L’allaitement maternel est un véritable sujet de santé publique. Sa réussite ne repose pas sur des gestes techniques, théoriques et applicables à tous. Au contraire, c’est une pratique qui doit être ajustée et individualisée en fonction du bébé, de la mère, de la santé de chacun, de l’environnement, des ressources émotionnelles et affectives de la famille.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois et sa poursuite avec une alimentation complémentaire appropriée jusqu’à l’âge de 2 ans au minimum.
Le lait maternel est l’alimentation idéale du nourrisson tant par la protection immunitaire qu’il apporte que par l’évolution de sa composition – en fonction de la journée, de l’environnement et de l’âge de l’enfant – qui a un effet bénéfique sur le développement intellectuel et cognitif.
En France, environ 69,7 % des mères allaitent, partiellement ou exclusivement, à la maternité. Ce taux chute à 54,2 % à deux mois.1
Pour beaucoup de mères, l’allaitement est vécu comme un véritable parcours jonché d’obstacles qui commence dès la maternité. Avec les sorties précoces de maternité, les femmes peuvent se sentir seules à leur domicile à gérer, par exemple, un engorgement.
Lors de la consultation d’allaitement, de nombreuses mères font part de leur perte de confiance en elles, mêlée à des sentiments d’incompétence et de culpabilité. Les motifs de consultation sont très variés : de l’aspect purement technique à celui d’un suivi au long cours.
Motifs des consultations de conseils en lactation
Les femmes demandant des conseils en lactation sont de toutes conditions socio-économiques, majoritairement primipares, ou multipares ayant mal vécu ou échoué dans leur(s) allaitement(s) antérieur(s).
La cause de ces « échecs » est multifactorielle ; ils peuvent être liés à :
- des conseils, injonctions et discours nombreux et contradictoires prodigués par tous les professionnels rencontrés ;
- un manque de soutien de l’entourage familial et/ou amical ;
- l’omniprésence des lobbies industriels des laits infantiles2 dans la période de la petite enfance, et ce dès la maternité ;
- la fatigue et l’isolement des jeunes mères au domicile ;
- un découragement maternel…
La durée d’une consultation d’allaitement peut aller de soixante à cent vingt minutes pour une première rencontre, ce qui demande une grande disponibilité. La santé du bébé reste au centre des préoccupations, avec un regard tout particulier sur son état général (tonus, coloration, réactivité…). L’accompagnement est ajusté à chaque contexte familial.
Le pèrepeut être présent ou non ; il a toute sa place dans la réussite de l’allaitement, grâce à son soutien et sa présence auprès de la dyade mère-enfant.
Première consultation
Recueil des éléments médicaux anté- et post-nataux
Toute consultation d’allaitement commence par un recueil de données sur la période anténatale :
- antécédents médicaux de la mère, notamment prise d’un traitement éventuel, diabète, obésité, dysthtyroïdie, pathologie psychiatrique… ;
- développement des glandes mammaires pendant la grossesse (taille de bonnets prise, à quel moment, présence ou non d’un écoulement de colostrum, sensibilité mammaire…).3
La période post-natale a également son importance, notamment en ce qui concerne le type d’accouchement, le terme de naissance, les éventuelles complications concernant la santé de la mère ou du bébé et des traitements mis en place, l’heure de la première mise au sein, la survenue de la montée de lait et les signes associés (engorgement, œdème, douleur…).
En résumé, il s’agit d’identifier des élémentsqui pourraient perturber la mise en place d’un allaitement réussi.
Besoin des mères : comprendre comment fonctionnent leur corps et leur bébé
Les mères ont besoin de comprendre comment fonctionnent leur corps et la succion de leur bébé. Selon la situation, différents outils peuvent être utilisés comme support pour informer : coupes, schémas anatomiques d’un sein lactant et non lactant ; séquences vidéo montrant la langue du bébé positionnée en gouttière sous le mamelon, l’étirement du mamelon jusqu’à la jonction entre le palais mou et le palais dur du bébé, observation de la déglutition.
