objectifs
Diagnostiquer une insuffisance respiratoire aiguë.
Connaître les principes de la prise en charge en urgence.

Définition

L’insuffisance respiratoire aiguë (IRA) est définie par l’incapacité brutale du système respiratoire à assurer une hématose satisfaisante. Il existe une inadéquation entre les besoins métaboliques en oxygène et les apports en oxygène. L’insuffisance respiratoire aiguë est de type I lorsqu’elle est hypoxémique, définie par une pression partielle artérielle en oxygène (PaO2) inférieure à 60 mmHg. L’insuffisance respiratoire aiguë est de type II lorsqu’elle est hyper­capnique, définie par une pression partielle artérielle en dioxyde de carbone (PaCO2) supérieure à 45 mmHg. Il s’y associe alors une acidose respiratoire.
Au cours de l’insuffisance respiratoire aiguë, chacun des composants anatomiques du système respiratoire peut être défaillant : voies aériennes, alvéoles, interstitium, plèvre, vaisseaux, muscles respiratoires ou commande ventilatoire.
La présentation clinique de l’insuffisance respiratoire aiguë comporte des symptômes de défaillance respiratoire tels que la polypnée ou la cyanose, par exemple, mais peut aussi comporter des symptômes de compensation de cette défaillance tels que la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires ou encore des symptômes du retentissement cardio-circulatoire ou neurologique de cette défaillance respiratoire tels que la tachycardie, l’hypotension artérielle ou les troubles de conscience.

Physiopathologie

La cause physiopathologique commune au cours de l’insuffisance respiratoire aiguë est l’altération d’un ou plusieurs déterminants du transport de l’oxygène (TaO2). Celui-ci est défini par la relation : TaO2 = Qc x CaO2, où Qc est le débit cardiaque, CaO2 la concentration artérielle en oxygène.
La concentration artérielle en oxygène est définie par la relation : CaO2 = (SaO2 x 1,34 x hémoglobine) + (PaO2 x 0,003), où 1,34 est le coefficient d’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène (1 g d’hémoglobine fixe 1,34 mL d’oxygène), 0,003 le coefficient de solubilité de l’oxygène dans le plasma (0,003 mL d’oxygène par mmHg de PO2) et SaO2 est la saturation artérielle en oxygène de l’hémoglobine.
Ainsi l’insuffisance respiratoire aiguë apparaît :
  • 1) lors d’une diminution de la saturation artérielle en oxygène de l’hémoglobine dont les causes possibles sont les inadéquations des rapports ventilation-perfusion (VA/Q), l’hypoventilation alvéolaire, les troubles de la diffusion alvéolo-capillaire, le shunt droit-gauche vrai, la diminution de la saturation en oxygène du sang veineux mêlé et la réduction de la pression inspirée en oxygène ;
  • 2) lors d’une altération du pouvoir oxyphorique de l’hémoglobine observée au cours de l’intoxication oxycarbonée ou de la méthémoglobinémie ;
  • 3) lors de la réduction du débit cardiaque au cours de l’état de choc quelle qu’en soit l’origine (hémorragique, septique, anaphylactique, hypovolémique), de l’insuffisance cardiaque droite aiguë (embolie pulmonaire, infarctus du ventricule droit, tamponnade liquidienne ou gazeuse, hémopneumothorax compressif), de l’insuffisance cardiaque gauche aiguë (trouble du rythme ou de conduction, valvulopathie décompensée, infarctus du ventricule gauche étendue…).
Afin de contrebalancer la diminution de la concentration artérielle en oxygène, le débit cardiaque si possible augmente, la stimulation des centres nerveux sensibles à l’oxygène et au dioxyde de carbone provoque une augmentation de la fréquence respiratoire, de l’amplitude et de la force de contraction du diaphragme, des muscles intercostaux, des muscles abdominaux et des muscles sterno-cléido-mastoïdiens.

Diagnostic clinique

Le diagnostic d’insuffisance respiratoire aiguë repose sur des critères cliniques. Il existe une dyspnée (sensation subjective de gêne respiratoire) aiguë, des signes cliniques de gravité respiratoires, hémodynamiques et neuropsychiques.
Les signes cliniques d’insuffisance respiratoire aiguë en lien avec une hypoxémie sont la cyanose, les troubles de conscience jusqu’au coma et l’état de choc jusqu’à l’arrêt cardiocirculatoire.
Les signes cliniques d’insuffisance respiratoire aiguë en lien avec une hypercapnie sont l’astérixis ou flapping tremor, les troubles de la vigilance jusqu’au coma, la confusion, les sueurs, l’hypertension artérielle.

