Riche en protéines, le soja est de plus en plus présent dans l’alimentation, sous forme naturelle (fermentée ou non) mais aussi dans une multitude de produits industriels (desserts, crèmes, nuggets…), voire dans de médicaments et préparations infantiles sous forme de lécithine de soja. Le risque de réactions allergiques est réel, avec parfois des tableaux atypiques. Que faut-il savoir ?

Le soja dans l’alimentation

Le soja est une source inépuisable de protéines dont le taux varie en fonction du conditionnement. Au-delà de la consommation sous forme naturelle, l’industrie agro-alimentaire l’inclut de plus en plus dans différentes préparations : boulettes de viande, nuggets, préparations véganes, jambon sous vide, biscuits apéritifs, desserts industriels, chocolat, pâte à tartiner, mais aussi dans les boissons diététiques ou crèmes à base de soja (tableau).

Allergies au soja non fermenté

IgE-médiée

De l’ordre des fabales, le soja (Glycine max) fait partie des 14 allergènes à déclaration obligatoire. Il est souvent confondu à tort avec les pousses de haricots mungos, qui ne sont que rarement à l’origine d’allergie alimentaire.

Cette légumineuse provoque de manifestations cliniques variées IgE-médiées pouvant aller jusqu’à l’anaphylaxie dans les quelques minutes à deux heures après ingestion. Le SAPA (syndrome allergie pollens-aliment) se caractérise par des symptômes en zone orale et périorale, mais un risque anaphylactique existe dans ce contexte lors de la consommation de jus de soja (assimilation digestive plus rapide que dans les préparations culinaires).

Si les allergies alimentaires sont les plus fréquentes, avec une prévalence de 1 % en Europe, les allergies respiratoires (crises d’asthme par inhalation) sont également à signaler dans un contexte professionnel. Rappelons qu’une vingtaine de décès sont survenus dans le port de Barcelone entre 1981 et 1987 après déchargement de soja dans des silos avec des filtres défaillants. Les secteurs professionnels les plus touchés sont les boulangers (la farine de soja est utilisée pour les propriétés émulsifiantes de la lécithine), les producteurs d’aliment pour le bétail et les agriculteurs. Cette pathologie est catégorisée dans le tableau n° 66 du régime général et le tableau n°45 dans le régime agricole.

Actuellement, 8 allergènes sont identifiés dans la nomenclature internationale. Sept ont un intérêt majeur (encadré).

Comme pour toute allergie IgE-médiée, le diagnostic repose sur la positivité des tests cutanés corrélée à l’histoire clinique (chronologie, symptomatologie). Les prick-tests sont effectués avec l’aliment natif (farine ou jus de soja, tofu). Le dosage des IgE spécifiques vient compléter le bilan, avec les mêmes conditions d’interprétation (corrélation clinique) :

  • IgE spécifique anti-soja : (f14)
  • IgE anti rGly m4 (f353)
  • IgE spécifiques anti nGly m5 (f431)
  • IgE spécifique anti nGly m6 (f432)

Le test de provocation orale est parfois nécessaire, surtout en cas de multi-allergies alimentaires. L’éviction du soja est de rigueur. Pour l’instant, l’immunothérapie orale n’est pas développée.

Allergies non IgE-médiées

Des observations de syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires(SEIPA) et d’œsophagite a éosinophiles sont publiées. Les données varient selon les pays en fonction de différents facteurs (habitudes culinaires, etc.). Au Japon, le soja est placé en troisième position après l’œuf et le blé comme cause de SEIPA, même chez le nourrisson à partir de 7 mois.

Des cas de dermite de contact aux cosmétiques contenant du soja (diagnostic par patch) sont aussi décrites.

Réactions au soja fermenté

La sauce soja (Shoyu) traditionnelle est obtenue après différentes étapes de fermentation : initialement, le soja est humidifié et cuit à la vapeur et le blé rôti ente 160 et 180 °C puis écrasé. Le tout est ensuite mixé puis exposé pendant deux à trois jours à 30 °C à des moisissures (Aspergillus orizae) pour obtenir le koji. Celui-ci est mélangé avec du sel et de l’eau pour donner le moromi, qui rentre en fermentation pendant 6 mois. D’autres phases de transformation font intervenir un lactobacille (Tetragenococcus halophitus) et des levures (Zygosaccharomyces rouxii, Candida versatilis, Candida ethell) pour obtenir, après pasteurisation et raffinage, le produit fini.

Les cas publiés d’éventuelles allergies alimentaires à la sauce soja sont extrêmement rares. D’après une petite cohorte de 2017, les différentes étapes de la fabrication permettraient la dégradation des allergènes des produits de base (soja et blé) les rendant indétectables.

