Sommes-nous à la veille de nouveaux affrontements entre la pratique médicale et certaines convictions religieuses ? Plusieurs symptômes le laissent penser. Élément déclenchant : la vive controverse née des déclarations sur l’avortement de Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof). Une controverse avec, en toile de fond, la remise en question de la clause de conscience spécifique qui permet à un médecin de refuser de pratiquer une IVG.
Réaction immédiate du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) : « Bertrand de Rochambeau a fait état publiquement de son opposition à l’IVG, qu’il rattache à un homicide. Cette opinion personnelle ne peut effacer le fait que le Dr de Rochambeau est également président du Syngof, ce qui pose le problème de la portée de ses propos tenus dans une émission de grande écoute. À cet égard, le Cnom rappelle que toute femme, majeure ou mineure, ne souhaitant pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin l’interruption de celle-ci conformément à la loi. »
Vint ensuite une tribune du Figaro dans laquelle plus de 300 médecins protestaient contre la position du Cnom. Ce dernier, auditionné par l’Assemblée nationale, déclarait ne pas être opposé à la légalisation de la PMA pour les femmes seules et pour les couples de femmes.1« L’Ordre ne doit pas être une instance moralisatrice face à une demande sociétale, explique-t-il. Si la société veut une aide médicale à la procréation élargie aux femmes seules ou homosexuelles en couple, c’est à elle de trancher. L’Ordre ne peut s’y opposer. » Une position dont s’était félicitée Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé.
Or selon les médecins signataires, la PMA pour les femmes célibataires ou en couple « n’est pas une indication médicale » – au sens où la médecine est « un art dont les buts exclusifs sont de prévenir les maladies, restaurer les fonctions défaillantes de l’organisme, réparer les malformations anatomiques. Nous, médecins, avons l’impression d’avoir été utilisés à des fins politiques et idéologiques par l’institution censée nous représenter. Cela va créer des fractures dans notre profession ».
Puis dans une homélie prononcée le 10 octobre, le pape François qualifiait de « tueurs à gages » les médecins pratiquant des IVG. Ce « commentaire de circonstance » suivait une lecture de l’Évangile consacrée au commandement biblique de « ne pas tuer ». « Interrompre une grossesse, c’est comme éliminer quelqu’un, a déclaré le pape. Est-il juste d’éliminer une vie humaine pour résoudre un problème ? Ce n’est pas juste de se débarrasser d’un être humain, même petit, pour résoudre un problème. C’est comme avoir recours à un tueur à gages pour résoudre un problème. »
Dès le lendemain de l’homélie papale, Patrick Bouet, président du Cnom, adressait un courrier au représentant du souverain pontife en France. « Comment ne pas réagir, écrivait-il, à des termes d’une telle violence, alors que les professionnels de santé ont fait vocation d’écoute, d’aide et de soutien à leurs concitoyennes pour les accompagner dans des moments parfois difficiles de leur vie, et pour leur assurer un accès à l’interruption volontaire de grossesse dans les meilleures conditions possibles si elles en expriment le souhait ? »
Le président du Cnom disait encore« comprendre que sa Sainteté, au nom de sa foi, souhaite défendre des principes importants pour l’Église qu’il dirige ». Pour autant, l’institution ordinale française ne peut, selon lui, « accepter que l’anathème soit ainsi jeté sur l’ensemble du corps médical, qui s’en retrouve stigmatisé ». Elle ne peut, non plus, « tolérer que la souffrance physique, psychique et morale vécue par des femmes en détresse, parfois en grande souffrance quand elles ont recours à l’interruption volontaire de grossesse, soit niée ». Le pape François répondra-t-il au Dr Bouet ?
1. Cnom. Extension de l’AMP : l’éthique et la déontologie médicales ne sauraient permettre de s’opposer à cette demande sociétale. 20 septembre 2018. https://bit.ly/2yKXBk6