Signes de gravité respiratoires

Les signes de gravité respiratoires comportent des signes de lutte secondaires à l’augmentation du travail respiratoire et des signes de fatigue traduisant la défaillance musculaire :
  • la cyanose est définie par la coloration bleue des téguments et des muqueuses. Elle apparaît lorsque la concentration d’hémoglobine réduite est supérieure à 5 g/dL de sang artériel. Sa constatation impose une oxygénothérapie immédiate ;
  • une saturation du sang capillaire en oxygène (SpO2 ) inférieure à 90 % (correspondant à une PaO2 inférieure à 60 mmHg) peut survenir avant la cyanose et impose aussi une oxygénothérapie immédiate ;
  • la polypnée supérieure à 30/min ;
  • la bradypnée inférieure à 10/ min ;
  • le tirage et la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires (intercostaux, sterno-cléido-mastoïdiens, scalènes) ;
  • la respiration abdominale paradoxale, déplacement postérieur de la paroi abdominale lors de l’inspiration. En situation normale, l’abdomen se déplace en avant lors de l’inspiration et suit ainsi l’expansion du thorax ;
  • la difficulté pour parler, la toux inefficace par diminution du débit expiratoire ;
  • les sueurs.

Retentissement hémodynamique

Le pouls paradoxal correspond à la diminution inspiratoire de la pression artérielle pulmonaire systolique de plus de 20 mmHg lors de l’inspiration. Il traduit les variations de pression intrathoraciques dues aux efforts respiratoires. Sa présence oriente par exemple vers un asthme aigu grave ou une tamponnade cardiaque.
Les signes cliniques de cœur pulmonaire aigu : turgescence jugulaire, reflux hépato-jugulaire, hépatomégalie douloureuse, signe de Harzer (perception des battements du ventricule droit dans le creux épigastrique). Ces signes orientent vers l’embolie pulmonaire massive, l’asthme aigu grave, l’exacerbation grave de bronchopneumopathie chronique obstructive, le pneumothorax compressif, la tamponnade cardiaque.
L’état de choc circulatoire, hypoperfusion tissulaire ayant pour conséquence une hypoxie tissulaire. Les signes cliniques sont :
  • les signes d’hypoperfusion cutanée : marbrures, temps de recoloration cutanée supérieure à 3 secondes ;
  • la tachycardie supérieure à 120 batt/min ;
  • l’hypotension artérielle : définie par une pression artérielle systolique inférieure à 90 mmHg ou ayant chuté de plus de 50 mmHg par rapport à la pression artérielle systolique habituelle ;
  • les signes d’hypoperfusion rénale : oligurie, anurie.

Retentissement neuropsychique

Il peut s'agir d'astérixis ou flapping tremor, de convulsions, de troubles de la vigilance : agitation, confusion, délire, obnubilation, coma.

Classification et étiologie

Les causes de l’insuffisance respiratoire aiguë peuvent être classées selon que l’insuffisance respiratoire aiguë est en lien avec l’atteinte de l’échangeur gazeux pulmonaire (insuffisance respiratoire aiguë hypoxique) ou avec l’atteinte de la commande de la pompe ventilatoire et de ses voies de transmission (insuffisance respiratoire aiguë hypercapnique) ou un obstacle laryngé.
En cas d’atteinte de l’échangeur pulmonaire, il faut différencier l’insuffisance respiratoire aiguë survenant sur poumons sains ou sur affection pulmonaire chronique.

Atteinte de l’échangeur gazeux parenchymateux


Atteinte aiguë sur poumons sains

Ce peut être :
  • une infection : bronchite, bronchiolite aiguë, pneumonie ;
  • une embolie pulmonaire ;
  • un œdème aigu du poumon ;
  • un syndrome de détresse respiratoire aiguë ;
  • une pneumopathie interstitielle aigüe, une hémorragie intra- alvéolaire ;
  • une pleurésie, un pneumothorax, une atélectasie ;
  • un traumatisme.

Atteinte pulmonaire chronique

Ce peut être :
  • une bronchopneumopathie chronique obstructive ;
  • un asthme à dyspnée continue ;
  • une dilatation des bronches, un emphysème, une mucoviscidose ;
  • une hypertension pulmonaire ;
  • une pneumopathie interstitielle diffuse, une fibrose ;
  • une réduction parenchymateuse (résection chirurgicale, lésions cicatricielles étendues, séquelles de tuberculose) ;
  • des pneumopathies inflammatoires avec myosite diaphragmatique (lupus, polymyosite).

Obstacle laryngé (souvent aigu, parfois chronique)

Ce peut être :
  • une épiglottite ;
  • un œdème de Quincke ;
  • un corps étranger laryngé ;
  • une tumeur du pharynx/larynx, sténose/compression trachéale ;
  • une atteinte récurentielle unilatérale.

