Objectifs
Repérer un risque ou une situation de maltraitance chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent.
Argumenter la démarche médicale et administrative nécessaire à la protection de la mère et de l’enfant.

Les maltraitances sur enfants ne doivent pas être considérées comme des situations rares. La formation des médecins à les dépister et à accompagner la démarche de protection est un objectif essentiel souligné par la Haute Autorité de santé (HAS, 2014, mise à jour 2017) et par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM, mars 2024). Ceci en fait une question de santé publique au caractère interdisciplinaire. Toutes les spécialités médicales qui rencontrent des enfants ou des familles sont concernées. Les deux spécificités sont la difficulté du diagnostic (souvent suspecté sans certitude) et le rôle particulier des médecins, qui doivent s’associer aux services sociaux et judiciaires pour protéger l’enfant dans le respect des lois.

Définition et épidémiologie

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la maltraitance comme toute violence ou négligence envers les mineurs de moins de 18 ans. Elle comprend tous les aspects de mauvais traitements, physiques, psychologiques, sexuels ou de négligence entraînant un « préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité ».

Plusieurs formes de maltraitance existent. On les classe en violences par commission (violences physiques, violences sexuelles, violences psychologiques, violences conjugales, violences institutionnelles et cyberviolences) et violences par omission (négligences).

La maltraitance physique est la plus anciennement connue et décrite. Elle associe toutes les formes de traumatismes physiques subis et souvent associés : cutanés, osseux, neurologiques, ophtalmologiques, etc.

Les violences sexuelles ont été prises en compte plus récemment, souvent à l’occasion de révélations tardives. Leur accompagnement s’est organisé, avec une amélioration du dépistage précoce.

Les violences psychologiques accompagnent toutes les formes de maltraitance mais peuvent parfois être isolées, de repérage très difficile et de mauvais pronostic. 

Les violences conjugales ont été ajoutées, car elles sont souvent associées à des violences subies direc­tement par l’enfant. Et, même en leur absence, les ­enfants sont désormais considérés comme des covictimes des violences conjugales.

Les cyberviolences ont aussi été  reconnues et décrites récemment. Elles sont la conséquences de la diffusion d’images pornographiques ou violentes mais aussi de messages à connotation sexuelle. Elles incluent également les cyberharcèlements.

Les négligences graves font aussi partie des maltraitances. 

L’épidémiologie de la maltraitance est imprécise et comparée par certains à un iceberg tant la sous-évaluation est importante. Selon l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), en 2022, 112 919 enfants ont fait l’objet d’une saisine du juge des enfants et 60 mineurs sont décédés dans le milieu familial à la suite d’une violence subie. Selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 160 000 enfants seraient victimes chaque année en France de violences sexuelles sans certitude épidémiologique . Sur le plan mondial, on estime que 11 à 15 % des enfants subiraient des actes de maltraitance. 44 % sont âgés de moins de 6 ans. L’auteur des violences vit avec l’enfant ou est très connu de l’enfant dans la majorité des cas.

En France seulement 6 % des situations de maltraitance font l’objet d’un signalement par un médecin. Ces chiffres imprécis et sans doute sous-estimés font de la maltraitance une des pathologies graves de l’enfant les plus fréquentes à intégrer dans les grands problèmes de santé publique.

Vulnérabilité et facteurs de risque

L’enfant est par nature vulnérable. Plus il est jeune, plus cette vulnérabilité est importante, ce qui explique la répartition des diagnostics (44 % des enfants de moins  de 6 ans). La maltraitance existe aussi chez l’adolescent, victime fréquente d’agressions sexuelles ou de violences psychologiques graves.

