Objectifs
Définir les champs de la santé numérique ou e-santé.
Savoir évoquer les enjeux de la santé numérique, ses impacts sanitaires, socioprofessionnels, juridiques, éthiques et économiques et les conditions nécessaires à son utilisation.
Donner des exemples de domaines d’application qu’elle couvre.
Les premiers projets de santé numérique remontent aux années 1970. Néanmoins, il y a eu une franche accélération en France depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020879475). Cette accélération a été favorisée par une mutation générationnelle des praticiens, plus ouverts et confiants dans les nouvelles techniques de communication, une évolution des technologies et la mise en place d’un cadre légal d’exercice et de financement.

Santé numérique : définition et domaines d’application

Définition

La santé numérique, également nommée e-santé, est l’application des techniques de l’information et de la communication à l’ensemble des activités en rapport avec la santé (définition proposée par la Commission européenne).

Domaines d’application de la santé numérique

Trois domaines d’application de la santé numérique se distinguent (fig. 1).
Les systèmes d’information en santé ont pour objectif d’améliorer la coordination des soins au sein d’un établissement de santé ou d’un territoire de soins.
La télémédecine et le télésoin permettent d’examiner et de soigner le patient à distance avec l’aide ou non d’un professionnel de santé. On distingue cinq actes de télémédecine :
  • la téléconsultation, au cours de laquelle le patient est en lien avec le médecin par l’intermédiaire d’outils de communication et bénéficie d’une consultation médicale ;
  • la télé-expertise, qui permet à des personnels soignants ou des médecins de prendre un avis de façon synchrone ou asynchrone auprès d’un expert en partageant des données concernant le patient, mais en l’absence du patient ;
  • la téléassistance, qui permet à un personnel soignant d’être guidé à distance dans la réalisation d’un acte (par exemple, la réfection d’un pansement) ;
  • la télésurveillance, qui permet le suivi d’un patient grâce au partage de ses paramètres physiologiques (par exemple, le suivi glycémique) ;
  • la régulation médicale, qui est le cinquième acte de télémédecine référencé dans le décret de 2010 ( https:// www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000022932449 ).
Depuis peu, un acte complémentaire a été défini : celui de télésoin. Il permet à certains soignants de réaliser des actes à distance selon certaines conditions ( https:// www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038821260 ).
La télésanté mobile permet le suivi et la prévention de certaines pathologies grâce à des dispositifs de santé mobiles tels que les actimètres connectés.
Par ailleurs, ces dernières années, le numérique a pu être utilisé pour l’analyse de grandes quantités de données (Big data) permettant ainsi d'identifier des tendances, de prédire des épidémies ou d'améliorer les traitements.
Enfin, il est difficile aujourd'hui de ne pas parler d’intelligence artificielle lorsque l’on aborde le numérique en santé. Ces technologies ont pour objectif d’assister les professionnels de santé dans le diagnostic, le traitement ou la personnalisation des soins sans toutefois jamais se substituer à eux.

Cadre juridique

Depuis 2009, le cadre juridique dans lequel s’inscrit la santé numérique ne cesse d’évoluer et d’être précisé.
Quelques grandes dates peuvent être retenues :
  • 2009, définition de la télémédecine dans la loi HPST (art. L6316-1) ;
  • 2010, définition des actes de télémédecine et des conditions de mise en œuvre dans le décret 2010-1229 (art. R6316-1, art. R6316-2 ; art. R6316-3 ; art. R6316-4) ;
  • 2018, entrée dans le droit commun de la téléconsultation (article 54 de la loi de financement de l’Assurance maladie) permettant le remboursement de l’acte de téléconsultation et de télé-expertise ;
  • 2019, définition du télésoin et des conditions d’exercice (loi n° 2019-774) ;
  • 2021, possibilité de solliciter une télé-expertise pour tous les professionnels de santé.

Enjeux de la santé numérique

Impact sur l’organisation des soins

Les objectifs du déploiement de la santé numérique sont d’aider à l’organisation des soins au niveau du territoire et de faciliter l’échange d’informations médicales tout en favorisant les économies en santé (exemple de coordination d’un parcours de soins ambulatoires, fig. 2).
Ainsi, la santé numérique est l’une des voies proposées pour répondre à des problématiques démographiques, géographiques et économiques. Mais elle ne peut à elle seule compenser les carences de soignants sur le territoire. Il s’agit d’un moyen proposé aux soignants parmi d’autres, comme la création de nouveaux métiers : infirmières en pratique avancée, assistants médicaux...
Au niveau démographique, la population française vieillit, les pathologies chroniques sont de plus en plus fréquentes et sources de handicap. Les besoins en santé augmentent alors même que la démographie médicale diminue et que le processus de désertification médicale se poursuit, mettant en péril l’un des principes fondamentaux du système de soins français, qui est l’équité d’accès aux soins.
 