Des explications simples doivent être apportées sur le processus et les mécanismes de la lactation, sur le rôle des principales hormones concernées, sur l’importance de réaliser des drainages fréquents et efficaces du sein pour stimuler la production lactée (équilibre entre offre et demande).
L’objectif n’est pas de donner un cours magistral mais bien que la femme puisse interpréter et appréhender les modifications qui s’opèrent en elle, observer son bébé afin de reconnaître une tétée efficace, être plus sereine lors des mises au sein, même s’il persiste quelques difficultés.
Questions des mères
Les questions colligées ici sont celles les plus fréquemment posées par les mères.
« Mon bébé de 15 jours prend des compléments que j’ai commencés à la maternité. J’aimerais passer à un allaitement exclusif »
Tout d’abord, différentes données doivent être recueillies :
- rapport de la ration lait maternel/préparations pour nourrisson sur vingt-quatre heures ;
- rythme des tétées (durée, sur un sein ou les deux – la production lactée pouvant être différente d’un sein à l’autre –, attitude du bébé au moment de prendre le sein, fréquence des tétées diurnes et nocturnes).
Par ailleurs, une mise au sein est toujours proposée afin d’observer :
- l’ouverture de la bouche ;
- l’asymétrie de la bouche sur le sein ;
- la position des lèvres (inférieure : ourlée ; supérieure : neutre) [fig. 1] ;
- la qualité de la succion ;
- l’efficacité du transfert de lait (déglutition audible et/ou visible).
La mère est incitée à observer son bébé et à identifier les marqueurs en faveur d’une tétée efficace.
Il est important d’insister aussi sur les bienfaits de l’autopalpation afin que la mère puisse évaluer la densité et la plénitude de ses seins avant la tétée.
En cas de ralentissement de la succion ou de pauses du bébé, la mère doit effectuer des compressions mammaires afin d’aider au transfert de lait ; la souplessedu sein en fin de tétée est le signe d’un drainage efficace.
Les compressions mammaires sont préconisées pour augmenter la production lactée dès la maternité, lorsque le bébé s’endort rapidement au sein.
La surveillance pondérale du bébé est l’un des indicateurs sur lequel s’appuyer pour orienter les conseils. La prise de poids est une source de gratification et de réassurance pour la mère. A contrario, la stagnation ou la perte de poids peut être à l’origine d’un véritable stress et d’une dévalorisation maternelle qu’il s’agit d’accompagner.
Un suivi est mis en place pour réévaluer la prise pondérale et réadapter les conseils.
« J’ai très mal aux mamelons pendant la tétée, c’est insupportable, je ne vais pas tenir »
Face à ce constat, la mère est interrogée sur les conditions dans lesquelles survient la douleur (en début de tétée, pendant, après ?), sur sa localisation, sur son caractère uni- ou bilatéral.
Comparer les deux seins de la mère permet d’évaluer :
- la présence d’éventuelles lésions à type de crevasses et leur localisation (souvent indicateurs de la cause) ;
- la position du bébé lors des tétées (en madone inversée [fig. 2], en madone [fig. 3], en ballon de rugby [fig. 4], en biological nurturing [fig. 5]) ;4
- l’anatomie des seins et la forme des mamelons ;
- la décoloration du(ou des) mamelon(s) et/ou la desquamation pouvant évoquer une mycose.
En présence de crevasses au niveau des mamelons, de nombreux produits et autres « remèdes » sont disponibles sans prescription médicale pour soulager les mères et favoriser la cicatrisation – leur efficacité reste à l’appréciation de chaque mère :
- compresses de lait maternel (à renouveler très fréquemment pour éviter toute macération et prolifération de germes) ;
- patchs hydrogel ;
- lanoline (à base de sécrétions des glandes sébacées de mouton) ;
- miel traité et stérilisé ;
- coupelles d'allaitement (nacre ou argent) ;
- eau de menthe poivrée ;
- huile de coco vierge.