Des facteurs de risque s’ajoutent à l’âge. Ils sont connus et décrits, mais aucun ne constitue à lui seul un élément diagnostique. Leur connaissance doit inciter le praticien à une vigilance accrue dans ces situations (v. chapitre Prévention de la maltraitance). On distingue deux groupes de facteurs de risque, ceux liés aux problématiques familiales et ceux associés à l’histoire de l’enfant. Ils sont regroupés dans letableau. Les facteurs économiques sont importants mais ne doivent pas faire oublier que la maltraitance existe dans tous les milieux ; le diagnostic, en l’absence de difficultés économiques associées, est difficile et très sous-estimé.

L’association des maltraitances infantiles aux violences conjugales est très fréquente (50 %).

Certains facteurs de risque font l’objet d’une prévention active et efficace : diminution des séparations néonatales, amélioration de la prise en charge des familles d’enfant porteur de handicap physique ou de maladie chronique.

Diagnostic des maltraitances physiques

Ce chapitre regroupe les situations qui impliquent le plus fréquemment les médecins. La plupart des enfants victimes de ce type de maltraitance sont vus dans une situation qui évoque un traumatisme, souvent en urgence. Le diagnostic repose sur l’évocation du caractère infligé. La particularité de cette situation est que « le médecin n’a pas à être certain de la maltraitance ni à en apporter la preuve pour alerter l’autorité compétente, mais il doit fonder sa suspicion sur un faisceau d’arguments » rappellent les documents de la Haute Autorité de santé. (Fiche Mémo Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir, octobre 2014, mise à jour en juillet 2017) ».

Plausibilité

Il est indispensable de mettre en œuvre une démarche de plausibilité devant tout événement traumatique de l’enfant, particulièrement aux urgences pédiatriques. Elle analyse les explications données et la prise en charge. Elle repose sur sept items simples.

Analyse des circonstances dans lesquelles se sont produites la ou les lésions, voire la découverte d’une lésion traumatique au cours de l’examen clinique alors que le motif de consultation est tout autre et semble bénin. 

Chronologie : le retard à la consultation par rapport à la date supposée de l’événement traumatique doit interroger, surtout s’il existe des lésions de divers types ou d’âges différents.

Relation âge de l’enfant-lésion : les ecchymoses et hématomes du tout-petit, les fractures d’os long avant l’âge de la marche ne sont plausibles que dans des circonstances accidentelles identifiables et impossibles dans la traumatologie « domestique » habituelle.

Importance des lésions : elle doit être en relation avec les circonstances décrites. Une chute de la hauteur de l'enfant ne provoque pas de fracture des os longs. On parle de lésions sentinelles : lésions traumatiques parfois d’allure peu importante mais de survenue impossible avant l’âge de la marche (ecchymoses, griffures, plaies).

Prise en charge par la famille : l’inadéquation doit faire évoquer la négligence souvent associée à la maltraitance.

Évaluation de la douleur : la discordance doit aussi évoquer un traumatisme infligé particulièrement dans des conditions de répétition. La douleur n’est ni reconnue ni prise en charge dans ces conditions.

L’instabilité des explications données par les familles peut être également suspecte. La parole de l’enfant ou même de l’adolescent est rarement directe et explicative.

Description des lésions

Les lésions peuvent être de différents types, décrits ici. Certains critères doivent particulièrement alerter (encadré).

Lésions cutanées

Quatre éléments permettent une évaluation des lésions : leur forme, leur gravité, leur localisation, l’association en particulier de lésions d’âge différent. Leur reconnaissance exige un examen complet de l’enfant.

Ecchymoses et plaies : les ecchymoses chez le petit enfant sont fréquentes et banales lorsqu’il commence à se déplacer. Les localisations siègent alors surtout au niveau des zones cutanées externes, exposées en cas de chute ou de choc (les genoux, la face antérieure des jambes, le front). Elles sont cependant exceptionnelles avant 8 mois et elles siègent dans des localisations non plausibles si elles sont infligées (fig. 1). Les ecchymoses reproduisant l’empreinte d’un objet ou de doigts de main adulte (ecchymoses arrondies en cas de forte pression ou lignes parallèles en cas de gifle) sont particulièrement suspectes de traumatisme infligé à l'enfant.

