En France, les initiatives sur la santé des soignants ont le plus souvent été le fait des médecins. Des professionnels de toutes disciplines se sont réunis à Lyon pour aborder un sujet qui transcende les différences entre les métiers.
La souffrance au travail touche toutes les professions de santé impliquées dans une relation directe d’aide aux patients. Il est très probable que sa prévention et sa prise en charge fassent appel aux mêmes concepts et aux mêmes modalités quel que soit le métier exercé. C’est pourquoi il faut saluer l’initiative originale de l’union régionale des professionnels de santé libéraux de la région Auvergne-Rhône-Alpes : organiser un colloque-débat sur le sujet. À l’exception des infirmiers, tous les métiers du soin y étaient représentés. Mais, comme l’a souligné un de ses organisateurs, Véronique Morel-Lab, masseur-kinésithérapeute, ce sont surtout les médecins qui ont pris la parole, parce que c’est parmi eux que se trouvent les pionniers : ils se sont emparés du problème il y a maintenant plusieurs années et bénéficient donc de la plus grande expérience.
Parmi les nombreux enseignements d’une journée très riche, quelques-uns se détachent. De multiples projets ont été menés localement (au niveau départemental ou régional) dans l’ensemble de la France. Ils ont fait la preuve de leur utilité ; les éventuels projets nationaux doivent les respecter. Pour leur mise en œuvre, le soutien constant des agences régionales de santé (ARS) leur a souvent été précieux, quand il consistait en appui et non en pilotage, ce qui a été le cas dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (dont un représentant était présent).
Le regroupement des associations qui en sont à l’origine a pour but d’instituer de véritables filières de soins, spécifiques aux professionnels de santé et ouvertes à tous, de façon à assurer une prise en charge dépendant du stade clinique du soignant demandeur : depuis la réponse à un appel téléphonique témoignant d’une inquiétude ou de détresse jusqu’aux cas d’épuisement nécessitant une hospitalisation, de jour ou conventionnelle, en passant par la consultation pour troubles mineurs mais potentiellement annonciateurs de sérieuses difficultés. Il faut veiller à la santé de ceux qui prennent en charge les soignants, par un accompagnement adapté et une formation adéquate (c’est le sens des DIU « Soigner les soignants » des universités de Paris-Diderot et Toulouse-Rangueil).
La prévention reste le problème majeur à résoudre. Les facteurs favorisants sont en effet complexes et intriqués : culture de l’invulnérabilité (surtout chez les médecins, dont 80 % n’ont pas de médecin traitant !), difficultés de gestion du cabinet, manque de reconnaissance, contraintes administratives et réglementaires croissantes, portant de plus en plus sur les résultats et non plus seulement sur les moyens, difficultés relationnelles avec les pairs (l’exercice en groupe ou en maison de santé n’est pas toujours une panacée...) ou les donneurs d’ordres.
Sur le plan individuel, plusieurs intervenants ont souligné la nécessité de contracter une assurance professionnelle protectrice en cas d’arrêt de travail. Les contrats étant variés et devant être individualisés, il est fortement recommandé de s’adresser à un courtier, dont l’intérêt va à son client et non à l’assureur.
Une réflexion est engagée pour créer une médecine du travail destinée aux libéraux, le problème majeur étant son financement. Ce point est d’autant plus crucial que la souffrance au travail apparaît de plus en plus comme un marché prometteur, qu’il serait risqué de laisser à certains appétits privés.
Pour conclure, les organisateurs du colloque espèrent bien avoir lancé une dynamique interprofessionnelle aussi bien dans l’intérêt des soignants que de leurs patients. C’est ce que soulignait Éric Galam : « Revendiquer sa vulnérabilité est une preuve de compétence ».

Colloque-débat sur la souffrance au travail des professionnels de santé libéraux. Organisé par l’URPS Auvergne-Rhône-Alpes, le 23 novembre 2018, à Lyon.
Encadre

Des consultations de prévention… sans patients !

Après qu’une enquête ait montré l’intérêt potentiel des praticiens pour des consultations de prévention, l’URPS-médecins libéraux Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place un système pour les rendre effectives sur un territoire expérimental. Elles sont assurées par 4 généralistes formés spécifiquement et financés par l’URPS-ML. Elles comportent 5 volets : biomédical, psychologique, données personnelles, ergonomie du travail, environnement psychosocial. L’anonymat est garanti, aucune notion d’aptitude professionnelle n’est en jeu. Une lettre d’information a été envoyée à l’ensemble des médecins libéraux du territoire en février 2018. Jusqu’à présent, aucune demande de consultation n’a été émise, ce qui en dit long sur la difficulté de la prévention auprès des généralistes. Plutôt que de se décourager, les responsables de l’initiative essaient de comprendre ce qui bloque.