Les usages de psychotropes varient en fonction de la disponibilité des produits, modes, mythes et regards sociaux mais aussi des évolutions législatives. De nouvelles molécules psychotropes sont synthétisées et apparaissent sur le marché. Les données épidémiologiques les concernant sont souvent partielles du fait de leur nouveauté. L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a mis en place des outils de surveillance qualitative (Système d’identification nationale des toxiques et des substances [SINTES]1 et Tendances récentes et nouvelles drogues [TREND]2), mais ces recueils mettent nécessairement du temps à être constitués et analysés.
Le cadre juridique de ces nouveaux usages et nouvelles addictions est parfois contradictoire : en France coexistent aujourd’hui l’interdiction pour les cathinones et les cannabinoïdes de synthèse, la libéralisation de l’usage pour les paris sportifs et les jeux d’argent et un cadre changeant pour les poppers (préparations liquides volatiles ayant pour principe actif des nitrites d’alkyles) ou le protoxyde d’azote.
Ces nouveaux usages et nouvelles addictions nécessitent d’être questionnés en médecine générale, dans une approche de prévention des risques, de soins et d’orientation vers une prise en charge addictologique spécialisée.
Cet article présente les substances et comportements dont l’usage s’accroît et qu’il est ainsi possible de rencontrer en pratique de ville. En les répertoriant par classe pharmacologique, il est possible d’en anticiper leurs effets aigus (intoxication) et les manifestations de sevrage chez les sujets dépendants – en miroir des effets aigus – mais aussi de connaître les traitements disponibles.
Nouveaux psychostimulants
Les cathinones sont des psychostimulants libérant dopamine et sérotonine.
En pratique, il s’agit d’une multitude de molécules se succédant sur le marché, avec une discordance entre le produit affiché et le produit réel.3 Leur usage et les recours aux soins addictologiques croissent en France et en Europe, notamment au sein de la population des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) avec la pratique spécifique du chemsex.3 Cette pratique augmente et est banalisée sur les applications de rencontres. On note également une augmentation du recours à leur injection.3
Leurs effets s’apparentent à ceux de la cocaïne, de l’ecstasy et des amphétamines. À la phase aiguë, ils produisent un effet stimulant, une accélération psychique et physique, une désinhibition, des idées de grandeur, parfois des symptômes psychotiques. En sevrage, les personnes dépendantes sont fatiguées, déprimées et potentiellement suicidaires.
Les principales complications observées sont l’addiction avec syndrome de sevrage, des événements neurologiques et cardiovasculaires aigus, des troubles psychiatriques et des infections bactériennes ou virales (VIH, virus de l’hépatite C).
Il n’existe pas de traitement médicamenteux validé, mais les complications peuvent être traitées. Les personnes les plus dépendantes, en particulier celles qui ont recours à l’injection, se voient proposer des programmes résidentiels de longue durée visant l’abstinence.
Dans les centres de soins addictologiques ambulatoires, des prises en charge spécifiques sont proposées aux usagers ayant recours à la pratique du chemsex.4
Nouveaux cannabinoïdes de synthèse
Les cannabinoïdes de synthèse sont des molécules qui se lient aux récepteurs cannabinoïdes, à l’instar du delta- 9 -tétrahydrocannabinol (THC) présent dans la plante.
En aigu, ils produisent une ivresse cannabique, avec distorsion des perceptions et somnolence.
Leur consommation chronique est responsable d’un syndrome amotivationnel et d’une prise de poids. Le sevrage provoque des effets non spécifiques (céphalées, troubles digestifs, irritabilité) et des troubles du sommeil à type d’insomnie avec rêves vivaces et anxiogènes.
