Un ouvrage cosigné par Olivier Saint-Jean, chef du service de gériatrie de l’HEGP (Paris), et Éric Favereau, journaliste à Libération, soulève une question essentielle : la maladie d’Alzheimer existe-t-elle ? Ce « journal à deux voix » développe notamment deux chapitres majeurs.1 D’une part, les raisons du long silence qui, au XXe siècle, suivit l’identification de cette entité ; d’autre part, les interrogations sur une classe thérapeutique dont l’efficacité et les modalités de remboursement sont aujourd’hui de plus en plus contestées. En résulte une remise en question radicale de la prévalence d’une maladie dont la physiopathologie continue, un siècle après, d’être un mystère.
« Une goutte d’eau, mais parfois une seule suffit, écrivent-ils. Car c’est seulement autour de 5 cas qu’ Alois Alzheimer (1864-1915) aura travaillé. C’est peu et à l’époque certains neurologues – dont Alzheimer lui-même, se montreront surpris de la rapidité avec laquelle ces constatations vont être apparemment acceptées par la communauté médicale, puis nommées comme une maladie distinctive. »
Pour les auteurs, il ne faut voir dans l’élaboration de ce concept pathologique qu’une construction sociale assimilant la vieillesse à une maladie, le refus obstiné d’accepter le « déclin cognitif » comme partie intégrante de notre normalité. Avec son corollaire : l’interdiction de répondre au vieillissement par des accompagnements sociaux adéquats.
« En finir avec Alzheimer ? Tout cela ne serait-il pas une simple querelle d’experts un peu trop égocentriques ? Pas vraiment si l’on se place du côté des malades. En passant de la maladie au vieillissement, tout peut changer (…) Par exemple, dire que perdre la mémoire dans le grand âge est normal nous autorise à revendiquer sans limite le maintien de notre espace de liberté en quittant l’identité du malade. »
Sortir la vieillesse d’un enfermement sans limite, entrouvrir les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, repenser l’aide à domicile, changer la logique d’assistance, donner des réponses à des situations plutôt que des places dans des institutions, offrir aux « vieux » le droit de prendre des risques auxquels une réflexion anticipée sur leur fin de vie les aurait préparés, bref leur laisser la possibilité, s’ils le souhaitent, de rester chez eux… Ce sont toutes ces ouvertures que l’on retrouve dans le dernier avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
« Nous avons décidé de faire partir notre réflexion de la question de la ‘‘concentration’’ des personnes âgées dans des établissements d’hébergement. En effet, force est de constater que l’institutionnalisation des personnes âgées dépendantes et leur concentration entre elles génèrent des situations parfois indignes, qui, réciproquement, sont source d’un sentiment d’indignité de ces personnes. Leur exclusion de fait de la société, ayant probablement trait à une dénégation collective de ce que peuvent être la vieillesse, la fin de la vie et la mort, pose de véritables problèmes éthiques, notamment en termes de respect dû aux personnes. Bien que cette institutionnalisation forcée soit revendiquée au nom de principes de bienveillance […], elle se fait souvent sous la contrainte, faute d’alternative, et se joint en outre de l’obligation pour ces personnes de payer pour un hébergement qu’elles n’ont pas voulu. »
Problèmes éthiques, certes. Mais aussi et désormais sujet politique qui voit le CCNE, parmi ses recommandations, exhorter le gouvernement à « repenser la création d’un cinquième risque de la Sécurité sociale », afin de « permettre une meilleure prévention et un meilleur accompagnement des personnes dépendantes ».
« Une goutte d’eau, mais parfois une seule suffit, écrivent-ils. Car c’est seulement autour de 5 cas qu’ Alois Alzheimer (1864-1915) aura travaillé. C’est peu et à l’époque certains neurologues – dont Alzheimer lui-même, se montreront surpris de la rapidité avec laquelle ces constatations vont être apparemment acceptées par la communauté médicale, puis nommées comme une maladie distinctive. »
Pour les auteurs, il ne faut voir dans l’élaboration de ce concept pathologique qu’une construction sociale assimilant la vieillesse à une maladie, le refus obstiné d’accepter le « déclin cognitif » comme partie intégrante de notre normalité. Avec son corollaire : l’interdiction de répondre au vieillissement par des accompagnements sociaux adéquats.
« En finir avec Alzheimer ? Tout cela ne serait-il pas une simple querelle d’experts un peu trop égocentriques ? Pas vraiment si l’on se place du côté des malades. En passant de la maladie au vieillissement, tout peut changer (…) Par exemple, dire que perdre la mémoire dans le grand âge est normal nous autorise à revendiquer sans limite le maintien de notre espace de liberté en quittant l’identité du malade. »
Sortir la vieillesse d’un enfermement sans limite, entrouvrir les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, repenser l’aide à domicile, changer la logique d’assistance, donner des réponses à des situations plutôt que des places dans des institutions, offrir aux « vieux » le droit de prendre des risques auxquels une réflexion anticipée sur leur fin de vie les aurait préparés, bref leur laisser la possibilité, s’ils le souhaitent, de rester chez eux… Ce sont toutes ces ouvertures que l’on retrouve dans le dernier avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
« Nous avons décidé de faire partir notre réflexion de la question de la ‘‘concentration’’ des personnes âgées dans des établissements d’hébergement. En effet, force est de constater que l’institutionnalisation des personnes âgées dépendantes et leur concentration entre elles génèrent des situations parfois indignes, qui, réciproquement, sont source d’un sentiment d’indignité de ces personnes. Leur exclusion de fait de la société, ayant probablement trait à une dénégation collective de ce que peuvent être la vieillesse, la fin de la vie et la mort, pose de véritables problèmes éthiques, notamment en termes de respect dû aux personnes. Bien que cette institutionnalisation forcée soit revendiquée au nom de principes de bienveillance […], elle se fait souvent sous la contrainte, faute d’alternative, et se joint en outre de l’obligation pour ces personnes de payer pour un hébergement qu’elles n’ont pas voulu. »
Problèmes éthiques, certes. Mais aussi et désormais sujet politique qui voit le CCNE, parmi ses recommandations, exhorter le gouvernement à « repenser la création d’un cinquième risque de la Sécurité sociale », afin de « permettre une meilleure prévention et un meilleur accompagnement des personnes dépendantes ».
1. Alzheimer. Le grand leurre. Paris: Michalon; 2018.
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