Les brûlures accidentelles par contact ou par liquide bouillant ont en général des bordures et des profondeurs inégales. Les brûlures à bords nets sans éclaboussures (par exemple en gants par immersion des mains, ou brûlures de cigarette parfaitement rondes) sont suspectes de traumatisme infligé comme celles qui siègent sur des zones habituellement protégées par les vêtements (périnée, fesses). Les brûlures circonférentielles par frottement aux poignets ou aux chevilles ne peuvent pas correspondre au port de chaussettes ou de bracelets trop serrés mais sont liées à une contention par des liens.

Les morsures d’enfant siègent dans les zones découvertes et accessibles ; l’écart entre les incisives est inférieur à 3 cm. Les morsures de dimension supérieure évoquent une lésion infligée par un adulte.

Fractures

Comme pour les lésions cutanées, les fractures chez un nourrisson qui ne se déplace pas sont très suspectes. La majorité des fractures accidentelles surviennent après l’âge de 5 ans. Certaines fractures sont plus spécifiques des violences physiques par leur type et leur localisation :

  • fractures de côtes ;
  • fractures et arrachements métaphysaires ;
  • fractures des os longs et profonds (fémur, vertèbres) ;
  • fractures complexes du crâne ;
  • décollements épiphysaires (humérus, fémur).
 

Le syndrome de Silverman correspond à la description initiale des lésions osseuses radiologiques ­multiples d’âge différent. Il est parfois donné par extension aux maltraitances physiques.

Lésions neurologiques

Elles sont responsables de la mortalité et de la plupart des séquelles. Tous les types de lésions neurologiques traumatiques encéphaliques ou médullaires peuvent être rencontrés. Le syndrome du bébé secoué est un traumatisme crânien infligé qui comporte des saignements intracrâniens (le plus souvent des hématomes sous-duraux) et des hémorragies rétiniennes (v. chapitre Situations particulières).

Lésions ophtalmologiques

Elles peuvent être directes (plaies et contusions palpébrales et cornéennes) ou secondaires aux secouements (hémorragies rétiniennes).

Autres lésions

Tous les organes peuvent être concernés lors des traumatismes graves.

Arguments de la démarche diagnostique

La particularité du diagnostic est de reposer sur une suspicion sans certitude. Cependant, il est essentiel d’éliminer ce qui n’est pas une maltraitance : « Il faut apprendre à gérer l’incertitude dans un contexte où l’erreur est lourde de conséquences » (J. Labbé).

Suspicion en quatre temps

Quatre éléments doivent accompagner la démarche :

  • la connaissance d’une sémiologie dite non spécifique mais tout de même évocatrice, d’autant qu’il existe plusieurs types de lésions d’âge différent ;
  • la suspicion qui est associée au caractère non plausible des lésions ;
  • l’histoire, qui n’est pas plausible par sa description et sa variabilité ;
  • l’existence de facteurs de vulnérabilité familiaux ou personnels.
 

On ajoute à ces quatre éléments la recherche systématique – par l’interrogatoire, par l’examen du carnet de santé, par la consultation de l’historique des passages sur les dossiers informatiques hospitaliers – d’autres événements évocateurs de traumatismes infligés à l’enfant passés inaperçus.

Bilan nécessaire

Il a deux buts : faire une recherche systématique de lésions non visibles et éliminer les diagnostics différentiels. Pour la recherche de lésions osseuses, les radiographies du squelette complet sont l’examen de base, en demandant des clichés par zone (« centrée et collimatée ») et non en totalité sur grande plaque, plus irradiant et moins performant. Cet examen peut être complété par une scintigraphie osseuse, utile chez le petit enfant pour un diagnostic précoce. Le scanner crânien est demandé en cas de suspicion d’hémorragie intracrânienne. La pratique d’une imagerie à résonance magnétique (IRM) du corps entier pourrait remplacer les radiographies du squelette, mais elle n'est pas validée et fait encore l’objet d’une évaluation.

