Au niveau européen, des achats groupés pourraient par ailleurs dégager de substantielles économies d’échelle.
2. Foucaud P, Mercier JC. CFTR pharmacological modulators, a great advance in cystic fibrosis management. Arch Ped 2023;30:1-9.
3. Gers data. Top 10 des médicaments remboursés en France en 2023.
4. Burgel PR, Durieu I, Chiron R, et al. Rapid improvement after starting elexacaftor-tezacaftor-ivacaftor in patients with cystic fibrosis and advanced pulmonary disease. Am J Respir Crit Care Med 2021;204:64-73.
5. Guo J, Garratt A, Hill A. Worldwide rates of diagnosis and effective treatment for cystic fibrosis. J Cystic Fibros 2022;21:456-62.
6. Zampoli M, Kashirskaya N, Karadag B, et al. Global access to affordable CFTR modulator drugs: Time for action! J Cystic Fibros 2022;21:e215-16.
7. Zampoli M, Morrow BM, Paul G. Real-world disparities and ethical considerations with access to CFTR modulators drugs: mind the gap! Front Pharmacol 2023;14:1163391.