L’antibiothérapie inhalée permet de déposer un antibiotique au plus près de l’infection bronchique, donc en forte concentration, en limitant l’absorption systémique. Cela nécessite toutefois que le système de nébulisation soit bien adapté à la molécule et que la technique d’inhalation soit maîtrisée par le patient.
En pathologie respiratoire, il en existe deux grandes indications : l’infection à Pseudomonas aeruginosa dans la mucoviscidose et les bronchectasies.
Mucoviscidose
La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies génétiques en Europe. Il s’agit d’une maladie grave touchant plusieurs organes et pour laquelle il n’existe pas de traitement curatif à ce jour malgré des progrès récents.
Le pronostic est avant tout respiratoire, évoluant inexorablement vers l’insuffisance respiratoire chronique.
L’atteinte respiratoire se traduit par une toux chronique, une bronchorrhée et des infections bronchiques récidivantes.
Pseudomonas aeruginosa, de mauvais pronostic
Les pathogènes retrouvés sont assez constants, et leur survenue évolue au cours du temps. On parle de colonisation bronchique lorsqu’ils sont retrouvés à plusieurs reprises sur l’examen bactériologique des sécrétions bronchiques. Généralement, les souches Haemophilus influenzae, puis Staphylococcus aureus sensible ou résistant à la méticilline (SARM) précèdent l’apparition de P. aeruginosa.
Ce bacille peut apparaître précocement dans l’évolution de la maladie. Son apparition n’est pas une bonne nouvelle, puisqu’il contribue à dégrader la fonction respiratoire après chaque épisode d’exacerbation, souvent non fébrile, sous forme d’un encombrement bronchique et d’une toux majorés, de fatigabilité et d’anorexie. La bactérie est traquée lors de chaque consultation en Centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) par un examen cytobactériologique de l’expectoration de bonne qualité. Cet examen est réalisé au cours d’une séance de kinésithérapie respiratoire de drainage bronchique, avec un seuil de détection spécifique très bas (102 CFU/mL), conformément aux recommandations en bactériologie dans cette pathologie.
Stratégie « détection précoce-traitement d’éradication »
Le premier isolement de P. aeruginosa conduit à des stratégies d’éradication bien définies, qui peuvent associer, selon l’état du patient, une antibiothérapie per os ou intraveineuse à un schéma comprenant une antibiothérapie inhalée poursuivie, selon les protocoles, de vingt-huit jours à trois mois. Ainsi, la tobramycine (inhalée sous forme de poudre ou en suspension) ou la colistine peuvent être proposées pour l’éradication.
Plusieurs protocoles existent, avec une efficacité comparable. La stratégie « détection précoce-traitement d’éradication », associant antibiothérapie inhalée avec ou sans antibiothérapie systémique, a clairement montré son efficacité en réduisant le risque de passage à l’infection chronique.1,2
En cas de solution inhalée, il convient de prescrire le couple compresseur-nébuliseur adapté pour lequel le système a obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le cadre de la mucoviscidose. Le respect de ce couple est primordial pour obtenir la granulométrie souhaitée, donc le dépôt de la molécule au bon endroit dans l’arbre bronchique. Le recours à un prestataire de santé peut être une aide pour le patient et le soignant, notamment dans la gestion et la surveillance du matériel au domicile et le renouvellement des consommables.
En cas de non-éradication, l’infection bronchique à P. aeruginosa devient chronique ; on parle alors de colonisation. Une antibiothérapie inhalée est indiquée. Elle a pour buts de réduire la charge bactérienne, l’inflammation bronchique et la fréquence des exacerbations, de freiner la chute du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) et le déclin vers l’insuffisance respiratoire chronique et d’améliorer la qualité de vie. L’efficacité des trois molécules ayant l’AMM dans la mucoviscidose et commercialisées sur le marché français est comparable, et les schémas sont proches (tableau). Chez certains patients, une « rotation » d’antibiotiques inhalés, un mois sur deux, peut être retenue.
Une observance mise à l’épreuve
Le choix du système et de la molécule se fait en concertation avec le patient, selon sa tolérance et le système de nébulisation proposé.
Estimée autour de 20 % chez l’adolescent et 50 % chez l’adulte, l’adhésion thérapeutique est mauvaise. Les contraintes de temps de nébulisation et de nettoyage du système ont longtemps été tenues pour responsables de cette piètre observance, mais l’adhésion aux poudres, qui ne nécessitent aucun entretien, n’est pas réellement plus élevée à long terme.
Les problèmes de tolérance sont rares : toux à l’inhalation, bronchospasme, hémoptysie, mycose buccale, enrouement. L’acquisition d’une bonne technique de nébulisation via une séance d’éducation thérapeutique permet à la fois d’optimiser l’efficacité du traitement et d’en limiter les effets indésirables locaux.
Que faire sous modulateurs de la proteine CFTR ?
L’arrivée des nouveaux modulateurs de la CFTR, qui corrigent le défaut de transport du chlore dans la maladie, a totalement modifié la symptomatologie de l’atteinte respiratoire : nette amélioration de symptômes chez les 80 % des patients dits répondeurs, avec régression de la toux, diminution des expectorations et des exacerbations, ainsi qu’une amélioration du VEMS de 14 % en moyenne. Néanmoins, le taux d’éradication de P. aeruginosa est faible en cas d’infection chronique.