L’examen ophtalmologique est systématique en cas de suspicion de maltraitance physique chez l’enfant de moins de 18 mois. Il recherche notamment des hémorragies rétiniennes.

Le bilan biologique comporte au minimum un hémogramme avec un bilan complet de coagulation (taux de prothrombine [TP], temps de céphaline activée [TCA] et tous les facteurs de coagulation avec facteur XIII et maladie de von Willebrand). 

Un bilan phosphocalcique complet est indiqué en cas de fractures. 

Une recherche de maladie métabolique doit être effectuée en cas de lésions neurologiques (maladie de Menkès, acidurie glutarique...). 

La recherche de toxiques (sang et urines) est largement pratiquée.

Diagnostics différentiels

L’étape du diagnostic différentiel est essentielle, car l’erreur par excès est dramatique. Trois groupes de diagnostic doivent être éliminés selon les circonstances.

Les traumatismes accidentels non infligés peuvent être à l’origine de lésions cutanées ou osseuses. Leur diagnostic est fondé sur la description, les circonstances, la plausibilité.

Les maladies de la coagulation acquise ou congénitale sont à l’origine d’hématomes pouvant être d’âge différent. Le diagnostic repose sur le bilan de coagulation. Elles ne sont pas associées à des lésions osseuses.

La fragilité osseuse constitutionnelle, ou ostéo­genèse imparfaite, est le diagnostic le plus difficile, à l’origine de la plupart des erreurs de diagnostic. L’évaluation de l’ostéoporose associée est difficile chez le nourrisson. L’association à la présence d’os wormiens ou de sclérotiques bleutées peut aider. L’expertise d’une équipe spécialisée est fortement recommandée en cas de doute.

D’autres diagnostics différentiels sont possibles mais exceptionnels : rachitisme, maladies métaboliques (acidurie glutarique, maladie de Menkès, etc.).

Situations particulières

Syndrome du bébé secoué

Il s’agit d’un traumatisme crânien infligé grave provoqué par des secouements violents. Le poids du crâne, la faiblesse du tonus cervical expliquent la survenue des lésions. Il s’observe le plus souvent chez un enfant de moins d'un an (âge moyen de 5,4 mois). Le nombre d’enfants atteints en France serait de 180 à 200 par an, avec, là aussi, une probable sous-évaluation. Le facteur favorisant le plus important serait la mauvaise tolérance des pleurs du nourrisson.

Symptômes

La mort inattendue peut être révélatrice.

Les signes neurologiques sont les plus évocateurs :

  • convulsions ou malaise grave ;
  • coma ;
  • modifications du tonus (hypotonie axiale) ;
  • apnées ou troubles du rythme respiratoire ;
  • symptômes d’engagement cérébral ;
  • symptômes d’hypertension intracrânienne (vomissements, augmentation du périmètre crânien [importance du carnet de santé], bombement de la fontanelle).
 

Les signes peu spécifiques sont à bien connaître :

  • modification du comportement (régressions psychomotrices, irritabilité, impressions de douleur) ;
  • accès de pâleur ;
  • vomissements isolés.

Lésions intracérébrales

Elles sont mises en évidence par le scanner cérébral et précisées par l’IRM. Ce sont principalement les hématomes sous-duraux quasiment spécifiques du syndrome du bébé secoué mais aussi l’œdème cérébral, les hémorragies intraparenchymateuses, les lésions médullaires.

Lésions ophtalmologiques

Les hémorragies rétiniennes sont présentes dans 80 % des cas, souvent bilatérales, de grande taille, localisées au pôle postérieur et en périphérie.

Lésions associées

L’examen peut révéler des ecchymoses et hématomes de la paroi thoracique ou des épaules, des fractures de côtes dans les zones de tenue de l’enfant. Toutes les lésions décrites au cours de la maltraitance physique sans spécificité du syndrome de bébé secoué peuvent se rencontrer. Elles doivent être recherchées.

