Située à 6 700 km de la France hexagonale, la Guadeloupe, archipel caribéen de six îles habitées, compte environ 380 000 habitants.1 À la fois région et département français, elle connaît une transition nutritionnelle – passage d’une alimentation équilibrée à base de tubercules et de légumes vers une alimentation plus standardisée, dominée par les produits transformés –, tout en restant marquée par de fortes traditions culinaires.2 Le surpoids et l’obésité sont des enjeux majeurs de santé publique en Guadeloupe, où leurs prévalences combinées dépasse celle observée en France hexagonale : entre 2019 et 2020, 52 % des Guadeloupéens étaient concernés, contre 47 % des habitants de l’Hexagone.3,4 Cette tendance est en constante évolution, comme en témoigne la dernière enquête de la Ligue nationale contre l’obésité de 2024, qui fait état d’une augmentation de la prévalence, passée à 48,7 % dans l’Hexagone. 

Parallèlement, les femmes étaient 23 % à être en situation d’obésité en Guadeloupe, contre 17 % dans l’Hexagone. Par ailleurs, chez les femmes, la prévalence du diabète de type 2 est nettement plus élevée en Guadeloupe qu’en France hexagonale, atteignant 14 % contre 4,9 %.5,6 

Il en va de même pour l’hypertension artérielle, qui concerne 37 % des femmes guadeloupéennes, contre 25 % des femmes vivant en France hexagonale.7,8 Ces deux patho­logies, pour lesquelles le surpoids et l’obésité sont des facteurs de risque bien établis, illustrent l’ampleur des enjeux de santé dans la région.

Pour prévenir le surpoids et l’obésité, une approche adaptée est indispensable, tenant compte de l’histoire culturelle, des traditions culinaires et du ­niveau de connaissances en santé de la population guadeloupéenne.Une étude observationnelle transversale sur l’évaluation des connaissances en ­matière d’alimentation a été réalisée en Guadeloupe entre juillet et octobre 2024. Elle a permis d’inclure 370 patients en ­situation de surpoids ou d’obésité recrutés en salles d’attente de cabinets de médecine générale. Les recommandations ­proposées par la quatrième édition du ­Programme national nutrition santé (PNNS 4) [encadré] ont servi de socle à l’étude afin d’évaluer les connaissances des répondants sur l’alimentation (fig. 1 ).

Caractéristiques de la population 

La population guadeloupéenne connaît un vieillissement marqué et un niveau socio-­économique globalement faible. Plus de la moitié des répondants à ­l’enquête (60 %) étaient âgés de 51 à 74 ans, et 35 % étaient bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS). Le niveau de diplôme de la population française augmente au fil des générations, y compris en Guadeloupe. Toutefois, il existe un écart significatif entre les chiffres de l’Hexagone et ceux de la Guadeloupe : en 2020, la part de la population sans diplôme s’y élevait à 33 % (contre 24 % dans l’Hexagone) et celle de la population ayant un niveau équivalent ou supérieur au baccalauréat à 40 % (contre 52 %).9,10 

Dans notre enquête, cette proportion était équivalente (35 % de non-diplômés et 44 % avec un niveau équivalent ou supérieur au baccalauréat) ; les personnes ayant un niveau de diplôme plus faible avaient moins de connaissances en matière d’alimentation, de même que les répondants bénéficiaires de la CSS. Ces résultats suggèrent une corrélation entre le niveau socio-économique et/ou d’éducation et le niveau de connaissances en matière d’alimentation.

Habitudes et connaissances alimentaires 

Pour pouvoir agir sur les habitudes alimentaires, il est essentiel d’en connaître les aspects culturels.

Féculents

En Guadeloupe, l’offre et les habitudes alimentaires diffèrent de celles de de la France hexagonale. Outre le riz, les populations antillaises consomment régulièrement des tubercules et autres aliments locaux appelés « légumes péyi » – appellation trompeuse, car il s’agit en réalité de féculents. Parmi ceux-ci figurent la banane plantain, la banane verte (ou ti-nain), le fruit à pain, l’igname, le manioc et la patate douce.