Faciliter l’organisation territoriale des soignants

Pour les soignants, la santé numérique vise à faciliter l’évolution vers des organisations territoriales.
Les systèmes d’information devraient faciliter les transferts d’informations entre professionnels, améliorant ainsi la communication interprofessionnelle.
Parmi les dispositifs, on peut citer le dossier patient informatisé. Un dossier patient informatisé (DPI) est une version numérique du dossier médical traditionnel d'un patient. Il centralise et sécurise l'ensemble des informations médicales et administratives relatives à un patient sous un format électronique. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :
Son contenu : il inclut des informations telles que les antécédents médicaux, les résultats d'examens, les prescriptions, les notes des professionnels de santé et les plans de traitement qui peuvent mis à jour en temps réel.
Son accessibilité : les DPI peuvent être facilement accessibles par différents professionnels de santé, ce qui facilite la coordination des soins.
Sa sécurité : ils sont protégés pour garantir la confidentialité des données, souvent via des systèmes de cryptage et d'authentification.
Son interopérabilité : de nombreux DPI sont conçus pour être compatibles avec d'autres systèmes de santé, facilitant l'échange d'informations entre différents établissements ou professionnels.
Le DPI est différent du dossier médical partagé (DMP). Le DMP est également un dossier personnel, partagé et accessible par plusieurs professionnels de santé, mais qui permet une continuité des soins quel que soit le lieu d’exercice des praticiens. Ce DMP est l’un des éléments constituant de la plateforme mon Espace Santé.
La télémédecine et le télésoin peuvent être proposés idéalement dans le cadre de parcours de soins alternés, permettant ainsi de soigner le patient en limitant les déplacements. À ce jour, les professions habilitées à réaliser des téléconsultations sont les professions médicales quelle que soit la spécialité, les sages-femmes et les chirurgiens-dentistes. Parmi les personnels soignants, dix-huit professions sont concernées par le télésoin (tableau).
 

Le patient davantage acteur de ses soins

Pour les patients, l’amélioration de la communication entre professionnels de santé devrait aboutir à une meilleure prise en charge, plus efficiente et à coût moindre. Par ailleurs, les patients qui le souhaitent peuvent devenir davantage acteurs de leur santé grâce à la mise à disposition d’outils d’éducation thérapeutique et en fournissant à leur soignant les données de suivi en cas de pathologie chronique.
Le numérique permet également au patient d’être acteur de sa santé grâce à des applications de santé. Il s’agit de plateformes en ligne ou d'outils mobiles aidant les patients à gérer leur santé, à suivre leurs symptômes ou à adhérer à des traitements. Ces applications peuvent être utilisées sur des smartphones, des tablettes ou des ordinateurs. Elles peuvent offrir différentes fonctionnalités :
  • suivi des symptômes (calendrier du migraineux par exemple) ;
  • gestion des médicaments (rappel des prises et des renouvellements) ;
  • suivi de l'activité physique ;
  • nutrition et diététique (offre de conseils nutritionnels par exemple) ;
  • communauté et soutien permettant l’échange avec d'autres utilisateurs partageant des expériences similaires.
 

Illustration par un cas d’usage

Un patient vit en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et est suivi pour un diabète de type 2. Il est infecté par le SARS-CoV-2 alors qu’il devait consulter pour une plaie du pied ayant du mal à cicatriser.
Une téléconsultation en soins primaires peut lui être proposée, accompagné par une infirmière de l’Ehpad après en avoir été informé et avoir donné son accord. Une fois l’accord obtenu, la téléconsultation est programmée. À l’heure et au jour dits, la téléconsultation a lieu en visioconférence pour l’examen du patient ; si nécessaire, des objets connectés (type stéthoscope) peuvent être utilisés. Au terme de la téléconsultation, une ordonnance peut être transférée de façon sécurisée vers le patient ou vers la pharmacie. Un compte-rendu de téléconsultation est versé au dossier médical. Le paiement peut se faire par envoi d’une feuille de soins électronique ou par facturation à l’Assurance maladie.
Une télé-expertise asynchrone peut être nécessaire : pour ce même patient, le médecin traitant ou l’infirmière de l’Ehpad peut solliciter une télé-expertise auprès d’un dermatologue. De même que pour la téléconsultation en soins primaires, il faut informer et obtenir l’accord du patient. Une demande de télé-­expertise est ensuite adressée par messagerie sécurisée en fournissant les éléments nécessaires à la prise de décision de l’expert, selon un protocole préalablement établi. La restitution de la télé-expertise au médecin ou au personnel soignant se fait par messagerie sécurisée sous la forme d’un compte-rendu qui peut être versé au dossier médical du patient ou au dossier médical partagé. La facturation se fait par feuille de soins électronique à l’Assurance maladie par le médecin requis : il déclare à l’Assurance maladie le nom de la personne requérante, qui recevra alors un forfait pour la demande de télé-expertise.