Pronostic et prise en charge

Le pronostic est très péjoratif. Le décès est possible initialement ou dans l’évolution. Les séquelles sont observées dans 80 % des cas. Elles sont essentiellement neurologiques.

La prise en charge se fait souvent en réanimation du fait de la gravité initiale.

La prévention se fait par une information dans le carnet de santé et lors des consultations de prévention autour de la grossesse et après la naissance.

Syndrome de Münchhausen par procuration

Dans cette situation, appelée aussi medical child abuse, les parents consultent pour une maladie factice ou des symptômes inventés. Trois mécanismes sont observés : fausse allégation de signes, de symptômes ou d'antécédents, falsifications de données cliniques ou biologiques, induction de maladie par différents moyens. Le diagnostic est difficile, souvent fondé sur la disparition des symptômes en l’absence du parent responsable et aussi sur l’improbabilité des situations. Les conséquences peuvent être graves, par l’inadaptation des bilans et des traitements mais aussi par la mise en danger de l’enfant, en particulier dans l’induction des maladies (p. ex. hypo­glycémies factices provoquées par injection d’insuline).

Sévices sexuels

Le diagnostic de violences sexuelles est de plus en plus souvent évoqué. Les sévices sexuels (terme préféré à abus) représenteraient en France le tiers des situations de maltraitance, mais leur nombre est, selon la Ciivise, très nettement sous-évalué.

Circonstances de découverte

Elles sont variables selon l’âge. Les déclarations directes des victimes sont rares et souvent retardées par rapport aux faits. Les histoires peuvent être sans parole ou avec une révélation par des signes indirects ou conséquences des agressions.

Chez l’enfant, on décrit les signes suivants :

  • peur face à des situations considérées comme similaires ;
  • signes régressifs : refus de séparation des parents, perte d’acquisitions de développement, etc. ;
  • rappels douloureux : refus de change, refus d’examen ;
  • expressions somatiques : douleurs abdominales, anorexie, gêne à la déglutition ;
  • expressions indirectes du traumatisme génital et périnéal : régression de propreté, constipation ou apparition d’encoprésie, troubles mictionnels ;
  • comportements sexualisés à type de masturbation compulsive ;
  • maladies sexuellement transmissibles malgré l’âge.
 

Chez l’adolescent, les tentatives de suicide et les suicides, les fugues, les modifications majeures de comportement peuvent aussi être des signes indirects d’agression. Les grossesses précoces et les infections sexuellement transmissibles doivent faire évoquer une possibilité d’agression sexuelle.

Examen clinique

L’examen clinique dans les circonstances de sévices sexuels est difficile pour l’enfant quel que soit son âge. Son inter­prétation demande une compétence qui évite d’intolérables répétitions. Les fausses interprétations sont fréquentes, particulièrement chez le petit enfant.

Cet examen aboutit rarement à des constats d’anomalies. Il est pourtant très attendu par les services sociaux ou juridiques pour apporter une preuve objective d’agression sexuelle. Le médecin ne doit jamais examiner seul l’enfant, ce qui impose l’aide d’une équipe ressource.

L’urgence de l’examen fait toujours l’objet de discussion. Elle est indiscutable si l’abus date de moins de soixante-douze heures. Entre trois et quinze jours, l’examen doit être rapide. Au-delà de quinze jours, l’examen peut être différé. Nous ne décrirons pas toutes les lésions qui peuvent être rencontrées. Il paraît préférable de référer l’enfant pour cet examen aux unités spécialisées.

Orientation des enfants victimes de sévices sexuels

Les conditions d’accueil des enfants victimes d’agressions sexuelles et de leur famille sont primordiales et doivent être adaptées à l’enfant. L’examen clinique est difficile et ne peut se répéter. Ces enfants doivent être orientés vers les Unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) qui ont été créées dans la plupart des hôpitaux français.

