Donner une grande importance aux paroles et souhaits de la personne malade.
Alors qu’en Grande-Bretagne* des médecins et des infirmières s’intéressent depuis des années au développement des soins palliatifs,1 en France, il faut attendre l’épidémie de sida dans les années 1980 pour que le monde hospitalo-universitaire se préoccupe de la prise en charge de la douleur et des personnes en fin de vie. L’interpellation d’associations de malades infectés par le VIH (notamment AIDES et Act Up) a mobilisé les professionnels de santé et promu une nouvelle discipline : les soins palliatifs.
« Ce sont les soins et l’accompagnement apportés à une personne gravement malade pour lui permettre de bien ou mieux vivre le temps qu’il lui reste à vivre. »** Les dimensions physiques, psychiques, sociales et spirituelles sont prises en compte de façon interdisciplinaire. La mise en commun des compétences professionnelles permet de mieux s’adapter à la situation de chacun, toujours singulière et imprévisible. Écoutée et accompagnée à son rythme, la personne malade bénéficie de soins personnalisés, dits de confort, réaffirmant la primauté de la qualité de vie. Évitant l’obstination déraisonnable et refusant l’euthanasie, les soins palliatifs sont destinés à la personne malade et à ses proches.
Si ces concepts restent aujourd’hui inchangés, leur mise en œuvre est indéniablement remodelée par ce qui est en cours – la restructuration des hôpitaux, une médecine de plus en plus technique, un accroissement de la population âgée – et ce que cela entraîne – le développement de la coordination des soins à domicile, une succession de lois sur la fin de vie. Quels sont alors les changements à venir pour les soins palliatifs ? Quelle sera la place du médecin traitant ?
« Ce sont les soins et l’accompagnement apportés à une personne gravement malade pour lui permettre de bien ou mieux vivre le temps qu’il lui reste à vivre. »** Les dimensions physiques, psychiques, sociales et spirituelles sont prises en compte de façon interdisciplinaire. La mise en commun des compétences professionnelles permet de mieux s’adapter à la situation de chacun, toujours singulière et imprévisible. Écoutée et accompagnée à son rythme, la personne malade bénéficie de soins personnalisés, dits de confort, réaffirmant la primauté de la qualité de vie. Évitant l’obstination déraisonnable et refusant l’euthanasie, les soins palliatifs sont destinés à la personne malade et à ses proches.
Si ces concepts restent aujourd’hui inchangés, leur mise en œuvre est indéniablement remodelée par ce qui est en cours – la restructuration des hôpitaux, une médecine de plus en plus technique, un accroissement de la population âgée – et ce que cela entraîne – le développement de la coordination des soins à domicile, une succession de lois sur la fin de vie. Quels sont alors les changements à venir pour les soins palliatifs ? Quelle sera la place du médecin traitant ?
Ce qui est en cours
Grâce aux progrès sanitaires, médicaux et sociaux des dernières décennies, l’augmentation de l’espérance de vie des Européens se poursuit. Les personnes nées entre 1946 et 1973, la génération du baby boom, seront nettement plus nombreuses : il y aurait 2 fois plus de personnes âgées de 75 ans en 2070 qu’en 2013.2 Mais, gagnons-nous des années en bonne santé ou vivons-nous plus longtemps avec des maladies ?3
Cette augmentation de l’espérance de vie est liée à des décès survenant à un âge avancé au décours d’une plus longue survie à certaines maladies. Davantage de personnes âgées sont en perte d’autonomie en raison de maladies chroniques. Elles ont besoin d’une prise en charge globale impliquant de plus en plus les professionnels de santé intervenant à domicile. Cela explique le développement actuel de la gériatrie et des soins palliatifs en ville.
Depuis les années 1990, les établissements de santé se transforment sous l’impulsion des pouvoirs publics : création des agences régionales de santé (ARS), programme de médicalisation du système d’information (PMSI), démarche qualité et certification, tournant gestionnaire avec la tarification à l’activité (T2A).4 S’y ajoutent le développement des nouvelles technologies dans les soins et la thérapeutique, la digitalisation des données et des organisations… autant d’éléments transformant l’hôpital en un lieu d’actes techniques protocolisés. Tout cela demande des efforts supplémentaires aux professionnels pour maintenir l’indispensable dimension humaine du soin, expliquant probablement aussi leurs difficultés actuelles à se tourner vers la ville. Les hospitalisations deviennent très brèves et imposent de mettre en place des collaborations interprofessionnelles hôpital-ville de qualité. Dans cet environnement, lors de situations complexes imposant une réflexion commune, les missions transversales des équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs seront d’autant plus nécessaires.