Dans certains cas, le port de « bouts de seins » en silicone pendant la tétée est proposé afin de soulager les mamelons douloureux, en cas de mamelons ombiliqués, plats ou invaginés, pour aider le nouveau-né qui a été nourri au biberon et n’arrive plus à prendre le mamelon, pour certaines pathologies du nourrisson (frein de langue restrictif buccal, fente labiopalatine…) ou pour atténuer un réflexe d’éjection fort. Cependant, l’utilisation de ces « écrans de silicone » doit être prudente, car elle peut avoir des conséquences néfastes, notamment en diminuant la production d’ocytocine et donc en provoquant la baisse de la lactation. Le sevrage de ces bouts de seins peut être par ailleurs difficile.
« J’ai un engorgement : que faire ? est-ce grave ? »
La figure 6 propose l’algorithme de prise en charge d’un engorgement.
« Selon mon entourage, mon enfant âgé de 5 semaines prendrait trop de poids : faut-il le faire patienter entre chaque tétée ? »
L’OMS met à disposition des courbes de poids de nouveau-nés allaités (fille et garçon).5 Elles sont différentes de celles établies dans le carnet de santé (enfants nourris au lait artificiel).
Il n’est pas recommandé de limiter le nombre de tétées ni d’en restreindre le temps, au risque de voir diminuer la lactation ; il faut proposer des tétées à la demande. Cela permet de maintenir la production lactée. Le nourrisson a un fort besoin de succion : certaines tétées sont donc nutritives et d’autres moins.
« Mon bébé s’endort au bout de quelques minutes de tétée : faut-il le réveiller ? »
Les compressions mammaires sont indiquées et permettent un drainage efficace du sein et le transfert du lait sans effort de la part du nouveau-né. Celui-ci peut manger tout en dormant ; il n’y a pas de risque d’étouffement puisqu’il déglutit dès que le lait arrive dans la bouche.
Afin de s’assurer de l’efficacité, la mère peut autopalper ses seins avant et après chaque tétée. La courbe pondérale de l’enfant est également un bon indicateur de l’efficacité des tétées.
« Lors d’une tétée, dois-je favoriser un sein ou proposer les deux ? »
Il n’y a pas de règle générale, cela dépend de la capacité de stockage mammaire propre à chaque femme. Il existe une asymétrie physiologique de la production de lait entre les seins. Il convient de prendre en compte la prise pondérale de l’enfant et de sa faim.
Néanmoins, il faut privilégier les deux seins si la prise pondérale est insuffisante.
Par ailleurs, dès que la mère en ressent le besoin (sensation de plénitude du sein, engorgement), il ne faut pas hésiter à proposer le/les seins à l’enfant.
« On me dit que mon lait n’est pas assez riche et qu’il faut utiliser des compléments »
Le lait de mère est l’aliment le plus adapté au nourrisson du fait de sa nature et de sa composition. Celle-ci évolue en fonction de l’environnement, de l’âge du bébé et du moment de la tétée sur le nycthémère. Mature, le lait se compose de 87,5 % d’eau, de 6,5 à 7 % de glucides, de 4 % de lipides et de 0,9 % de protéines.
« À partir de quand puis-je tirer mon lait ? »
Il n’y a pas de règle générale. En cas de séparation subie (hospitalisation, reprise du travail...), la mère peut tirer son lait afin de lancer ou maintenir la lactation au même rythme que le nouveau-né est censé se nourrir.
L’utilisation du tire-lait peut aussi être proposée à la mère :
- pour lancer et calibrer sa lactation en cas de difficultés lors de la mise en place de la production ;
- en cas de douleur lors des tétées ne permettant pas la pratique de l’allaitement en direct ;
- dans des situations pathologiques ne permettant pas à l’enfant de se nourrir directement au sein (fente labiopalatine, par exemple).
Les compléments de préparations pour nourrisson ne sont proposés qu’en cas d’insuffisance de production lactée, après l’échec des différentes techniques pour calibrer la production aux besoins du nouveau-né au long cours.