Argumentation de la démarche de protection

Soigner et protéger

La démarche est avant tout une démarche de soins et de protection. Les lésions et leurs conséquences immédiates doivent être prises en charge : plaies, fractures, troubles de conscience, etc.

La coordination des soins hospitaliers est réalisée par les Uaped.

La prise en charge de la douleur est essentielle et souvent insuffisante ou oubliée. La maltraitance est associée à une mauvaise reconnaissance de la douleur. L’expression douloureuse est différente (souvent niée par le parent responsable), et l’équipe médicale peut être sidérée.

La protection est médicale avant d’être judiciaire et sociale. L’hospitalisation est toujours un recours à utiliser en cas de situation grave mais aussi en cas d’incertitude diagnostique ou de nécessité d’éloignement d’un auteur présumé (éviter la répétition). L’hospitalisation peut également permettre une réflexion d’équipe face à une situation complexe pour rédiger au mieux le ­signalement. Elle est le plus souvent acceptée par les parents pour l’exploration de signes incompris.

Elle peut être imposée après signalement aux auto­rités judiciaires.

Législation

Parmi beaucoup d’autres, on peut retenir sept textes de loi les plus utiles pour le médecin.

L’article 223 - 6 du code pénal fait obligation à tout citoyen de signaler la situation d’un enfant en danger.

L’article 226 - 14 du code pénal autorise le médecin à la levée du secret professionnel en cas de maltraitance aux enfants pour alerter les autorités judiciaires ou administratives.

L’article 44 du code de déontologie médicale impose au médecin de protéger le mineur et de signaler les sévices dont il est victime.

L’article 226 - 14 du code pénal délie le médecin du secret professionnel en cas de maltraitance à enfant et l’autorise à alerter le procureur de la République.

L’article 434 - 3 du code pénal condamne la non-­dénonciation de crimes aux autorités judiciaires ou administratives (privations, mauvais traitements, atteintes sexuelles infligées à un mineur de moins de 15 ans).

L’article L.226 - 2 du code de l’action sociale et des familles autorise le partage d’information entre professionnels soumis au secret professionnel dans le cadre de la protection de l’enfance. Il est limité à la mission de protection. Les parents sont informés de cet échange d’information, sauf intérêt contraire de l’enfant.

L’article L119 - 1 du code de l’action sociale et des familles précise la définition de la maltraitance.

Le signalement et son circuit

Depuis la loi de protection de l’enfance de 2007, deux modalités sont possibles.

Information préoccupante (ancien signalement administratif) : il s’agit de la transmission de tout élément d’information, y compris médical, susceptible de laisser craindre qu’un enfant se trouve en situation de danger ou en risque de danger et puisse avoir besoin d’aide. Pour le médecin, l’information préoccupante est rédigée comme le signalement sous forme d’un certificat médical (v. infra). L’information préoccupante est transmise à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Cette cellule est composée d’une équipe pluridisciplinaire qui analyse l’information, organise la protection, évalue la gravité et l’urgence, informe le déclarant des décisions prises, parfois transmet un signalement aux autorités judiciaires. Elle contribue aussi, après anonymisation, à fournir des données à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE). Cette cellule dépend du conseil départemental qui a la mission de protection de l’enfance. Chaque département comporte une cellule de recueil des informations préoccupantes.

Signalement : ce terme correspond depuis 2007 à l’information judiciaire en matière de maltraitance à enfants.

Le signalement est utilisé pour les formes graves de maltraitance et de violences sexuelles. Il s’agit de demandes de décision de protection en urgence. Il est utilisé aussi en cas d’impossibilité de coopération des familles.

Il est transmis au procureur de la République du tribunal dont dépend l’enfant (en référence à son domicile).

Le signalement judiciaire est en principe associé systématiquement à l’information de la cellule de recueil des informations préoccupantes.