Malgré la bonne volonté des médecins soucieux de préserver la dimension humaine du soin, l’évolution technologique de notre société et les performances exigées entraînent une spécialisation de la pratique médicale avec l’ambition première de guérir. Les soins palliatifs se sont construits en réaction à cette vision trop souvent partielle du patient et à l’hypertechnicité de sa prise en charge, au détriment de la relation soignante. Pour autant, eux-mêmes n’échappent pas à cette évolution hyperspécialisée. La sédation, entre autres, en est un bon exemple. Dans ce contexte, les équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs doivent favoriser et développer l’indispensable et bénéfique place de la relation humaine lors des soins, quels qu’ils soient ; elles ont là un rôle pédagogique majeur.
Cette augmentation de l’espérance de vie est liée à des décès survenant à un âge avancé au décours d’une plus longue survie à certaines maladies. Davantage de personnes âgées sont en perte d’autonomie en raison de maladies chroniques. Elles ont besoin d’une prise en charge globale impliquant de plus en plus les professionnels de santé intervenant à domicile. Cela explique le développement actuel de la gériatrie et des soins palliatifs en ville.
Depuis les années 1990, les établissements de santé se transforment sous l’impulsion des pouvoirs publics : création des agences régionales de santé (ARS), programme de médicalisation du système d’information (PMSI), démarche qualité et certification, tournant gestionnaire avec la tarification à l’activité (T2A).4 S’y ajoutent le développement des nouvelles technologies dans les soins et la thérapeutique, la digitalisation des données et des organisations… autant d’éléments transformant l’hôpital en un lieu d’actes techniques protocolisés. Tout cela demande des efforts supplémentaires aux professionnels pour maintenir l’indispensable dimension humaine du soin, expliquant probablement aussi leurs difficultés actuelles à se tourner vers la ville. Les hospitalisations deviennent très brèves et imposent de mettre en place des collaborations interprofessionnelles hôpital-ville de qualité. Dans cet environnement, lors de situations complexes imposant une réflexion commune, les missions transversales des équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs seront d’autant plus nécessaires.
Malgré la bonne volonté des médecins soucieux de préserver la dimension humaine du soin, l’évolution technologique de notre société et les performances exigées entraînent une spécialisation de la pratique médicale avec l’ambition première de guérir. Les soins palliatifs se sont construits en réaction à cette vision trop souvent partielle du patient et à l’hypertechnicité de sa prise en charge, au détriment de la relation soignante. Pour autant, eux-mêmes n’échappent pas à cette évolution hyperspécialisée. La sédation, entre autres, en est un bon exemple. Dans ce contexte, les équipes mobiles d’accompagnement et de soins palliatifs doivent favoriser et développer l’indispensable et bénéfique place de la relation humaine lors des soins, quels qu’ils soient ; elles ont là un rôle pédagogique majeur.
Ce que cela entraîne
Les soins palliatifs se dérouleront à domicile sous la responsabilité du médecin traitant avec le soutien des réseaux de santé et la possibilité d’avoir recours à des unités de soins palliatifs pour les situations complexes ou permettre un répit. Mission essentielle de ces réseaux : la coordination des soins au bénéfice des personnes malades. En soins palliatifs, ce n’est pas tant d’une expertise savante dont les patients ont besoin, mais d’une coordination de qualité. Les infirmières sont formées à cette mission. Il ne faudrait pas que les tutelles régionales oublient que la qualité des soins prodigués à une personne, notamment gravement malade, en soins palliatifs, est essentiellement liée à une écoute attentive, à la relation soignante, toujours singulières, et à une coopération harmonieuse des acteurs à son chevet ; le médecin traitant conservant un rôle pivot dans cette organisation.
