Vin et alcool. Qui aurait pu imaginer qu’une vieille polémique sanitaire puisse redevenir d’actualité en 2018 ? Tout a commencé avec Emmanuel Macron : à la veille du Salon international de l’agriculture, le président de la République a confié qu’il « buvait du vin ». Et qu’il en consommait « midi et soir ». « Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin, a déclaré Emmanuel Macron. Tant que je serai président, il n’y aura pas d’amendement pour durcir la loi évin. » Ces propos faisaient suite à ceux, identiques, de Christophe Castaner sur RMC-BFMTV.
Aucun hasard dans ces deux déclarations : elles suivaient les accusations formulées par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, lors d’une émission de France 2. « L’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools, avait-elle affirmé. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka, du whisky, il y a zéro différence ! On a laissé penser à la population française que le vin serait protecteur, qu’il apporterait des bienfaits que n’apporteraient pas les autres alcools. C’est faux. Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre. »
Comment ne pas voir dans les affirmations de messieurs Macron et Castaner un désaveu de la position défendue par la ministre de la Santé ? On observe, depuis, le développement d’une polémique que l’on imaginait, naïvement, dépassée. D’un côté, l’Académie du vin de France reprochant à Agnès Buzyn, dans les colonnes du Figaro, de « diaboliser le vin qui est une part de la civilisation française »1 et de « tenir des propos inacceptables et inexcusables de la part d’un haut responsable politique français ».
De l’autre côté, dans les mêmes colonnes, une tribune de spécialistes de santé publique soutient Agnès Buzyn, rappelant que « vu du foie, le vin est bien un alcool »?2
Dans le camp adverse, la chroniqueuse Natacha Polony et ses flèches contre la ministre.3« Agnès Buzyn se réclame de la ‘‘science’’, non seulement pour nier les données scientifiques sur les anti-oxydants contenus dans certains vins mais surtout pour masquer la manipulation des mots. Le vin n’est pas un alcool. Il est une boisson de table contenant de l’alcool, et pour cela à boire avec pondération et intelligence.» Et dans sa philippique contre la ministre, Madame Polony d’accuser les « blouses blanches » d’avoir « remplacé les dames patronnesses » d’autrefois, les « comptes de la Sécurité sociale » se substituant selon elle aujourd’hui à la « morale bourgeoise » d’hier.
Après les innombrables controverses sur la place du vin dans le fléau de l’alcoolisme du siècle passé, voici un cas de figure sans précédent sous la Ve : le président de la République et ses proches en opposition ouverte avec la ministre de la Santé sur un sujet majeur. Il est d’ores et déjà acquis, au grand dam des spécialistes en alcoologie, que le « détricotage » de la loi évin, voulu par Emmanuel Macron sous le précédent quinquennat, restera en l’état jusqu’en 2022. Au moins.
S’inquiéter ? « Nous allons à la fois respecter cette place particulière à laquelle nous sommes tous attachés, du vin dans la culture et dans l’agriculture française, mais nous n’allons pas faire semblant qu’il n’y aurait pas de problème de santé publique, a toutefois rassuré le Premier ministre édouard Philippe. Il y aurait quelque chose de profondément irresponsable à ne pas voir les deux faces de la même pièce. »
1. « Mme Buzyn, cessez de diaboliser le vin, qui est une part de la civilisation française ! ». Le Figaro du 21 février 2018.

2. « Vu du foie le vin est bien de l’alcool ! ». Le Figaro du 5 mars 2018.

3. Polony N. « Donnez-nous notre vin quotidien » Le Figaro du 2 mars 2018.