Atteintes de la pompe ventilatoire, de sa commande et de ses voies de transmission

Il peut s'agir :
  • d'altération des afférences corticales et sous-corticales : accident vasculaire cérébral, traumatisme craniocérébral, intoxication aiguë par dépresseurs respiratoires ;
  • d'altération des afférences bulbaires : accident vasculaire céré­bral ;
  • d'atteinte des centres respiratoires : sclérose latérale amyotrophique, poliomyélite antérieure aiguë ;
  • d'atteinte du nerf phrénique : polyradiculonévrite ;
  • d'atteinte de la jonction neuromusculaire : myasthénie ;
  • d'atteinte de la paroi thoracique : déformation thoracique, spondylarthrite ankylosante, séquelles chirurgicales, obésité massive.

Autres causes de dyspnée (aiguë ou chronique)

Il peut s'agir :
  • de pathologie cardiaque sans atteinte pulmonaire : tamponnade, insuffisance cardiaque, trouble du rythme ;
  • d'anémie ;
  • d'un syndrome d’hyperventilation.

Polypnée non dyspnéique

Il peut s'agir :
  • d'encéphalopathie hépatique avec hyperventilation ;
  • d'acidose métabolique sévère (dyspnée de Kussmaul) ;
  • de dysrégulation centrale (dyspnée de Cheynes-Stokes).

Examens complémentaires

Gaz du sang artériels

Une saturation percutanée en oxygène inférieure à 90 % oriente vers une insuffisance respiratoire aiguë dans l’attente des résultats des gaz du sang.
Les gaz du sang permettent une orientation étiologique et fournissent les éléments de gravité :
  • pH < 7,35 ;
  • PaO2 < 60 mmHg ;
  • PaCO2 > 45 mmHg.

Radiographie thoracique de face

La radiographie thoracique de face permet d’identifier une anomalie parenchymateuse : syndrome alvéolaire ou syndrome interstitiel ou pleurale ; pleurésie ou pneumothorax à l’origine de l’insuffisance respiratoire aiguë.
La radiographie thoracique de face permet notamment d’identifier une pathologie respiratoire chronique : par exemple un syndrome de distension thoracique au cours de la bronchopneumo­pathie chronique obstructive ou une déformation thoracique d’origine cyphoscoliotique.

Numération formule sanguine et plaquettes

Une polyglobulie oriente vers une insuffisance respiratoire aiguë sur insuffisance respiratoire chronique. Une leucocytose ou une leucopénie oriente vers une infection. Une thrombopénie peut orienter vers une origine septique de l’insuffisance respiratoire aiguë.

Biomarqueurs

Une élévation du peptide natriurétique de type B (BNP) ou N-terminal proBNP (NT-proBNP) oriente vers une insuffisance respiratoire aiguë d’origine cardiaque.
Le BNP est d’abord synthétisé sous forme de prohormone (proBNP) par les ventricules sous l’effet d’une élévation de la pression intraventriculaire et de l’étirement des cardiomyocytes. Après son relargage dans la circulation, le pro-BNP est scindé en BNP (demi-vie = 20 minutes) et NT-proBNP (demi-vie = 120 minutes) en proportion équimolaire.
Le BNP (ou NT-proBNP) peut être élevé dans l’insuffisance ventriculaire gauche ou l’insuffisance ventriculaire droite. Il peut être élevé dans l’insuffisance cardiaque aiguë, le syndrome coro­narien aigu, l’embolie pulmonaire avec insuffisance ventriculaire droite mais aussi dans l’insuffisance rénale ou le sepsis sévère. La valeur du BNP ou NT-proBNP est surtout prédictive négative. Le tableau ci-dessous résume les valeurs seuils de BNP ou NT-proBNP en faveur de la probabilité plus ou moins forte d’une origine cardiaque de la dyspnée aiguë (en l’absence d’insuffisance rénale).
Une élévation de la troponine oriente vers une origine coronarienne de l’insuffisance respiratoire aiguë. Une élévation de la troponine n’est cependant pas toujours en lien avec une coronaropathie.

Électrocardiogramme

L’électrocardiogramme recherche un trouble du rythme ou de la repolarisation, des arguments en faveur d’une embolie pulmonaire (tachycardie sinusale, bloc de branche droit complet ou incomplet, S1Q3).

Échographie-Doppler cardiaque transthoracique

L’échographie-Doppler cardiaque transthoracique (ETT) permet de rechercher une augmentation des pressions de remplissage du ventricule gauche en faveur d’un œdème aigu du poumon et une pathologie cardiaque sous-jacente (cardiopathie ischémique, valvulaire, hypertrophique, dilatée).
Le diagnostic de cœur pulmonaire aigu est échocardiographique et associe une dilatation du ventricule droit, une dyskinésie septale et une augmentation des pressions pulmonaires. Les causes possibles de cœur pulmonaire aigu sont l’embolie pulmonaire, l’asthme aigu grave, le syndrome de détresse respiratoire aigu de l’adulte, la décompensation respiratoire aiguë d’une insuffisance respiratoire chronique.

