Un signal très surveillé
Depuis 2023, des signaux concernant des idées suicidaires et des automutilations chez des patients traités par des analogues du GLP- 1 sont surveillés par plusieurs agences de pharmacovigilance dans le monde.
Une enquête de l’Agence européenne du médicament (EMA) a conclu, en avril 2024, que les données disponibles – études cliniques, non cliniques et de surveillance – n’avaient pas permis d’établir un lien de causalité entre la prise d’aGLP- 1 et des idées ou actes suicidaires ou d’automutilation. Elle n’avait, de ce fait, pas recommandé la mise à jour des RCP de ces médicaments, mais avait précisé que la surveillance se poursuivait. Ses conclusions convergeaient par ailleurs avec celles de la Food and Drug Administration rendues aux États-Unis quelques mois auparavant.
En août, une étude publiée dans le JAMA Network Open a de nouveau alerté sur un signal d’idéation suicidaire chez les patients prenant du sémaglutide, détecté grâce à l’analyse de la base de données des effets indésirables de l’Organisation mondiale de la santé. Mais, étant donné que ces cas sont issus de déclarations spontanées, il existe un biais de sélection et l’étude ne permet pas de conclure à un risque avéré.
Pas de sur-risque significatif par rapport aux iSGLT2 selon l’étude épidémiologique
Une nouvelle étude épidémiologique exploitant des registres nationaux suédois et danois apporte aujourd’hui de nouvelles données sur cette association, en comparant le risque suicidaire associé à la prise d’aGLP- 1 et de iSGLT2. Ses résultats viennent d’être publiés dans le JAMA Internal Medicine .
Elle a inclus tous les adultes âgés de 18 à 84 initiant un traitement par l’une ou l’autre de ces molécules (majoritairement pour un diabète de type 2) entre 2013 et 2021 en Suède et au Danemark. Cela représentait au total 124 517 personnes pour les aGLP- 1 et 174 036 pour les iSGLT2.
Dans le premier groupe, les aGLP- 1 les plus employés étaient le liraglutide (50 %) et le sémaglutide (41 %) ; l’âge moyen était de 60 ans, 45 % étaient des femmes et près de 20 % des participants avaient un diagnostic d’obésité. Les caractéristiques – sociodémographiques, comorbidités somatiques et psychiatriques, utilisation d’autres médicaments… – du groupe de comparaison (iSGLT2) ont été pondérées de façon à ressembler à celles du premier groupe.
Pendant un suivi de 2,5 ans en moyenne, les chercheurs ont évalué l’incidence des décès par suicide (critère principal de jugement). Les automutilations sans issue fatale étaient, avec les décès par suicide, un critère composite secondaire. L’incidence de la dépression et l’anxiété était un autre critère secondaire.
Résultats : dans le groupe aGLP- 1, 77 suicides ont été enregistrés, contre 71 dans le groupe iSGLT2. Les taux d’incidence pondérées étaient de 0,23/1 000 personnes-années et 0,18/1 000 personnes-années respectivement, soit un sur-risque de 25 %. Toutefois, cette augmentation n’est pas considérée comme statistiquement significative par les auteurs, correspondant à une différence absolue de 0,05 suicides/1 000 personnes-années.
Lorsque l’analyses était restreinte à la première année de suivi, le sur-risque observé était de 11 % (IC95 % : 0,54 - 2,28), et lorsqu’elle était restreinte à la durée d’exposition réelle aux molécules – soit 1,7 année pour les aGLP- 1 et 1,5 pour les iSGLT2 en moyenne –, il était de 27 % (IC95 % : 0,76 - 2,15).
Le critère composite décès par suicide et automutilations était 17 % plus faible dans le groupe aGLP- 1 comparé au groupe iSGLT2 (HR = 0,83 ; IC95 % : 0,70 - 0,97). Aucune différence significative n’a été décelée concernant le risque de dépression ou anxiété (HR = 1,01 ; IC95 % : 0,97 - 1,06).
Selon les auteurs, les résultats de cette étude étayent les conclusions rendues par le comité de pharmacovigilance de l’EMA : il n’y a pas d’association causale démontrée entre l’utilisation d’aGLP- 1 et un sur-risque de suicide, automutilations, dépression ou anxiété.
Cependant, les conclusions de cette étude épidémiologique ne sont pas généralisables aux patients prenant des aGLP- 1 dans d’autres indications, notamment l’obésité.
Pas de sur-risque dans les essais randomisés contre placebo
Une analyse post hoc de 4 études, publiée également début septembre dans le JAMA Internal Medicine , apporte des données complémentaires concernant des personnes traitées par sémaglutide pour leur obésité.
Les auteurs ont combiné les données des études STEP 1, 2, 3 et 5. Dans ces essais de phase III, randomisés, contrôlés par placebo et double insu, les patients prenaient du sémaglutide 2,4 mg ou un placebo pour le contrôle du poids. L’analyse a inclus près de 3 700 participants (70 à 77 % de femmes ; âge moyen : 47 ans) traités majoritairement pendant 68 semaines (104 semaines pour l’essai STEP 5). Les personnes ayant des antécédents de tentative de suicide, des idéations suicidaires dans le mois précédent, de dépression durant les 2 années précédentes ou des pathologies psychiatriques sévères (schizophrénie, trouble bipolaire…) ont été exclues.
Les chercheurs se sont intéressés à l’évolution des symptômes dépressifset de l’idéation suicidaire pendant le traitement :
- mesurés grâce à l’échelle PHQ- 9 (Patient Health Questionnaire, qui va de 0 à 27, des valeurs plus grandes signalant une sévérité croissante), les symptômes dépressifs ont peu évolué dans les deux groupes et sont restés inférieurs à 3 (absence de symptômes ou des symptômes très légers). La probabilité d’évolution défavorable du score entre l’inclusion et la semaine 68 était plus faible avec le sémaglutide qu’avec le placebo (odds ratio = 0,63 ; IC95 % : 0,50 - 0,79 ; P < 0,001).
- Environ 1 % des patients ont rapporté une idéation ou comportement suicidaire (de 0,4 % à 1,4 % en fonction des groupes et de l’étude), sans différence significative entre les groupes.
Les résultats de cette analyse post hoc suggèrent donc que la prise de sémaglutide 2,4 mg n’augmente pas le risque de développer des symptômes dépressifs ou une idéation suicidaire par rapport au placebo.
Wadden TA, Brown GK, Egebjerg C, et al. Psychiatric Safety of Semaglutide for Weight Management in People Without Known Major Psychopathology: Post Hoc Analysis of the STEP 1, 2, 3, and 5 Trials. JAMA Intern Med 2024:e244346.