La rédaction des certificats médicaux pour l’information préoccupante ou le signalement répond à des règles identiques à celles des certificats rédigés en cas de coups et blessures. Le Conseil national de l’Ordre des médecins propose un modèle (fig. 2). Il doit être descriptif et non fondé sur des impressions. Il ne doit pas comporter d’accusation ni désigner de personnes en dehors de l’enfant examiné. Le médecin ne donne pas de jugement. Il décrit les lésions et si besoin cite entre guillemets les dires de l’enfant qu’il a entendus pendant sa consultation et non des informations transmises. Les parents sont informés de la rédaction de ce certificat d’information préoccupante ou de signalement, sauf intérêt contraire de l’enfant. « Il ne s’agit pas de dénoncer des adultes mais de protéger des enfants » (Conseil national de l’Ordre des médecins, 2015).

Personnes ressources pour le médecin

En matière de maltraitance, le médecin ne peut rester seul devant des situations difficiles. Certaines personnes ou structures ressources peuvent l’aider dans sa démarche, même devant une situation urgente. D’autres organisent la prise en charge de l’enfant et de sa famille. Chaque médecin doit connaître les personnes ou structures ressources qu’il peut contacter dans le secteur où il exerce.

Conseil départemental

Il organise la protection de l’enfance, le dépistage de la maltraitance. Il dispose de services sociaux (aide sociale à l’enfance [ASE] : assistants sociaux, éducateurs, psychologues), de la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), des services de protection maternelle et infantile (PMI).

Depuis 2016, un médecin réfèrent de la protection de l’enfance est nommé par le conseil départemental. Entre autres fonctions, il est l'interlocuteur départemental en matière de protection de l’enfance pour les médecins libéraux, hospitaliers ou de santé scolaire.

Le service de protection maternelle et infantile est une institution créée en 1945. Son rôle fondamental est la protection de la mère et de l’enfant au travers de plusieurs missions : il organise des consultations et des actions de prévention médico-sociale en faveur des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans. Il joue également un rôle essentiel en matière d’accueil des jeunes enfants en instruisant les demandes d’agrément des assistantes maternelles et en assurant la formation de celles-ci. Il a la charge de la surveillance médicale des enfants placés dans les établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Il accompagne sur le plan psychologique et social les femmes enceintes et les jeunes mères de famille en situation de précarité. Il organise des actions de prévention et de dépistage des handicaps des enfants de moins de 6 ans ainsi que de conseil aux familles pour la prise en charge de ces handicaps. Il est au centre de l’organisation médicale de la prévention et du dépistage de la maltraitance et, en ce sens, il est l’interlocuteur privilégié des médecins confrontés à ces situations.

Services hospitaliers et unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger

Les urgences pédiatriques et les services de pédiatrie médicaux ou chirurgicaux sont des passages obligés pour les enfants victimes de formes graves de maltraitance. Ces services sont des acteurs importants du repérage et du conseil aux médecins. La plupart des hôpitaux sont dotés d’une Unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped). L’équipe pédiatrique référente organise, avec la collaboration des services de médecine légale, la prise en charge des enfants hospitalisés ou non. L’accueil se fait en milieu adapté à l’enfant. L’audition et son enregistrement sont possibles. Les structures permettent une prise en charge médico-psycho-sociale.

Services juridiques et d’enquête

Les médecins ne sont pas des auxiliaires de justice mais ils sont amenés à connaître les services d’enquête (police et gendarmerie) ou les magistrats chargés de la justice des mineurs (procureur chargé des mineurs, juge des enfants). Les collaborations se font dans le but de la protection des enfants et dans le respect des règles déontologiques. C’est le procureur qui reçoit le signalement dans les situations graves et qui décide de la mesure de protection pour l’enfant (placement par ordonnance de placement provisoire [OPP] ou autre mesure). Le médecin n’a aucun pouvoir de placement, aucun rôle de jugement.

Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (Snated)

Le Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger peut être contacté au 119, même par les médecins. Ce service peut donner des conseils utiles sur l’évaluation et l’orientation d’une situation.