La fréquence des obstinations déraisonnables dans la pratique soignante et le déficit d’écoute des patients a fait émerger différentes lois et circulaires : en 1999, 2002, 2005, 2016.5 Ces lois ont mis en avant la parole des malades et favorisé le développement des soins palliatifs mais elles ont aussi renforcé l’influence de la justice dans cette partie du champ médical.
Lors de la prise en charge d’affections très avancées, la parole des personnes malades a toujours été essentielle, mais elle est encore aujourd’hui plutôt malmenée. En témoigne l’histoire de cette femme qui bénéficie de thérapeutiques efficaces après la découverte d’un mélanome malin. Deux ans plus tard, de multiples métastases se développent rapidement et entraînent des complications graves neurologiques, hépatiques, hématologiques et osseuses. La succession rapprochée d’examens complémentaires, de traitements spécifiques, les nombreux antalgiques et psychotropes lui font décrire sa situation comme « lancée sur des rails sans comprendre ». Souffrant excessivement, recroquevillée au fond de son lit, elle n’avait même pas pensé qu’elle pouvait demander plus d’informations, voire dire non à certains déplacements insupportables.
Ces lois apportent des avancées notables comme celle imposant pour les décisions importantes (limitation et arrêt de traitements, sédation profonde et continue jusqu’au décès) une réunion pluriprofessionnelle, dite procédure collégiale, dont il faut rendre compte. Au cours de cette réunion, la parole de chacun doit être écoutée et respectée, et particulièrement celle du malade ; même si elle s’exprime par l’intermédiaire du témoignage de sa personne de confiance, de ses proches ou des directives anticipées.
Les recommandations professionnelles demandent aux soins palliatifs de soutenir une démarche éthique. Pour autant, ce n’est pas parce qu’un groupe humain définit des règles dites éthiques que celles-ci sont moralement acceptables. Aujourd’hui, en France, deux positions s’opposent :
– celle des utilitaristes, de culture anglo-saxonne libérale, interrogeant 4 principes : autonomie de la personne, bientraitance, non-malfaisance et justice, et sous-tendue par la notion « qu’il faut maximiser le bien » jusqu’à éventuellement soutenir l’euthanasie ;***
– celle des déontologues, influencée notamment par Kant, pour qui la dignité humaine est « inconditionnelle et incomparable ». Nous devons nous méfier de notre propre regard sur autrui et rien ne peut justifier l’homicide des malades.
Pour ne pas camper sur une de ces deux positions dogmatiques, en soins palliatifs nous privilégions la discussion,6 laquelle devra se dérouler sans hiérarchie de parole, chacun s’exprimant librement.7La neutralité étant impossible, la singularité des points de vue enrichit le débat et évite les dérives dogmatiques.
La fréquence des obstinations déraisonnables dans la pratique soignante et le déficit d’écoute des patients a fait émerger différentes lois et circulaires : en 1999, 2002, 2005, 2016.5 Ces lois ont mis en avant la parole des malades et favorisé le développement des soins palliatifs mais elles ont aussi renforcé l’influence de la justice dans cette partie du champ médical.
Lors de la prise en charge d’affections très avancées, la parole des personnes malades a toujours été essentielle, mais elle est encore aujourd’hui plutôt malmenée. En témoigne l’histoire de cette femme qui bénéficie de thérapeutiques efficaces après la découverte d’un mélanome malin. Deux ans plus tard, de multiples métastases se développent rapidement et entraînent des complications graves neurologiques, hépatiques, hématologiques et osseuses. La succession rapprochée d’examens complémentaires, de traitements spécifiques, les nombreux antalgiques et psychotropes lui font décrire sa situation comme « lancée sur des rails sans comprendre ». Souffrant excessivement, recroquevillée au fond de son lit, elle n’avait même pas pensé qu’elle pouvait demander plus d’informations, voire dire non à certains déplacements insupportables.
Ces lois apportent des avancées notables comme celle imposant pour les décisions importantes (limitation et arrêt de traitements, sédation profonde et continue jusqu’au décès) une réunion pluriprofessionnelle, dite procédure collégiale, dont il faut rendre compte. Au cours de cette réunion, la parole de chacun doit être écoutée et respectée, et particulièrement celle du malade ; même si elle s’exprime par l’intermédiaire du témoignage de sa personne de confiance, de ses proches ou des directives anticipées.
