Bien que rare, le risque de développer une allergie alimentaire après une transplantation d’organe provenant d’un donneur allergique existe. Quels sont les mécanismes sous-jacents ? Quelles mesures de prévention ? Faisons le point.

Allergies alimentaires augmentées en post-greffe chez l’enfant

La prévalence des allergies alimentaires dans la population pédiatrique est estimée entre 4 et 8 %. Elle atteint jusqu’à 38 % des enfants ayant bénéficié d’une transplantation hépatique. L’apparition de l’allergie alimentaire se fait en général dans l’année qui suit la greffe ; ce délai peut s’allonger jusqu’à 3 ans et demi plus tard. Le terrain atopique chez le receveur ne semble pas être un facteur prédisposant à développer une allergie alimentaire dans ce délai.

Ce phénomène est également marquant pour les greffes de moelle osseuse d’un donneur allergique vers un receveur sans antécédents. Selon le professeur Jean-Louis Touraine, président de l’association France Transplant : « les transmissions durables d’allergies par greffe sont surtout le fait des greffes de moelle osseuse  ».

Les aliments les plus souvent incriminés sont le lait, les œufs, les poissons, les fruits à coque, le blé, les crustacés.

Dans 69 % des cas, on observe une disparition progressive de l’allergie avec la croissance de l’enfant. Seul le test de provocation orale (TPO) négatif permet de confirmer la guérison.

Quels mécanismes ?

L’un des premiers cas d’allergies alimentaires post-transplantation a été décrit en 1990. Depuis, plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer ce phénomène. Initialement un possible transfert passif d’IgE spécifiques par le greffon a été évoqué ; cependant, la courte durée de vie des anticorps IgE (quelques jours) ne peut pas expliquer le délai d’apparition des symptômes d’allergie alimentaire chez le receveur (plusieurs mois).

Depuis quelques années, d’autres pistes se dégagent :

  • un déséquilibre de la balance immunitaire Th1/Th2 ;
  • une perturbation des lymphocytes Treg ;
  • la participation de l’immunosuppresseur tacrolimus induisant un déséquilibre de la balance immunitaire vers la voie Th2, avec augmentation de fabrication IgE spécifiques et diminution des interleukine 5 et 10 ;
  • l’immaturité du microbiote intestinal avant l’âge de 3 ans et la présence d’une dysbiose intestinale (en raison de la pathologie initiale) favorisent l’apparition d’allergie alimentaire IgE-médiée chez l’enfant.

Allergies après transplantation chez l’adulte

Le risque d’apparition d’allergie alimentaire (urticaire, angiœdème, anaphylaxie) en post-transplantation serait moins fréquent chez l’adulte. Cependant, on peut évoquer le cas de cette femme de 62 ans, indemne avant la greffe hépatique de tout antécédent allergique (négativité des IgE spécifiques anti-Ara h1, Ara h2, Ara h3 sur sérum conservé pendant 6 mois avant l’intervention). Ces dosages se sont modifiés dès le lendemain de la greffe, avec une positivité des IgE anti-Ara h3. Trois semaines plus tard, ce sont les 3 IgE spécifiques qui se sont révélés positifs. Ces taux ont ensuite diminué pour disparaître après 6 mois. Un TPO négatif a permis d’autoriser à nouveau la consommation de cacahuètes.

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L’avis de l’Agence de biomédecine

Le docteur Martial Ouendo, anesthésiste-réanimateur responsable de la coordination du prélèvement d’organes et de tissus au CHU Amiens, rappelle qu’« une allergie alimentaire chez un donneur n’est pas une contre-indication au prélèvement d’organe selon les références de l’Agence de biomédecine. Selon ces règles de bonnes pratiques, la coordination est tenue de bien renseigner la nature des allergies dans la constitution du dossier du donneur et ce n’est pas toujours chose facile. Pour cela, on prend contact avec les proches et tous les acteurs de santé en mesure de nous renseigner : médecin généraliste, infirmier à domicile, dossier médical fourni par les hôpitaux où le patient a séjourné… ».

Des recommandations ?

Cependant, à l’heure actuelle, les données de la littérature semblent encore trop peu nombreuses pour pouvoir élaborer des recommandations. De nouvelles études sont nécessaires pour d’envisager une attitude préventive, surtout dans la population pédiatrique.

La modification du traitement immunosuppresseur tacrolimus, au bénéfice de la cyclosporine, permet dans certains cas la disparition de l’allergie alimentaire.

La réalisation de TPO en post-greffe et à distance de la réaction allergique permet d’infirmer ou de confirmer la guérison.

En cas d’apparition d’une allergie alimentaire en post-transplantation, surtout chez un enfant, le bilan allergologique (dosage d’IgE spécifiques, tests cutanés, TPO) est impératif.

De nouvelles voies de recherche telles que l’utilisation de prébiotiques et probiotiques, ou même d’une greffe fécale agissant sur le microbiote intestinal, sont à l’étude.

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Agence de biomédecine.
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