Cas particulier du natto

C’est un plat traditionnel japonais confectionné à base de haricots de soja cuits durant 12 à 24 h puis fermentés sous l’action du Bacillus subtilis Il se présente sous la forme de graines de soja entourées d’un mucilage gluant. Les patients réagissent à l’un des deux allergènes contenus dans le mucilage du natto – PGA et nattokinase – mais pas au soja. Le mécanisme est IgE-médié, mais avec des particularités. La première observation, publiée au Japon par Naoko Inomata en 2004, relate, chez un trentenaire sportif, l’apparition d’une anaphylaxie sévère 10 h après avoir ingéré ce soja fermenté. L’allergène incriminé s’est révélé être l’acide gamma-polyglutamique (γ-PGA), inoculé à l’humain par les nématocytes des tentacules de méduses. La sensibilisation initiale par la piqûre de ces céphalopodes ou d’anémones a été donc incriminée (avec une prévalence accrue chez les surfeurs). Cependant, d’autres sources émergent car, en raison de son caractère hydrosoluble, le PGA est employé dans de nombreuses préparations : produits de contraste (radiologie), cosmétiques (en qualité d’hydratant ou d’exfoliant) ; dans l’industrie alimentaire, il est utilisé comme régulateur de l’acidité ou peut être contenu, en petite quantité, dans des pâtes ou soupes chinoises. Une autre source plus exotique est la consommation de salade de méduses (en Asie et Australie).

Le délai d’apparition des symptômes, souvent sévères (anaphylaxie), est bien plus long (entre 10 et 12 heures) que celui observé habituellement (quelques minutes à 2 h) après contact.

En 2023, un nouvel allergène a été identifié dans la substance gluante : Bac s1 (ou nattokinase), une sérine protéase de la famille de la subtilisine. Le bilan allergologique (prick-tests) montre : test au natto positif, test au soja négatif, test au mucilage positif, test au PGA négatif et test nattokinase positif.

La nattokinase est aussi retrouvée comme complément alimentaire en naturopathie et dans des produits lessiviels. Une hypothèse évoque la possible sensibilisation initiale par contact de la substance gluante du natto avec des lèvres fragilisées par l’eczéma atopique.

Lécithine de soja : aussi dans les médicaments et les préparations infantiles

Ce mélange de lipides naturels composé à plus de 50 % de phospholipides est utilisé comme agent émulsifiant et stabilisant dans différents domaines : agro-alimentaire, cosmétique, médicamenteux. C’est un extrait hautement transformé de l’huile de soja et les protéines de soja y sont absentes ou présentes en très faible quantité. En cas d’allergie au soja, peut-on utiliser des produits en contenant, et notamment de médicaments ?

En pratique :

  • La contre-indication formelle à la prise d’isotrétinoïne contenant de la lécithine de soja est conditionnée par le résultat des prick-test et test de provocation en milieu hospitalier.
  • l’utilisation du propofol (contenant de la lécithine de soja) n’augmente pas de manière significative le risque de réactions allergiques.

Attention à certaines préparations infantiles. Un article du JACI de 2006 relate des réactions allergiques sévères liées à cet ingrédient chez des bébés APLV, nourris avec Néocate, confirmant le risque d'allergie aux traces de ces protéines végétales. D’autres préparations infantiles à base d’acides aminés comme Puramino ou des hydrolysats de protéines de riz (Modilac riz) contiennent également de la lécithine de soja. En cas d’allergie au soja, mieux vaut s’orienter vers des préparations infantiles n’en comportant pas (Novalac riz, par exemple).

Encadre

Soja : quels allergènes ?

Gly m1 et Gly m2 représentent 70 % de la coque de soja et sont plutôt responsables d’asthme professionnel par inhalation.

Les allergies croisées avec pollens de bouleau :

  • Gly m3 est une profiline détruite par la cuisson et la digestion pouvant croiser avec Bet v2 du pollen de bouleau ;
  • Gly m4 est un allergène de la famille des PR10. Il explique les réactions croisées avec Bet v1 du pollen de bouleau et les PR10 des rosacées, des amandes et noisette et Ara h8 de l’arachide. La concentration en Gly m4 est fortement réduite dans les produits chauffés pendant plus de 4 heures ou dans les préparations résultant du broyage.

Les protéines de stockage résistantes à la digestion et à la cuisson sont à l’origine de réactions sévères :

  • Gly m5 (ß-conglycinine) est une globuline 7S, allergène majeur croisant avec Ara h1 de l’arachide ;
  • Gly m6 (glycinine), globuline 11s, croise avec Ara h3 de l’arachide. Cet allergène explique également les allergies croisées avec la caséine du lait de vache, observée dans 20 % des cas.
  • Gly m8 (albumine 2S)  : associé à un risque de réaction sévère.
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