Poisson

La consommation de poisson est deux fois et demie plus élevée en Guadeloupe qu’en France continentale. Le PNNS 4 recommande d’en manger deux fois par semaine, dont un poisson gras (90 % des répondants avaient connaissance de cette recommandation). Or, toutes les espèces les plus consommées en Guadeloupe (dorade, thon, vivaneau, thazard, espadon, loup caraïbe) ont une faible teneur en lipides, et particulièrement en oméga 3. Ainsi, il serait pertinent que les instances de santé proposent une liste de poissons gras à consommer, incluant des espèces potentiellement présentes dans les eaux caribéennes, à l’instar de ce qui est fait pour l’Hexagone.

Sucre

Les Guadeloupéens achètent davantage de sucre brut et de boissons sucrées (respectivement + 61 % et + 28 % par personne, entre 2016 et 2017) que la population de l’Hexagone. Dans notre étude, 73 % des répondants connaissaient la recommandation du PNNS 4 de limiter la consommation de produits sucrés. Pour autant, plus de la moitié d’entre eux ont déclaré consommer au moins un verre de boisson sucrée par jour. Cette consommation excessive de produits sucrés par la population guadeloupéenne est d’autant plus problématique que l’on observe une différence dans la teneur en sucre de certains produits – pourtant de marques identiques – entre la France hexagonale et la Guadeloupe. Ces faits persistent en dépit de la loi Lurel de 2013, qui vise à interdire ces écarts de composition pour un même produit. Cette surconsommation pourrait directement être à l’origine de la prévalence du diabète de type 2, qui est deux fois plus importante en Guadeloupe (14 %) qu’en France hexagonale.14 

Perception de l’équilibre alimentaire 

La Guadeloupe connaît actuellement une transition nutritionnelle, passant d’une alimentation traditionnelle équilibrée (légumes, tubercules, peu de viande et de produits transformés) à une alimentation plus globalisée, marquée par une forte consommation de produits sucrés et transformés. Les personnes âgées, plus attachées au régime traditionnel, conserveraient de meilleures habitudes alimentaires.

La perception de l’équilibre alimentaire peut être étudiée en utilisant l’assiette santé (fig. 2). Il s’agit d’un modèle visuel qui aide à structurer les repas de manière équilibrée : les légumes doivent composer 50 % de l’assiette et l’autre moitié est partagée entre les protéines (25 %) et les féculents (25 %). 

L’enquête a révélé que seuls 60 % considéraient que l’assiette idéale pour un déjeuner ou un dîner correspondait au modèle de l’assiette santé ; les derniers 40 % n’avaient donc pas la notion de ce que peut représenter une assiette équilibrée.

Bien que des outils visuels similaires soient intégrés dans les recomman­dations officielles de nombreux pays et utilisés en pratique courante en France, le PNNS 4 ne propose pas de repère visuel de ce type.

Corpulence et image corporelle 

Certains travaux de recherche retrouvent une distorsion perceptive qui varie selon l’origine ethnique des répondants : les personnes noires et hispaniques ont moins tendance à percevoir leur corps comme étant en surpoids.15,16 C’est le cas en Guadeloupe, où la perception du surpoids est influencée par des facteurs culturels et sociaux spécifiques. Notre étude le confirme : 26 % de l’échantillon se considéraient « à peu près du bon poids » ou « un peu trop maigre » alors que tous nos répondants étaient en situation de surpoids ou d’obésité. Traditionnellement, une corpulence plus généreuse est souvent associée à des connotations positives, telles que la force, la santé, la prospérité et la beauté.17 Cette perception se manifeste dès le plus jeune âge, où les nourrissons potelés sont fréquemment perçus comme étant en bonne santé et bien nourris, et où des termes à connotation péjorative tels que « Megzo », « Meg­zolet », « Flègèdè » – qui pourraient être traduits par « maigrichon » ou « squelettique » – sont utilisés pour décrire une corpulence parfois normale.