Impact éthique

L’impact éthique de la santé numérique est un sujet particulièrement sensible, car les craintes sont nombreuses.
Pourtant, la télésanté repose sur les grands principes d’éthique médicale :
  • le principe de bienfaisance établit que les conditions de réalisation technique soient optimales afin de récréer au mieux l’environnement d’une consultation présentielle et respecter la vie privée d’une personne ;
  • le principe de non-malfaisance stipule que le recours à la télésanté ne doit pas constituer une perte de chance pour le patient ;
  • le principe de justice impose l’équité dans l’accès aux soins ;
  • le principe d’autonomie passe par le consentement du patient (encadré).
Enfin, le développement de l’intelligence artificielle mise à disposition des soignants, comme une aide au diagnostic par exemple, pose également des questions éthiques : l’utilisation de ces aides n’induit-elle pas le risque de perte de compétences humaines ? Qui deviendra finalement l’expert : l’homme ou la machine ? Le législateur travaille autour du principe de garantie humaine, qui rend obligatoire la validation humaine d’un résultat fourni par l’intelligence artificielle.

Enjeux économiques

Les enjeux économiques en santé numérique sont finalement les mêmes que ceux de la santé à l’échelle de la société, puisqu’il ne s’agit que d’une modalité d’exercice différente. En améliorant les préventions primaire et secondaire, ainsi que la communication interprofessionnelle et entre soignants et soignés, en diminuant le nombre d’hospitalisations et de déplacements, l’objectif est de réduire les dépenses en santé.

Conditions nécessaires

Pour que la santé numérique puisse servir la population et les soignants, il existe différentes conditions à réunir : des volontés politiques, une adhésion de la part des soignants et des soignés, un cadre rassurant d’exercice et des outils simples d’utilisation interopérables.
Au niveau politique, le plan santé numérique montre l’engagement actuel dans cette voie.
Pour les professionnels, il existe une nécessité de formation à la télémédecine et au télésoin dès la formation initiale (études de médecine) : e-sémiologie, e-examen clinique, communication en visioconférence, etc. Mais cette nécessité s’inscrit également dans le cadre de la formation continue pour la réalisation d’un exercice selon les bonnes pratiques.
Au niveau des populations, il existe également un besoin d’information, voire de formation, afin de limiter le risque d’inégalité entre ceux qui peuvent accéder à la télémédecine et les autres.
Concernant les industriels, il est nécessaire de développer des dispositifs qui servent les besoins des soignants et des patients, en axant sur l’interopérabilité et la sécurité dans l’échange d’informations.

Des apports prévisibles mais avec un nécessaire encadrement

La santé numérique participe à la transformation du système de santé. L’utilisation des outils de communication est mise à disposition des patients et des soignants afin d’améliorer les échanges entre professionnels, le maillage du territoire et la participation active du patient à son parcours de soins. Elle nécessite que les personnels soignants médicaux et non médicaux soient formés et que les outils soient sécurisés, interopérables dans le cadre légal et déontologique d’exercice.  
Points forts
Santé et numérique

POINTS FORTS À RETENIR

• La santé numérique ne se résume pas à la télésanté.

• La télésanté comporte les cinq actes de télémédecine : téléconsultation, télé-expertise, téléassistance, télésurveillance et régulation médicale, ainsi que le télésoin.

• Tout médecin, sage-femme ou chirurgien-dentiste peut pratiquer des téléconsultations.

• Il est conseillé d’utiliser la télémédecine dans le cadre d’un parcours de soins alterné.

• La pratique de la télésanté repose sur les quatre piliers de l’éthique médicale : bienfaisance, non-malfaisance, justice et autonomie.

• En télésanté, il est indispensable d’obtenir le consentement du patient, d’utiliser des outils de transfert d’information sécurisés et que chaque acte soit tracé et versé au dossier médical du patient.

Encadre

Principes de justice et d’autonomie appliqués à la télésanté

L’un des objectifs de la santé numérique est de favoriser l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire. Mais elle repose sur l’accessibilité aux outils de télécommunication. Cette accessibilité est dépendante de la couverture en téléphonie du territoire, de l’âge des personnes concernées et de la catégorie socioprofessionnelle des usagers. Le principe de justice à travers l’équité dans l’accès aux soins peut ainsi être mis à mal. Il est donc indispensable de vérifier auprès de chaque patient la faisabilité d’un acte de télésanté (possession d’un outil de communication, réseau de communication adapté...) et de penser à une alternative équitable en cas de non-applicabilité.

De même, le principe d’autonomie passe par le respect de la volonté du patient. La télésanté, comme n’importe quel autre soin médical, ne peut être envisagée sans le consentement du patient, obtenu après une information loyale et éclairée tant sur l’acte de télésanté que sur ses conditions de mise en œuvre.

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