La maladie d’Alzheimer n’a cessé de changer de visage. Alors qu’elle avait été décrite par Alois Alzheimer comme une patho­logie rare du sujet jeune, elle est ­devenue au tournant des années 1990 une maladie du sujet très âgé, responsable de troubles cognitifs invalidants et peu spécifiques souvent considérés comme la conséquence inévitable de la « sénilité ». Mais les avancées de la recherche en ont progressivement fait une maladie biologique (v. p. 152) qui s’installe de manière insidieuse sur plusieurs dizaines d’années avec, en amont des troubles cognitifs sévères qui définissaient la démence dans sa conception historique, une longue phase de troubles cognitifs légers qui n’interfèrent pas ou peu avec l’autonomie, elle-même précédée d’une période totalement asymptomatique.

De la nécessité de biomarqueurs dans la maladie d’Alzheimer

Les études de corrélation clinique-­neuropathologie ont montré que plus de trois patients sur dix dont le diag­nostic de maladie d’Alzheimer était porté sur des critères cliniques n’avaient pas les lésions de la maladie à l’examen autopsique. Après l’échec des premiers essais de traitements modificateurs de la maladie, il est donc apparu nécessaire d’améliorer le diagnostic en ayant recours à des biomarqueurs, autrement dit des paramètres mesurables qui témoignent d’une dimension particulière de la maladie (diagnostic, pronostic, réponse au traitement…). À titre d’exemple, l’atrophie de l’hippocampe, structure clé pour la mémorisation des souvenirs qui est le siège préférentiel des lésions au début de la maladie, est recherchée par l’imagerie en pratique quotidienne comme marqueur du processus de dégénérescence neuronale chez tous les patients qui se plaignent d’une perte de mémoire.

Biomarqueurs du processus physiopathologique

L’atrophie hippocampique ne reflète toutefois que l’une des trois dimensions essentielles pour le diagnostic de la maladie (accumulation du peptide amyloïde [A], accumulation de la protéine tau dans une forme anormale [T] et neurodégénérescence [N], récemment formalisées dans les critères diagnostiques pour la recherche ATN).1 Le dosage dans le liquide cérébrospinal du peptide amyloïde et de plusieurs formes de protéine tau donne en revanche un reflet de ces trois aspects, un profil caractéristique (v. tableau) témoignant donc de manière fiable d’un processus de type Alzheimer dans le cerveau des patients. Leur dosage est aujourd’hui indiqué en pratique clinique lorsqu’il existe une incertitude diagnostique et en particulier chez les sujets jeunes, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé.2 Il est à noter qu’un important travail a été fait pour améliorer la ­tolérance de la ponction lombaire, qui est généralement très bien acceptée par les patients.3 Des ­marqueurs d’imagerie nucléaire ­(tomographie par émission de positons [TEP] amyloïde et TEP tau), non invasifs, ont également été développés, mais leur utilisation est aujourd’hui restreinte à la recherche.

Vers des biomarqueurs sanguins

La mise sur le marché dans les prochaines années d’un traitement qui modifierait l’histoire de la maladie en cas d’administration aux stades très précoces entraînerait un afflux massif de patients inquiets de leur mémoire. Un nouveau basculement dans l’approche de la maladie serait alors ­nécessaire. En effet, après être passés de l’observation fataliste des symptômes cliniques au diagnostic proactif à l’aide de biomarqueurs, nous allons entrer dans l’ère du dépistage, qui fera appel à des tests simples, moins invasifs afin d’identifier les patients à risque nécessitant un bilan approfondi. Parmi les approches à l’étude (mesure de l’épaisseur de la rétine en tomographie en cohérence optique, électroencéphalogramme quantitatif…), le dosage dans le sang de protéines spécifiques de la maladie ou non (peptide amyloïde, protéine tau, neurofilaments et autres composants du squelette des neurones, neuro­transmetteurs…) a montré des résultats prometteurs.4 Le dosage du peptide amyloïde et celui de la protéine tau sont maintenant effectués en recherche clinique, de même que le dosage des neurofilaments.5, 6 Les faibles concentrations de ces protéines dans le sang impo­sent toutefois l’utilisation d’appareils de dosage à très haute sensibilité, ce qui limite aujourd’hui la transposition des résultats à la pratique clinique. Mais il ne fait aucun doute qu’un transfert accéléré va s’opérer quand la révolution thérapeutique tant attendue sera arrivée. 
Références
1. Jack CR Jr, Bennett DA, Blennow K, et al. NIA-AA research framework: toward a biological definition of Alzheimer’s disease. Alzheimers Dement 2018;14:535-62.
2. Haute Autorité de santé. Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Recommandation de bonne pratique, HAS 2011. http://bit.ly/2GCiMt6
3. Haute Autorité de santé. Prévention et prise en charge des effets indésirables pouvant survenir après une ponction lombaire. Recommandation de bonne pratique, HAS 2019. http://bit.ly/2U7Jv8T
4. O’Bryant SE, Mielke MM, Rissman RA, et al. Blood-based biomarkers in Alzheimer disease: current state of the science and a novel collaborative paradigm for advancing from discovery to clinic. Alzheimers Dement 2017;13:45-58.
5. Hanon O, Vidal JS, Lehmann S, et al. Plasma amyloid levels within the Alzheimer's process and correlations with central biomarkers. Alzheimers Dement 2018;14:858-68.
6. Benedet AL, Ashton NJ, Pascoal TA, et al. Plasma neurofilament light associates with Alzheimer’s disease metabolic decline in amyloid-positive individuals. Alzheimers Dement (Amst) 2019;11:679-89.

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