Être médecin, c’est un métier : ça occupe nos journées et nous permet de gagner notre vie. En théorie, un métier ne déborde pas – ou pas trop – sur la vie personnelle et familiale. Pourtant, la médecine fait partie des fonctions qu’on peut être amené à exercer dans d’autres lieux et dans d’autres conditions que notre lieu de travail.
Il est certes bien loin le temps où le docteur était l’une des trois figures principales du village (avec l’instituteur et le curé), où l’on venait frapper à sa porte quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, et où personne ne l’aurait jamais appelé autrement que « Docteur », y compris en le croisant par hasard à une fête d’école ou dans les toilettes d’un restaurant.
De nos jours, en dehors du quartier dans lequel on exerce, on jouit d’un anonymat nécessaire, important et à préserver, qui nous permet d’être autre chose qu’un docteur quand on fait ses courses, du sport, qu’on dépose ses enfants à l’école ou que l’on voit des amis.
Mais les demandes médicales hors cabinet ne sont jamais bien loin, et finalement assez fréquentes, voire trop, même si elles n’émanent jamais de mauvaises intentions.
Le cas classique, heureusement peu fréquent (mais comme pour les mauvaises gardes, certains les accumulent et d’autres sont toujours épargnés) : l’appel à un médecin lors d’un voyage (avion, train...), le malaise ou toute autre urgence survenant à quelques mètres de nous dans un lieu public.
Faut-il se précipiter ? Ou faire comme si on était ingénieur (après tout, on avait hésité entre prépa et médecine !) et s’assurer de loin qu’il n’y a rien de grave ? Faut-il attendre un peu en espérant que d’autres médecins soient plus enclins à intervenir rapidement ? Mais il existe dans la loi une condamnation à la non-assistance à personne en danger, bien sûr aggravée si l’on est médecin (article 223 - 6 du Code pénal [Légifrance]) !
Dans l’immense majorité des cas, c’est plutôt bénin, et notre rôle est surtout d’évaluer et de rassurer. Mais quand il s’agit d’une vraie urgence, il n’est pas toujours confortable de manquer de moyens et parfois de compétences…
Le cas le plus fréquent, voire quasi quotidien si on n’a pas mis quelques règles en place : les demandes de la famille et des amis. Un petit certificat de danse pour la nièce, une ordonnance d’oméprazole et de fosfomycine pour la femme de ménage, des coordonnées de cardiologue pour le collègue du beau-frère… Tout ça, franchement, d’accord ! Et tant mieux si notre ordonnancier magique peut dépanner et éviter quelques consultations sans intérêt. Il faut néanmoins rester prudent, car il n’est pas toujours facile (et surtout pas toujours entendu par les proches qu’on ne sache pas tout [loin de là même]) ; et on se retrouve parfois à donner notre avis sur tout et n’importe quoi, juste pour aider (j’aime bien écouter les réponses que donne mon mari interniste quand un ami lui demande un conseil médical pour son bébé de 6 mois, qui n’a pas de vascularite, bien sûr, mais juste de la fièvre) !
J’ai quand même une petite pensée pour les dermatologues (surtout à l’heure actuelle) qui se retrouvent dans certaines soirées à regarder le dos ou la cuisse d’une personne quasi inconnue qui ne peut pas laisser passer une telle occasion de montrer son grain de beauté qui l’inquiète ! Et à la question « Tu fais quelle spécialité ? », il est parfois très tentant de répondre « Euh, médecin légiste, pourquoi ? »
Le plus compliqué, c’est quand on se retrouve – malgré nous, ou parfois complètement consentant – au cœur de la prise en charge d’un vrai problème de santé concernant un proche. Tant mieux si l’on peut aider à faire comprendre tout ce qui se passe ; tant mieux si notre réseau permet d’obtenir des rendez-vous plus rapidement ; tant mieux si on permet de faire le lien entre les médecins concernés par la situation. Mais l’équilibre et la bonne place sont difficiles à trouver. Il faut, en premier lieu, laisser les médecins effectuer leur travail sans être trop intrusif. Et surtout garder à l’esprit que nous manquons forcément de recul : à vouloir trop aider et rassurer, nous pouvons aussi être complètement à côté de la plaque quand on ne connaît pas la pathologie…
En conclusion, comme pour tout, il faut savoir dire oui, il faut aussi savoir dire non, et trouver le juste équilibre. Je n’ai pas abordé la poursuite de l’exercice lorsque l’on devient retraité (je manque d’expérience !), mais j’imagine que c’est également un vrai défi : impossible de prétendre vouloir faire comme si on n’était plus médecin, le médecin gardant d’ailleurs un droit de prescription. Mais jusqu’à quel âge est-ce raisonnable ?