Par ailleurs, dans la littérature comme dans notre étude, les femmes se perçoivent plus souvent en surpoids que les hommes, probablement sous l’influence sociétale de normes et critères de beauté qui pèsent davantage sur elles.

Quels conseils délivrer sur l’alimentation ? 

Les conseils nutritionnels sont l’une des composantes essentielles de la prise en charge du surpoids et de l’obésité. Une méta-analyse réalisée en Europe a conclu qu’ils permettent d’améliorer les habitudes alimentaires des patients.18 Dans notre étude, 44 % des répondants déclaraient avoir déjà reçu des conseils sur l’alimentation de la part d’un professionnel de santé. Parmi eux, 29 % indiquaient que ces conseils provenaient de leur médecin généraliste, mettant en évidence le rôle non négligeable, mais encore perfectible, du médecin traitant dans l’éducation nutritionnelle. 

Les résul­tats de l’étude révèlent également une corrélation positive entre le niveau de connaissances sur l’alimentation et la proportion de personnes ayant reçu des conseils nutritionnels, suggérant que les conseils prodigués par un professionnel de santé contribuent significativement à une meilleure compréhension des principes alimentaires.

Une certaine confusion existe toutefois sur la définition du professionnel de ­santé : certains répondants considèrent les naturopathes, iridologues, coachs en nutrition ou centres d’amincissement comme tels. Il est essentiel de faire preuve de prudence, car des conseils inadaptés – notamment concernant des régimes trop restrictifs – peuvent non seulement favoriser une reprise de poids à long terme mais aussi nuire à l’estime de soi.19,20 

Ainsi, plusieurs propositions concrètes peuvent aider le médecin traitant à orienter le patient en situation de surpoids ou d’obésité :

  • intégrer régulièrement un bref échange nutritionnel lors des consul­tations de routine, en s’appuyant sur des questions simples pour évaluer les habitudes alimentaires (exemple : la consommation de fruits et légumes, la fréquence des repas pris à l’extérieur, le grignotage, etc.) ;
  • s’approprier des outils validés permettant un conseil rapide : infographie du PNNS, assiette santé (ou équivalent) ou supports élaborés localement par les réseaux de santé ;
  • orienter vers des diététiciens ou des médecins nutritionnistes formés, notamment dans les cas de surcharge pondérale associée à des comorbidités, afin d’assurer une prise en charge pluridisciplinaire ;
  • mettre en garde contre l’utilisation de conseils nutritionnels de source non médicale, et rappeler les risques associés aux régimes restrictifs sans supervision médicale ;
  • enfin, adapter le discours aux réalités culturelles et socio-économiques locales, en tenant compte des produits ­disponibles, des pratiques culinaires et du rapport à l’alimentation de chaque personne.

Encadre

Qu’est-ce que le Programme national nutrition santé ? 