Pronostic

Il est globalement mauvais lorsque la maltraitance est déclarée. Les enfants peuvent décéder après des actes de maltraitance grave. Le nombre de décès déclarés par maltraitance, probablement sous-évalué, a été déclaré de 60 en 2022.

Le pronostic physique est dominé par les séquelles neurologiques et ophtalmologiques principalement dans le cadre des traumatismes crâniens infligés (particulièrement le syndrome du bébé secoué).

Les séquelles psychologiques sont constantes. Tous les enfants subissent un psychotraumatisme  grave. Leur sévérité dépend des protections rapides possibles, particulièrement par un parent non maltraitant et vigilant. L’accompagnement psychologique est essentiel. Les mesures d’éloignement familial diminuent les risques de récidives mais sont également traumatisantes.

Prévention de la maltraitance

Elle est un des grands objectifs de santé publique autour de l’enfant.

La prévention primaire a pour but d’éviter la maltraitance en informant les parents et l’entourage de l’enfant de sa vulnérabilité et en diminuant les facteurs de risque (isolement, précarité, etc.). Des stratégies spécifiques ont été développées vis-à-vis du syndrome du bébé secoué.

La prévention secondaire protège l’enfant en situation de risque ou de danger.

La prévention tertiaire concerne la prise en charge de l’enfant maltraité pour diminuer les séquelles physiques et psychologiques et pour éviter les récidives.

Le médecin est impliqué dans les trois aspects de cette prévention. L’amélioration des stratégies diagnostiques permet de diminuer la gravité et d’éviter les récidives.

Encadre

Alertes cliniques par feux rouges

  • Lésions sentinelles avant l'âge de la marche
  • Nombre de lésions importantes supérieur à 15
  • Lésions ayant la forme de l’agent traumatisant
  • Localisations suspectes (fig. 1)
Points forts

L'épidémiologie est imprécise : 11 à 15 % des enfants sont probablement maltraités.

Vulnérabilité et facteurs de risque sont liés à l’enfant et à sa famille.

Devant une situation suspecte, il existe sept critères de plausibilité. 

L’examen du corps de l'enfant doit être complet.

Une maltraitance est suspectée en cas de lésions cutanées et de fractures qui interrogent.

Le syndrome du bébé secoué se caractérise par la gravité des lésions neurologiques et ophtalmologiques.

Les sévices sexuels sont souvent révélés par des signes indirects.

Il est essentiel de connaître la différence de définition et de circuit entre les informations préoccupantes et les signalements.

Il importe de ne pas rester seul et de connaître les personnes ressources.

Pour en savoir plus
Conseil national de l’Ordre des médecins. Dispositif ordinal Vigilance-Violences-Sécurité (VVS).
Martine Balençon. Pédiatrie Médico-Légale. 2020. Elsevier.
À qui transmettre ses inquiétudes ? Rôle de la CRIP. Entretiens de Bichat 2014 (pédiatrie et puériculture):14-8.
Rey Salmon C, Adamsbaum C. Maltraitance chez l’enfant. Paris, Éditions Lavoisier, 2013.
Picherot G, Vabres N, Fleury J. Repérage des signes cliniques évocateurs de maltraitance chez le petit enfant. La Revue du Praticien 2011;61(5):653-5.
Launay E, Vrignaud B, Levieux K, Picherot G, Canevet JP, Senant R, et al. Trente feux rouges en pédiatrie. La Revue du Praticien 2013;27(893):22-3.
HAS 2017. Syndrome du bébé secoué. Recommandations de bonne pratique. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2794425/fr/syndrome-du-bebe-secoue-ou-traumatisme-cranien-non-accidentel-par-secouement
HAS 2017. Maltraitance chez l’enfant. Repérage et conduite à tenir. https://www.has-sante.fr/jcms/c_1760393/fr/maltraitance-chez-l-enfant-reperage-et-conduite-a-tenir

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