Le géant du tabac Philip Morris annonce, à grand re-nfort de publicité dans la presse britannique, qu’il va abandonner ce qui a fait sa fortune. « Notre ambition consiste à arrêter de vendre des cigarettes au Royaume-Uni. Cela ne va pas être facile. Mais nous sommes déterminés à en faire une réalité. Il y a 7,6 millions de fumeurs adultes au Royaume-Uni. La meilleure décision qu’ils peuvent prendre est d’arrêter de fumer. Beaucoup vont y arriver. »
Mais Philip Morris a une nouvelle solution : remplacer la cigarette par son dispositif de « tabac chauffé » – le résultat, explique-t-il, de considérables investissements en recherche et développement. Dès avril 2017, l’entreprise faisait en France, « pour convaincre les fumeurs », la promotion de son « IQOS » (I Quit Ordinary Smoking) et de ses recharges de tabac. Un dispositif déjà commercialisé dans plus d’une trentaine de pays.
« Révolution en vue dans les débits de tabac français, déclarait alors Le Figaro. Obligés de ne vendre que des paquets neutres depuis janvier, les buralistes vont commercialiser dans les prochaines semaines un produit destiné… à remplacer la cigarette : IQOS, un système électronique chauffant des sticks de tabac mais sans les brûler. Son inventeur est le propriétaire de Marlboro, Philip Morris International, qui détient plus de 40 % du marché des cigarettes en France. Avec ce système, pas de fumée, pas de cendre, pas d’odeur, mais une sensation proche de celle de la cigarette. »
Selon Philip Morris, chauffer le tabac à moins de 300 °C (au lieu de le brûler à 800-900 °C comme le fait la cigarette) limite significativement, voire évite l’apparition des composants toxiques. « Nos études tendent à prouver que passer intégralement à IQOS présenterait un risque plus réduit pour la santé que de continuer à fumer des cigarettes traditionnelles », déclarait Tommaso Di Giovanni, directeur de la communication pour « les produits sans fumée ».
Conduite par le Dr Reto Auer (université de Berne) et publiée dans le JAMA,1 l’une des rares études indépendantes sur le sujet permet de douter sérieusement de ces allégations. Mêmes conclusions, il y a peu au Royaume-Uni : The Committee on Toxicity(Cot), organisme scientifique indépendant en charge de conseiller le gouvernement et les institutions sanitaires britanniques, a conclu que les produits du tabac « chauffés et non brûlés » sont nocifs pour la santé – et ce quand bien même ils pourraient apparaître (ou être vantés) comme étant moins dangereux que les cigarettes ordinaires. Les experts de ce comité estiment que ces dispositifs produisent « un certain nombre de composés préoccupants », dont certains sont cancérogènes.
Ceci n’empêche nullement Philip Morris de lancer et promouvoir un site web – smokefreefuture – visant à présenter aux fumeurs souhaitant arrêter leurs alternatives à la cigarette…
Pour l’heure, face au pragmatisme britannique, les autorités sanitaires françaises sont muettes – comme elles le demeurent depuis des années sur la cigarette électronique. Aucune évaluation scientifique indépendante n’a été menée pour vérifier les allégations de moindre toxicité. Aucune réponse officielle n’est fournie aux fumeurs qui s’interrogent sur les bénéfices et/ou les risques du « tabac chauffé ».
« Philip Morris met un genou à terre et c’est une grande victoire de la cigarette électronique. Grâce à elle et à son potentiel économique, la recherche mondiale sur les alternatives au tabac est repartie, commente Philippe Presles, médecin, tabacologue et membre du comité scientifique de SOS Addictions. À nous de bien évaluer le degré de réduction des risques d’IQOS, voire d’émettre des réserves. Nous avons le droit de réclamer des études comme les États et les journalistes nous en ont tant demandées pour la e-cigarette. »

Référence
1. Auer R, Concha-Lozano N, Jacot-Sadowski I, et al. Heat-Not-Burn Tobacco Cigarettes Smoke by Any Other Name. JAMA Intern Med 2017;177:1050-52. http://bit.ly/2D3Vlte