  • Lancé en 2001, le Programme national nutrition santé (PNNS) a pour objectif général d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs : la nutrition.
  • Le PNNS marque une évolution notable en France : il remplace une communication des organismes de santé fondée principalement sur les références nutritionnelles pour la population (RNP ; ex-ANC [apports nutritionnels conseillés]) par des messages plus simples sur le choix à faire concernant les aliments à consommer et leur quantité, à l’instar du célèbre « 5 fruits et légumes par jour ».
  • Le PNNS est régulièrement mis à jour, selon l’actualisation des données de la littérature scientifique. Le dernier en date est le PNNS 4 (2019) ; une cinquième version est attendue en 2025 (PNNS 2025 - 2030).
  • Cette initiative est efficace : des études françaises ont notamment permis de faire le lien entre l’adhésion aux recommandations du PNNS 4 et le maintien du poids corporel, la diminution du risque de survenue du diabète de type 2 et du syndrome métabolique.11 - 13
Références
1. Insee. Estimations de population - ­Ensemble - Guadeloupe. 2024.
2. Colombet Z. Comportements alimentaires des adultes et des enfants résidant dans les Antilles françaises : déterminants. Thèse de sciences. 2020.
3. Drees-Insee, Enquête Santé Dom, EHIS, 2019. https://bit.ly/4lpxLsA
4. Fontbonne A, Currie A, Tounian P, et al. Prevalence of Overweight and Obesity in France: The 2020 Obepi-Roche Study by the “Ligue Contre l’Obésité”. JCM 2023;12(3):925.
5. Observatoire régional de la santé de Guadeloupe (ORSAG). Le diabète en Guadeloupe en 2013. Kannari : santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles.
6. Inserm. ObÉpi. Enquête épidémio­logique nationale sur le surpoids et l’obésité. 2012.
7. Atallah A, Kelly-Irving M, Inamo J, et al. L’hypertension artérielle en Guadeloupe : des différences selon le sexe. 28es Journées d’HTA, 2008.
8. Santé publique France. L’hypertension artérielle en France : prévalence, traitement et contrôle en 2015 et évolutions depuis 2006.
9. Insee. Diplômes - Formation en 2020 - Région de la Guadeloupe. 2023.
10. Centre d’observation de la société. Données générales. 2024. https://bit.ly/4iyIsqR
11. Chaltiel D, Julia C, Adjibade M, et al. Adherence to the 2017 French dietary guidelines and adult weight gain: A cohort study. PLoS Med 2019;16(12):e1003007.
12. Kesse-Guyot E, Fezeu L, Galan P, Hercberg S, et al. Adherence to French Nutritional Guidelines Is Associated with Lower Risk of Metabolic Syndrome. J Nutr2011;141(6):1134-9.
13. Kesse-Guyot E, Chaltiel D, Fezeu LK, et al. Association between adherence to the French dietary guidelines and the risk of type 2 diabetes. Nutr 2021;84:111107.
14. Santé publique France. Diabète en outre-mer : comprendre les spécificités locales pour cibler les actions, n° 20-1. Novembre 2023.
15. Langelier BA, Glik D, Ortega AN, et al. Trends in racial/ethnic disparities in overweight self-perception among US adults, 1988-1994 and 1999-2008. Public Health Nutr 2015;18(12):2115-25.
16. Gruszka W, Owczarek AJ, Glinianowicz M, et al. Perception of body size and body dissatisfaction in adults. Sci Rep 2022;12(1):1159.
17. Carrere P, Moueza N, Cornelie V, et al. Perceptions of overweight in a Caribbean population: the role of health professionals. Fam Pract 2016;33(6):633-8.
18. Maderuelo-Fernandez JA, Recio-Rodríguez JI, Patino-Alonso MC, et al. Effectiveness of interventions applicable to primary health care settings to promote Mediterranean diet or healthy eating adherence in adults: A systematic review. Prev Med 2015:76 Suppl:S39-55.
19. Pietiläinen KH, Saarni SE, Kaprio J, et al. Does dieting make you fat? A twin study. Int J Obes 2012;36(3):456‑64.
20. National Task Force on the Prevention and Treatment of Obesity. Dieting and the development of eating disorders in overweight and obese adults. Arch Intern Med 2000;160(17): 2581-9.

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essentiel

La prévalence du surpoids et de l’obésité en Guadeloupe est supérieure à celle de l’Hexagone. Les femmes sont davantage concernées.

Le niveau socio-économique plus faible de la Guadeloupe se reflète dans les connaissances nutritionnelles.

Il existe en Guadeloupe une confusion entre légumes et féculents et une surconsommation de produits sucrés, d’ailleurs plus sucrés que dans l’Hexagone.

Le rôle de conseil du médecin généraliste en matière d’alimentation est non négligeable. Le PNNS et l’assiette santé sont des outils efficaces pour transmettre des messages et augmenter les connaissances et l’adhésion des répondants, tout en tenant compte des spécificités culturelles.