Les complications de l’usage sont l’addiction, des risques de convulsions, d’accidents cardiovasculaires, d’épisodes psychotiques induits, d’atteintes rénales ou musculaires.5
Pour être fumés, les cannabinoïdes de synthèse, produits sous forme de poudre, sont vendus majoritairement assemblés à des herbes. La concentration en principe actif est donc très variable dans le produit consommé. Des épisodes brefs de foyers d’intoxication aiguë, parfois mortelle, sont ainsi rapportés.5 Ces principes actifs ont également été retrouvés dans des produits vendus, comme du cannabis (dont de la résine), ou contenant d’autres psychotropes illégaux,5 mais l’alerte spécifique a été levée par l’OFDT en décembre 2023.1 En France, en 2017, leur expérimentation était rapportée par 12 % des usagers de cannabis dans l’année. En population générale, 1,7 % des 18 - 64 ans en 20145 et 1,3 % en 20176 déclaraient les avoir expérimentés.6 Cette prévalence était plus élevée que celle de l’expérimentation d’autres substances dites « nouveaux produits de synthèse ». Néanmoins, à l’international, leurs effets difficiles à anticiper et à maîtriser semblent conduire à un déclin de leur usage.2,5
Il est important de mentionner également l’augmentation de la disponibilité de produits fortement dosés en THC. Il ne s’agit pas d’une molécule nouvelle, mais l’évolution agronomique des plantes-sources depuis cinquante ans et les taux importants en THC retrouvés dans les produits consommés exposent à un sur-risque de complications psychiques, somatiques et d’accidents routiers.
Prégabaline
L’usage détourné de la prégabaline s’accroît depuis la deuxième moitié des années 2010. Il s’agit d’un antiépileptique gabapentinoïde dont l’usage aigu provoque, comme pour les benzodiazépines, une ivresse avec désinhibition. Le sevrage chez les personnes dépendantes provoque une irritabilité, une insomnie et parfois des crises d’épilepsie. Son mésusage a été initialement rapporté chez des hommes en précarité socio-économique issus de pays du Maghreb.2 Une consommation initialement « autothérapeutique » est souvent rapportée par les usagers, alternativement ou associée aux benzodiazépines.2 Plus récemment, le mésusage de prégabaline s’étendrait à d’autres publics précarisés, polyusagers de substances ou travailleurs des métiers du bâtiment ou de la restauration.2 Des situations lors desquelles des médecins ont été menacés par des usagers alléguant des syndromes de sevrage pour obtenir des renouvellements d’ordonnance ont même été rapportées.
La prise en charge spécialisée addictologique et médico-psycho-sociale peut comprendre la prescription d’un agent GABAergique et une décroissance progressive, associée à la réduction des risques.2
Protoxyde d’azote
Le protoxyde d’azote, aussi nommé « gaz hilarant », est un gaz incolore consommé à visée récréative dans l’objectif de ressentir une euphorie immédiate, intense et brève. Son action pharmacologique est multiple, avec une action libératrice d’opioïdes endogènes et une action antagoniste des récepteurs NMDA qui s’apparente à celle de psychodysleptiques. Il n’est pas réputé occasionner de syndrome de sevrage ni de dépendance physique. Il est utilisé notamment en milieu festif. Une réémergence de son usage est observée depuis dix ans, chez un public jeune. En 2022, 2,3 % des jeunes de 17 ans déclaraient l’avoir expérimenté (enquête ESCAPAD) et 5,4 % des lycéens (enquête EnCLASS).7,8 Chez les 18 - 24 ans, la prévalence de l’expérimentation s’élevait à 11,7 % en 2023.9 Ce produit est légal car utilisé en médecine et dans l’industrie, mais ses conditions et lieux de vente sont réglementés.
L’épidémiologie du trouble de l’usage au protoxyde d’azote est peu documentée. Les études de cas orientent vers des facteurs de risque peu spécifiques de ce produit, tels qu’une vulnérabilité psychique et sociale chez les adolescents et jeunes adultes, qu’il est nécessaire de dépister et d’accompagner de façon non spécifique.7 Outre une accidentologie routière, sa consommation prolongée, notamment quotidienne, expose (par un mécanisme d’oxydation irréversible de la vitamine B12) à des anémies, des thromboses, des complications neurologiques et neuromusculaires graves (neuropathies périphériques, myélopathie, encéphalopathie). Celles-ci s’améliorent sur plusieurs mois, avec l’abstinence et un traitement par B12 ; des séquelles persistent chez plus d’un tiers des personnes hospitalisées.10
Poppers
Plus anciens, les poppers sont des substances vasodilatatrices contenant des nitrites d’alkyles. Leurs usages se diversifient socialement, et leur disponibilité augmente avec la vente auprès des buralistes, des établissements festifs et sur internet. L’effet recherché est une brève euphorie et une facilitation de l’érection et de la pénétration anale et vaginale. Les poppers ne sont pas réputés occasionner de dépendance physique ou de syndrome de sevrage.
