Le risque théorique d’allo-immunisation au premier trimestre de la grossesse est difficile à évaluer. L’immunisation anti-RH1 (anti-D) survient lorsque le système immunitaire maternel entre en contact avec l’antigène RH1 porté par les hématies fœtales passées dans la circulation maternelle. L’antigène RH1 est théoriquement présent sur les globules rouges fœtaux dès 7,5 semaines d’aménorrhée (SA). Cependant, l’âge gestationnel à partir duquel les hématies fœtales peuvent être mises en évidence dans le sang maternel  – et sont donc susceptibles de provoquer une immunisation – n’est pas connu ; les études s’étant intéressées à cette question sont anciennes, sans méthode de datation précise de la grossesse et reposent sur des tests d’une performance limitée. 

En 2005, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) avait émis des recommandations sur la prévention de l’allo-immunisation anti-RH1 au cours de la grossesse, notamment au premier trimestre.1 Les interruptions volontaires de grossesse (IVG) médicales ou chirurgicales, les grossesses arrêtées et les fausses couches, qu’elles soient spontanées, traitées médicalement ou chirurgicalement, les métrorragies du premier trimestre et les grossesses extra-utérines étaient considérées comme des situations à risque modéré de passage d’hématies fœtales au premier trimestre, ce qui justifiait une prévention de l’allo-immunisation par injection d’immunoglobulines anti-D.

Cependant, lors de l’élaboration de ces recommandations, il existait peu d’études publiées évaluant spécifiquement l’intérêt et l’efficacité d’une prévention de l’allo-immunisation au premier trimestre. De plus, les données épidémiologiques et théoriques ayant conduit à ces recommandations étaient hétérogènes, anciennes (alors que les techniques pour quantifier les hématies fœtales dans le sang maternel ont évolué depuis) et présentaient certains biais, avec au total une qualité de la preuve très basse. 

Par ailleurs, plus récemment, plusieurs sociétés savantes nationales et internationales, notamment la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO) en 2021,2 se sont positionnées pour ne pas recommander de prévention systématique de l’allo-immunisation au premier trimestre, en fonction des situations cliniques et de l’âge gestationnel.

Ainsi, s’il existe un large consensus sur la néces­sité de prévenir l’allo-immunisation anti-­RH1 à titre systématique en anténatal à 28 SA et lors d’événements à risque d’hémorragie fœto-maternelle au deuxième et au troisième trimestres, les recommandations des différentes sociétés savantes sur l’immunopro­phylaxie sont hétérogènes pour ce qui concerne des événements supposés à risque du premier trimestre. 

Enfin, une étude prospective observationnelle de bonne qualité méthodologique parue en 2023 a étudié le passage des hématies fœtales à l’occasion d’IVG chirurgicales ou médicales ; elle a conclu que ces procédures n’augmentent pas la concentration d’hématies fœtales dans le sang maternel et ne seraient donc pas associées à un risque supplémentaire d’allo-immunisation.3

Pour toutes ces raisons, le CNGOF a décidé de mettre à jour ses recommandations sur la prévention de l’allo-immunisation anti-RH1 au premier trimestre de la grossesse.4 Ces recommandations visent à aider dans leur pratique clinique quotidienne les professionnels de santé (gynécologues-obstétriciens mais aussi médecins généralistes et sages-femmes) amenés à informer ou prendre en charge les patientes au cours du premier trimestre de la grossesse dans des situations jugées, à tort ou à raison, à risque d’allo-immunisation. 

En résumé, il paraît légitime de s’interroger sur le fait d’exposer un nombre important de femmes à un produit dérivé du sang, aux risques très rares mais potentiellement graves, alors qu’il n’y a pas de preuve qu’il y ait un surrisque d’allo-immunisation en lien avec une IVG, une grossesse arrêtée ou une fausse couche avant 12 SA, qu’il n’y a pas de preuve de l’intérêt d’une prophylaxie dans ce contexte, qu’il existe des données rassurantes sur la plus large et solide étude prospective publiée sur des analyses en population.

 Le CNGOF s’est ainsi positionné :

  • il recommande de ne pas administrer d’immunoglobulines anti-D avant 12 SA dans le but de réduire le risque d’allo-immunisation, en cas d’interruption volontaire de grossesse, de grossesse arrêtée ou de fausse couche, chez une patiente rhésus 1 négatif, quand le géniteur est rhésus 1 positif ou inconnu (recommandation faible ; qualité de la preuve très basse) ;
  • il recommande de ne pas administrer d’immunoglobulines anti-D avant 12 SA dans le but de réduire le risque d’allo-immunisation, en cas de métrorragies sur une grossesse intra-­utérine évolutive (recommandation faible ; qualité de la preuve très basse) ;
  • il considère que les données de la littérature sont insuffisantes en qualité et en nombre pour déterminer si l’injection d’immunoglobulines anti-D permet de réduire le risque d’allo-immunisation en cas de grossesse extra-­utérine (absence de recommandation ; qualité de la preuve très basse).

Références
1. Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Recommendations for clinical practice. Prevention in maternofetal Rh immunization (december 2005). Gynecol Obstet Fertil 2006;34:360-5.
2. Visser GHA, Thommesen T, Di Renzo GC, et al. FIGO/ICM guidelines for preventing rhesus disease: A call to action. Int J Gynaecol Obstet 2021;152:144-7.
3. Horvath S, Huang ZY, Koelper NC, et al. Induced abortion and the risk of rh sensitization. JAMA 2023;330:1167-74.
4. Vigoureux S, Maurice P, Sibiude J, et al. Prevention of Rh D alloimmunization in the first trimester of the pregnancy: French College of Obstetricians and Gynecologists guidelines for clinical practice. Gynecol Obstet Fertil Senol 2024;52(7-8):446-53.