Le serment d’Hippocrate a été rédigé au IVe siècle avant J.-C. ; il peut donc sembler étonnant que le secret médical y figure déjà en bonne place. Mes connaissances en histoire sont très frustes, mais il me semble que la société grecque d’alors et nos sociétés dites modernes n’ont pas grand-chose en commun. C’est donc le genre humain (indépendamment de son origine, de son degré d’évolution, de ses connaissances médicales) qui perçoit de façon inconsciente et subliminale que le médecin serait malveillant s’il venait à raconter les éléments portés à sa connaissance à autrui.

L’importance du secret médical me paraît plutôt bien enseignée à la faculté, et assez présente lors des stages hospitaliers. Chaque spécialité l’exerce différemment ; son respect lors des informations données aux proches, par exemple, n’est pas géré de la même façon selon la gravité de la maladie ou de la situation.

En médecine de ville, il me semble que nous l’exerçons au quotidien sans y penser – cela m’a d’ailleurs pris trois ans pour avoir l’idée de l’aborder dans cette rubrique ! – et nous avons l’impression de faire de notre mieux pour respecter la confidentialité. C’est d’ailleurs un rempart indispensable, particulièrement dans notre société de plus en plus voyeuriste, dans laquelle chacun a un avis sur tout.

En réalité, nous l’enfreignons tous les jours, certes généralement pour des raisons louables, mais les habitudes prennent souvent le pas sur le respect de cette nécessaire confidentialité.

Quand le patient vient avec un accompagnant, s’il demande explicitement qu’il assiste à la consultation : refusons-nous ? Quand la question n’est même pas posée et qu’un couple entre à deux dans le cabinet : est-il judicieux de proposer que le conjoint reste en salle d’attente ou cela peut-il être mal pris ? Encore plus difficile : quand c’est l’accompagnant qui a pris le rendez-vous car il sent la personne en souffrance, qui faut-il écouter ?

Lorsqu’on est seul avec le patient, on peut avoir l’impression de n’avoir même pas besoin de faire attention puisqu’aucune oreille ne traîne. Mais quand on suit toute la famille (ce qui fait d’ailleurs la beauté de notre métier) et que chaque conjoint vient nous faire part de difficultés au sein du couple, on détient les deux versions. Il est alors difficile de s’empêcher d’avoir un avis sur les torts de chacun, et il faut redoubler d’attention pour ne rien laisser transparaître, ne rien divulguer.

Quand une séparation survient dans une famille suivie depuis la naissance des enfants, il arrive de voir en consultation les enfants amenés par l’un, puis par l’autre parent, parfois pour quasiment le même motif… L’absence totale de communication et d’énormes conflits sont alors possibles… Et si l’on estime qu’un des deux parents est plus victime que l’autre, comment rester empathique avec celui qu’on tient pour responsable de la situation ?

Lorsqu’une personne âgée est amenée par l’un de ses enfants, il est souvent difficile de maintenir un dialogue à trois : le patient affaibli ou rencontrant des difficultés à communiquer va rapidement s’effacer… Il n’est alors même plus question de cacher quoi que ce soit au proche aidant.

De même, si l’on devient le médecin traitant d’un ami ou d’un membre de la -famille d’un proche collègue, il n’est pas toujours facile de faire comme si on n’était au courant de rien : lorsque le collègue en question est amené à parler de cette personne qui est devenue notre patient, il est compliqué de rester de marbre…

La législation a évolué depuis 2002, donnant la possibilité à chacun de déclarer une personne de confiance. C’est devenu un prérequis en cas d’hospitalisation ou d’intervention chirurgicale, mais il me semble que l’idée n’a pour le moment pas suffisamment infusé en médecine générale. Cela permettrait pourtant de mieux encadrer la communication avec les proches, dans le respect de cette valeur fondamentale de notre pratique.