Qu’est-ce que la conscience ?
: C’est une question difficile, ses définitions étant nombreuses et variées. De plus, la plupart des publications sur le sujet sont en anglais, langue qui dispose de deux mots (consciousness, awareness) là où nous n’en avons qu’un. Nous avons décidé d’en choisir une, très générale : la conscience est l’expérience subjective qu’un individu a de son environnement, naturel et social, de son propre corps et de ses propres connaissances. Nous avons ensuite retenu deux approches.
La première a été de repérer les travaux scientifiques qui portent sur les capacités cognitives indispensables à l’existence de la conscience chez les humains, chez qui l’on distingue plusieurs figures.
La conscience d’accès est la capacité d’un individu à se représenter le monde et les événements qui s’y produisent comme extérieurs à lui-même. Cela implique qu’il puisse mobiliser les souvenirs d’expériences passées et reconnaître une erreur éventuelle dans son interprétation de la situation actuelle.
La conscience phénoménale est l’expérience subjective de ce que ressent l’individu. Dans un article célèbre, le philosophe Thomas Nagel a postulé que tout être sensible en est capable, mais en même temps il a affirmé que nous ne pourrons jamais accéder à celle des animaux. Il donnait comme exemple la chauve-souris, qui se dirige grâce à un sonar et vit donc dans un monde qui nous est définitivement étranger. Cette impossibilité existe même entre humains. Nous pouvons nous mettre à la place de quelqu’un d’autre, en faisant des analogies à partir de la mémoire de ce que nous avons nous-mêmes ressenti et grâce au langage. Mais nous savons tous que nous pouvons nous tromper, par exemple parce que cet autre nous a menti.
La conscience métacognitive est la capacité à savoir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas et de rechercher des informations supplémentaires avant de décider d’une action.
La conscience de soi est corporelle (percevoir son propre corps comme différent du reste de l’environnement), introspective (portant sur ses états mentaux – sentiments, désirs, croyances) et sociale (appartenance à un groupe et position au sein de ce dernier).
Antonio Damasio en distingue trois formes : le protosoi, qui est une préconscience de l’état de son corps impliquant la capacité à revenir à un état normal après un stress ou un traumatisme ; le soi central, qui permet de se situer dans son milieu ; le soi autobiographique (ou narratif), à l’origine de la sensation de sa propre identité et de la capacité à se projeter dans le temps.
Tous les animaux seraient dotés d’un protosoi, tous les vertébrés et peut-être les céphalopodes d’un soi central. Seuls les humains ont un soi narratif.
La deuxième approche a été de repérer les structures cérébrales et les circuits neuronaux associés à certaines formes de conscience chez les humains, puis d’examiner quels sont ceux que l’on retrouve dans telle ou telle espèce.
Il ressort de cette expertise que des animaux ont la capacité d’éprouver des émotions, de gérer des situations complexes et d’évaluer ce qu’ils savent et ce qu’ils ignorent. Ils ont une mémoire de leurs expériences passées et peuvent appréhender des relations sociales élaborées entre eux et avec les humains. De telles capacités se retrouvent principalement chez les mammifères et les oiseaux (surtout les corvidés) avec lesquels des expériences ont été réalisées. Mais on a aussi quelques données concernant certaines capacités cognitives impliquées dans la conscience chez des invertébrés (céphalopodes, guêpes, abeilles).
Nous avons considéré que, si un animal dispose des capacités cognitives et émotionnelles qui sont associées à différentes formes de conscience chez les humains et qu’en outre il est équipé de structures cérébrales et manifeste des activités neuronales semblables à celles qui sont considérées comme les corrélats neuronaux des processus conscients chez les hommes, alors il n’y a pas de raison de lui refuser d’avoir des formes de consciences semblables. Mais qu’il y ait des similitudes de fonctionnement entre ces formes chez les humains et chez des animaux ne signifie pas forcément que leurs contenus soient identiques. Les résultats suggèrent enfin une complexité très variable en fonction de l’espèce.