La prévalence de leur usage a fluctué selon le cadre légal, avec une série d’interdictions à la fin des années 2000 et au début des années 2010, par la suite annulées par le Conseil d’État.2 Les poppers sont donc légaux en France depuis 2013. En 2023, la prévalence de leur expérimentation s’établissait à 24 % chez les 18 - 24 ans, et celle de leur usage dans l’année à 13,7 % contre 5,5 % en 2017.9 À 17 ans, leur expérimentation était rapportée par 11 % des personnes interrogées en 2022, en quatrième position après l’alcool (80,6 %), le tabac (46,5 %) et le cannabis (29,9 %).8
L’usage de poppers expose à des troubles cardiovasculaires, des hypotensions, des anémies aiguës (méthémoglobinémie) et, plus rarement, des atteintes rétiniennes. La prise en charge est non spécifique, tenant compte du contexte, notamment en cas de polyusage observé dans le chemsex.
Kétamine
Il s’agit d’un produit utilisé en anesthésie, antagoniste des récepteurs NMDA au glutamate et agoniste des récepteurs sérotoninergiques. Il n’est pas rapporté de dépendance physique ou de syndrome de sevrage. L’usage détourné de la kétamine est rapporté dans des populations de polyusagers en contexte festif ou de chemsex, à la recherche de son effet dissociatif.2,3
Il n’y a pas de chiffres de prévalence en population adulte en France. Les données d’ESCAPAD rapportent une expérimentation par 0,9 % des jeunes de 17 ans en 2022,8 moindre que celle rapportée dans d’autres pays d’Europe. Un des risques particuliers est la présence de kétamine cachée dans des produits psychostimulants vendus en milieu festif, avec des effets subis non attendus et des effets « cocktail » d’interactions entre substances.2 La prise en charge est, là aussi, non spécifique.
Nouveaux usages de la codéine et des médicaments sédatifs
Il existe quelques cas rapportés de décès par surdose d’opioïdes consommés par des jeunes en milieu festif sous forme de cocktails appelés « purple drank », associant codéine et médicaments sédatifs. Les décès peuvent survenir lors d’une première utilisation, avant que ne se développe une tolérance. Les consommations répétées peuvent produire des dépendances aux opioïdes et/ou aux benzodiazépines, qui y sont fréquemment associées.
La prise en charge combine la réduction des risques et un sevrage utilisant parfois de faibles doses de traitements de substitution chez les patients dépendants.11
Addiction comportementale en expansion : jeux d’argent et de hasard
Les jeux d’argent et de hasard sont une pratique fréquente en population générale, avec 51,6 % d’usage dans l’année en 2023 chez les 18 - 75 ans, 11,9 % de joueurs hebdomadaires et 1,6 % de joueurs quotidiens.12 En 2023, la prévalence d’usage dans l’année concernait davantage les jeux de tirage (34,2 %) et de grattage (30,9 %), devant les paris sportifs (6,7 %) et les paris hippiques (4,1 %). Depuis la loi de libéralisation des paris sportifs en ligne en 2010, il est observé une baisse des jeux de loterie et une hausse des paris sportifs. Parmi les joueurs, environ 5 % avaient un usage problématique en 2023 (4,6 % en 2014), dont 1,5 % avec un usage « excessif » (0,8 % en 2014), selon leur score à l’indice canadien du jeu excessif (ICJE) [encadré].12 Les joueurs pathologiques peuvent décrire des syndromes de sevrage à l’arrêt et des complications dépressives, avec un risque suicidaire, notamment en cas de pertes financières majeures. La prise en charge passe par des approches de psychothérapie et peut nécessiter l’auto-exclusion des sites internet.