« Je reprends le travail, dois-je sevrer mon enfant ? »
Il est possible de continuer à allaiter malgré la reprise du travail. D’après la législation du travail, la mère est autorisée à tirer son lait en journée (une heure par jour, dans des locaux dédiés). Ces différents moments permettent d’éviter l’engorgement, maintenir la lactation et stocker du lait pour l’enfant durant la séparation – à condition que les normes d’hygiène et de conservation du lait soient optimales.
Généralement, les mères donnent le sein au moment de la séparation et lors des retrouvailles avec leur bébé et poursuivent un allaitement complet la nuit et le week-end.
« J’ai de la fièvre et des frissons. Que dois-je faire ? »
En premier lieu, il convient d’identifier la cause de cet état fébrile : interrogatoire, examen clinique, recherche d’un lien avec l’allaitement (observation du sein, présence d’un engorgement, d’une rougeur, uni-/bilatéral, dernière tétée…). Une fois la cause trouvée, et en cas de thérapeutiques contre-indiquant l’allaitement, la mère peut continuer de tirer son lait (sans le proposer à l’enfant) pour maintenir la lactation jusqu’à la fin du traitement. La fièvre en elle-même n’est pas une contre-indication à l’allaitement maternel.
« Confusion sein/tétine, de quoi s’agit-il ? »
Il existe trois types de succion : celle du sein, celle du biberon et celle de la tétine. Selon « l’objet » tété, l’ouverture de la bouche et le positionnement de la langue sont différents ; il s’agit pour le nourrisson d’apprendre à distinguer ces trois types de succion en fonction de la matière (silicone ou caoutchouc versus sein) mais aussi du débit (préférence pour « l’objet » qui répond le plus rapidement à ses besoins).
Selon l’âge de l’enfant au moment de l’introduction du biberon, les réactions diffèrent : certains bébés se désintéressent très rapidement du sein ou, à l’inverse, refusent le biberon lors de la séparation. Dans ce dernier cas, d’autres contenants peuvent être proposés : tasse à bec, verre 360°, biberon-cuillère...
« Quelles sont les principales contre-indications à l’allaitement maternel ? »
Certaines pathologies contre-indiquent l’allaitement, comme la mastite tuberculeuse ou l’herpès sur mamelon.
Les mères carencées suivant un régime restrictif (végétalisme, etc.) sont également concernées.
Enfin, il existe d’autres contre-indications qui restent exceptionnelles et sont affaire de spécialistes (maladies métaboliques, notamment).
Ressources
Pour connaître la compatibilité d’un médicament avec l’allaitement, il est possible de se référer à deux sites internet fiables : https ://www.e-lactancia.org et https ://www.le-crat.fr
Lors de consultations médicales, les médecins peuvent orienter les femmes allaitantes ayant de nombreuses questions vers des « spécialistes de l’allaitement » : IBCLC (International Board Certified Lactation Consultants) ou DU LHAM (diplôme universitaire lactation humaine et allaitement maternel).
Ces professionnels pratiquent en centres de PMI, en cabinets de ville ou en cabinets pluridisciplinaires. En France, ils sont référencés sur le site de l’Association française des consultants en lactation (AFCL).7
Certaines femmes trouvent du soutien dans des groupes de mères qui les aident à reprendre confiance en leurs compétences maternelles. Attention, toutefois, aux réseaux sociaux, à la désinformation de certains sites et au risque de comparaison face à une situation précise alors que chaque dyade est unique.
2. Code international de la commercialisation des substituts du lait maternel, loi du 21 mai 1981.
3. Beaudry M, Chiasson S, Lauzière J. Biologie de l’allaitement : le sein, le lait, le geste. Presses de l’université du Québec, 2011.
4. Colson S. Biological Nurturing ou allaitement instinctif. Ed. Ressources primordiales, 2021.
5. Courbes pondérales de l’OMS des nouveau-nés allaités. https://bit.ly/3uyEbQm et https://bit.ly/3SCvexG
6. Allaitement et médicaments : https://www.e-lactancia.org et https://www.le-crat.fr
7. Association française des consultants en lactation en France https://www.consultants-lactation.org/