Prélèvements microbiologiques

Des prélèvements microbiologiques ont lieu en cas de suspicion d’infection.

Scanner thoracique

Le scanner thoracique sera réalisé chez un patient stabilisé pour rechercher une atteinte parenchymateuse ou pleurale (pour la recherche d’une embolie pulmonaire, le diagnostic étiologique d’une atteinte parenchymateuse...).

Prise en charge thérapeutique en urgence

En préhospitalier

L’insuffisance respiratoire aiguë est une urgence thérapeutique.
En préhospitalier, les étapes de la prise en charge sont les suivantes :
  • 1) appel du Samu ;
  • 2) libération des voies aériennes supérieures ;
  • 3) oxygénothérapie pour obtenir une SpO2 entre 90 et 95 % ou la PaO2 entre 60 et 80 mmHg. L’oxygénothérapie pourra être administrée par lunettes nasales (fig. 1), masque haute concentration (fig. 2) ou canules nasales (fig. 3) afin d’obtenir les objectifs de saturation en oxygène. L’oxygénothérapie sera administrée avec prudence au cours de l’insuffisance respiratoire aiguë hypercapnique ou la décompensation de bronchopneumopathie chronique obstructive car elle risque de majorer l’hypercapnie. Les mécanismes sont l’hypoventilation par réduction du stimulus hypoxémique sur les centres respiratoires et la modification des rapports ventilation-perfusion. Ce risque est limité par le maintien de la SpO2 entre 90 et 92 % ;
  • 4) pose d’une voie veineuse périphérique ;
  • 5) monitoring :
. respiratoire : SpO2, fréquence respiratoire ;
. cardiovasculaire : fréquence cardiaque, rythme cardiaque avec scope et pression artérielle systémique non invasive ;
. neurologique : état de conscience ;
  • 6) traitement d’une étiologie identifiée dès le stade préhospitalier d’après les antécédents du patient, l’anamnèse et l’examen clinique : diurétiques en cas d’œdème aigu du poumon, broncho­dilatateurs en cas de bronchospasme, drainage pleural en cas de pneumothorax.

En intrahospitalier

La prise en charge est la suivante :
  • hospitalisation en réanimation ou soins intensifs ;
  • ventilation :
. ventilation spontanée en pression expiratoire positive (VS-PEP) (ou CPAP pour continuous positive airway pressure) en cas d’œdème aigu du poumon ;
. ventilation non invasive (VNI) avec un masque nasobuccal (fig. 4) en cas d’œdème aigu du poumon ou d’exacerbation de broncho­pneumopathie chronique obstructive avec acidose respiratoire, d’insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique de l’immuno­déprimé et en l’absence de contre-indication à la ventilation non invasive.
Les contre-indications à la VNI sont l’agitation, avec un patient non coopérant, le coma, les troubles de conscience, l’épuisement respiratoire, l’état de choc cardiocirculatoire, l’arrêt cardiocirculatoire, le pneumothorax non drainé, les vomissements importants, l’hémor­ragie digestive haute, l’expertise insuffisante des soignants ;
. intubation et ventilation invasive en cas de contre-indication à la VNI, d’hypoxémie réfractaire sous oxygène ou VNI ;
  • traitement étiologique de l’insuffisance respiratoire aiguë.•

Points forts

Insuffisance respiratoire aiguë

Les examens complémentaires clés sont la radiographie pulmonaire, les gaz du sang artériels et l’électrocardiogramme. Les autres examens complémentaires sont réalisés en fonction des hypothèses étiologiques de l’insuffisance respiratoire aiguë.

L’urgence thérapeutique est de contrôler l’hypoxémie, et cela doit être la priorité. Les modalités d’administration de l’oxygène sont variables : lunettes, masque haute concentration ou haut débit par lunettes nasales. La ventilation non invasive est instaurée en cas d’acidose respiratoire. L’intubation orotrachéale et la ventilation invasive interviendront en cas d’inefficacité ou de contre-indications de la ventilation non invasive.

Message auteur

Message de l'auteur

L’insuffisance respiratoire aiguë est un sujet transversal, avec des causes nombreuses. Diverses pathologies respiratoires : décompensation de bronchopneumopathie chronique obstructive, pneumothorax, asthme, pneumopathie communautaire ou cardiaque : tamponnade, infarctus du myocarde peuvent provoquer une insuffisance respiratoire aiguë. Les investigations et prises en charge liées à l’insuffisance respiratoire aiguë s’appliquent à toutes ces pathologies. Chaque pathologie comporte de plus sa prise en charge spécifique.

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