Indice canadien du jeu excessif
L’indice canandien du jeu excessif (ICJE) comporte neuf questions portant sur les douze derniers mois, auxquelles le patient répond par une échelle de Likert (jamais = 0, parfois = 1, la plupart du temps = 2, presque toujours = 3).
- Avez-vous misé plus d’argent que vous pouviez vous permettre de perdre ?
- Avez-vous besoin de miser de plus en plus d’argent pour avoir la même excitation ?
- Avez-vous rejoué une autre journée pour récupérer l’argent que vous aviez perdu en jouant ?
- Avez-vous vendu ou emprunté quelque chose pour obtenir de l’argent pour jouer ?
- Avez-vous déjà senti que vous aviez peut-être un problème avec le jeu ?
- Le jeu vous a t-il causé des problèmes de santé, y compris du stress ou de l’angoisse ?
- Des personnes ont-elles critiqué vos habitudes de jeu ou dit que vous aviez un problème avec le jeu ?
- Vos habitudes de jeu ont-elles causé des difficultés financières, à vous ou à votre entourage ?
- Vous êtes-vous déjà senti coupable de vos habitudes de jeu ou de ce qui arrive quand vous jouez ?
Le score varie de 0 à 27 points, permettant de catégoriser les joueurs en quatre groupes distincts : « joueur sans problème » (score = 0), « joueur à faible risque » (score = 1 - 2), « joueur à risque modéré » (score = 3 - 7) et « joueur excessif » (score = 8 et plus).
Que dire à vos patients ?
Si vous souhaitez vous sevrer, des traitements médicamenteux ou des techniques de psychothérapie peuvent vous aider.
Gardez en tête que l’addiction est une maladie chronique et qu’il ne faut pas hésiter à consulter en cas de rechute.
Si vous ne visez pas l’arrêt complet, vous pouvez appliquer des principes de réduction des risques (https ://rdr-a-distance.info/) :
- ne consommez pas en grande quantité un produit que vous ne connaissez pas ;
- consommez dans des endroits et avec des personnes que vous connaissez et qui pourront vous aider en cas de surdose ;
- apprenez à porter secours en cas de surdose et à utiliser les antidotes ;
- ne conduisez pas après avoir consommé ;
- si vous procédez par injection, inhalation ou si vous sniffez, il est préférable d’utiliser du matériel propre et de ne pas le partager ;
- si vous consommez en contexte sexuel, protégez-vous des maladies sexuellement transmissibles.
2. Gerome C. Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2022. Tendances (OFDT) 2023;160.
3. Gerome C, Milhet M, Tissot N, et al. Chemsex, retour sur 15 ans d’usages de drogues en contexte sexuel. OFDT, 2024.
4. Rollet D, Therribout N, Karsinti E, et al. L’apport des thérapies comportementales cognitives pour les usagers du chemsex. SWAPS 2024:22-6.
5. Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Les cannabinoïdes de synthèse en Europe. 2017.
6. Spilka S, Richard JB, Le Nezet O, et al. Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2017. Tendances (OFDT) 2018;128.
7. Gerome C, Talva A. Les usages psychoactifs du protoxyde d’azote. Tendances (OFDT) 2022;151.
8. OFDT. Les drogues à 17 ans : analyse de l’enquête ESCAPAD 2022. Tendances 2023;155.
9. Spilka S, Le Nezet O, Janssen E, et al. Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2023. Tendances (OFDT) 2024:164.
10. De Halleux C, Juurlink DN. Diagnosis and management of toxicity associated with the recreational use of nitrous oxide. CMAJ 2023;195(32):E1075-81.
11. OFDT. Cadet-Tairou A, Milhe M. Les usages détournés de médicaments codéinés par les jeunes. Les observations récentes du dispositif TREND. Note n° 2017-03.
12. Spilka S, Le Nezet O, Janssen E, et al. La pratique des jeux d’argent et de hasard en France en 2023. OFDT, 2024.