Les recommandations professionnelles demandent aux soins palliatifs de soutenir une démarche éthique. Pour autant, ce n’est pas parce qu’un groupe humain définit des règles dites éthiques que celles-ci sont moralement acceptables. Aujourd’hui, en France, deux positions s’opposent :
– celle des utilitaristes, de culture anglo-saxonne libérale, interrogeant 4 principes : autonomie de la personne, bientraitance, non-malfaisance et justice, et sous-tendue par la notion « qu’il faut maximiser le bien » jusqu’à éventuellement soutenir l’euthanasie ;***
– celle des déontologues, influencée notamment par Kant, pour qui la dignité humaine est « inconditionnelle et incomparable ». Nous devons nous méfier de notre propre regard sur autrui et rien ne peut justifier l’homicide des malades.
Pour ne pas camper sur une de ces deux positions dogmatiques, en soins palliatifs nous privilégions la discussion,6 laquelle devra se dérouler sans hiérarchie de parole, chacun s’exprimant librement.7La neutralité étant impossible, la singularité des points de vue enrichit le débat et évite les dérives dogmatiques.
* Hospice Saint-Christopher de Londres créé en 1967 par Cicely Saunders.
** Nouvelle définition des soins palliatifs publiée en 2016 par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.*** Jeremy Bentham, John Stuart Mill, Tristam Engelhardt.
** Nouvelle définition des soins palliatifs publiée en 2016 par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.*** Jeremy Bentham, John Stuart Mill, Tristam Engelhardt.
Encadre
Soins palliatifs en 2017
157 unités de soins palliatifs (USP)
• 426 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP)
• 2 équipes mobiles de soins palliatifs pédiatriques
• 17 équipes ressources régionales pédiatriques
• 107 réseaux de soins palliatifs
• 122 structures d’hospitalisation à domicile (HAD)
• 352 associations de bénévoles
• 5 057 LISP* répartis dans 835 établissements en 2012
* Lits identifiés de soins palliatifs. Source : SFAP www.sfap.org
RÉFÉRENCES
1. Castra M. L’émergence des soins palliatifs dans la médecine, une forme particulière de militantisme de fin de vie. Quaderni 2009;68:25-35.
2. La population française à l’horizon 2070. Rapport Insee. Novembre 2016.
3. Cambois E, Robine JM. L’allongement de l’espérance de vie en Europe, quelles conséquences pour l’état de santé ? Revue européenne des sciences sociales 2017;55-1:41-67.
4. Schweyer FX. L’hôpital, une transformation sous contrainte. Revue française des affaires sociales 2006;4:203-23.
5. Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs ; circulaire du 19 février 2002 précisant l’organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement ; loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ; loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
6. Louvel JP, Joussellin C. La parole fondement d’une éthique ? Revue internationale de soins palliatifs 2014;29:101-3.
7. Prénat-Molimard D, Chrétien S, Prigent C, et al. Soins palliatifs : comment faire collège autour de la parole du malade ? In: Hirsch E (dir.). Fins de vie, éthique et santé. Toulouse: Erès; 2016: 372-82.
2. La population française à l’horizon 2070. Rapport Insee. Novembre 2016.
3. Cambois E, Robine JM. L’allongement de l’espérance de vie en Europe, quelles conséquences pour l’état de santé ? Revue européenne des sciences sociales 2017;55-1:41-67.
4. Schweyer FX. L’hôpital, une transformation sous contrainte. Revue française des affaires sociales 2006;4:203-23.
5. Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs ; circulaire du 19 février 2002 précisant l’organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement ; loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ; loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
6. Louvel JP, Joussellin C. La parole fondement d’une éthique ? Revue internationale de soins palliatifs 2014;29:101-3.
7. Prénat-Molimard D, Chrétien S, Prigent C, et al. Soins palliatifs : comment faire collège autour de la parole du malade ? In: Hirsch E (dir.). Fins de vie, éthique et santé. Toulouse: Erès; 2016: 372-82.