L’absence de symptômes et la régression du nombre d’infections bronchiques conduisent beaucoup de patients à interrompre leur traitement inhalé. Il est compliqué de trancher sur le bien-fondé de cet arrêt, le recul avec les modulateurs étant encore insuffisant.
Chez un patient sévère, dont l’état de santé est réellement amélioré par les modulateurs, restant colonisé à P. aeruginosa, la plupart des équipes soignantes préconisent le maintien du traitement de fond par antibiothérapie inhalée. Mais cette recommandation est inconstamment suivie par les patients.3
Bronchectasies : deux indications pour l’antibiothérapie inhalée
Les bronchectasies non liées à la mucoviscidose sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense. Cette pathologie aux causes multiples est définie par une symptomatologie de toux chronique, le plus souvent productive en raison d’un encombrement bronchique quotidien fait de mucus épais et des poussées d’infection bronchique – appelées exacerbations – souvent non fébriles. Cette symptomatologie est associée à une augmentation permanente et irréversible du calibre des bronches sous-segmentaires dans des territoires localisés ou étendus, mis en évidence sur un scanner thoracique haute résolution.
La prévalence des bronchectasies augmente avec l’âge. Elles sont fréquemment présentes en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sévère et altèrent la qualité de vie des patients. Elles sont le siège d’une infection bactérienne chronique qui participe et pérennise l’inflammation bronchique. L’apparition de P. aeruginosa est un facteur de mauvais pronostic reconnu ; c’est le pathogène le plus souvent retrouvé dans les bronchectasies sévères. Il est reconnu comme étant à l’origine, en cas d’infection chronique, d’une majoration de la bronchorrhée et de la fréquence des exacerbations et des hospitalisations, d’une altération de la qualité de vie et d’une surmortalité.4
Si le drainage bronchique reste la pierre angulaire du traitement de fond, définir les modalités d’éradication dès le premier isolement de P. aeruginosa afin d’éviter ou de retarder le passage à la chronicité, puis d’en limiter l’impact lorsque l’infection chronique est installée, est devenu un objectif de prise en charge.
Les recommandations européennes actuelles pour la prise en charge des bronchectasies ont été publiées en 2017.5 Deux indications ont été retenues pour l’antibiothérapie inhalée, mais aucune molécule n’a encore d’AMM en France dans ces deux indications :
- la primo-infection à P. aeruginosa ;
- l’infection chronique à P. aeruginosa.
La prescription hors AMM nécessite l’information du patient et, dans certains cas, peut justifier un dialogue avec le médecin de l’Assurance maladie pour en obtenir le remboursement.
En cas de primo-infection à Pseudomonas aeruginosa
La primocolonisation à P. aeruginosa correspond au premier isolement de cette bactérie dans les sécrétions bronchiques. Le germe doit être traqué en cas d’infections récidivantes, et sa recherche précisée sur l’ordonnance destinée au bactériologiste afin de le sensibiliser.
Trois schémas d’éradication ont été proposés : tous reposent sur trois mois de traitement par colistine inhalée à la posologie de 1 million d’unités, deux fois par jour.
Une méta-analyse, comportant des schémas avec colistine ou tobramycine inhalées, confirme que les résultats obtenus vont de 40 à 50 % d’éradication à un an. L’association antibiothérapie systémique et antibiothérapie inhalée permet de meilleurs résultats que l’antibiothérapie systémique seule.6 La surveillance régulière des examens cytobactériologiques des crachats (ECBC) à trois mois, six mois et un an permet de vérifier l’éradication du germe. Un essai randomisé contrôlé de non-infériorité comparant deux schémas thérapeutiques d’éradication – programme hospitalier de recherche clinique ANTEIPA – est en cours dans plusieurs hôpitaux français.
Infection chronique à Pseudomonas aeruginosa
La seconde indication est celle de l’antibioprophylaxie secondaire, ou nébulisation d’antibiotiques au long cours, afin de limiter le recours à une antibiothérapie parentérale. Des méta-analyses récentes confirment l’intérêt du traitement antibiotique inhalé dans l’infection chronique à P. aeruginosa en cas d’exacerbations fréquentes, c’est-à-dire plus de trois exacerbations par an. L’antibiothérapie inhalée réduit la charge bactérienne, diminue la fréquence des exacerbations et augmente le délai avant une première exacerbation, notamment chez les patients les plus sévères et les plus bronchorrhéiques, sans impact sur le VEMS. Elle améliore également les symptômes et la qualité de vie des adultes traités.7,8 Cependant, elle ne concerne qu’un petit nombre de patients, moins de 20 % des cohortes européennes.9 Actuellement en France, la colistine inhalée est la plus fréquemment utilisée, à la posologie de 1 million d’unités matin et soir ; toutefois, la tobramycine inhalée est aussi disponible, à une posologie de 300 mg une ou deux fois par jour.10
Cette stratégie d’antibiothérapie inhalée antipyocyanique peut être une alternative à la prescription de macrolides, proposés à faible dose (azithromycine) au long cours et à visée anti-inflammatoire.
Une résistance bactérienne peut apparaître, surtout décrite avec des quinolones inhalées, non disponibles en France, mais sans impact sur l’efficacité des molécules. Une évaluation clinique à six mois permet de vérifier l’efficacité sur le nombre d’exacerbations ayant justifié la mise en place d’une antibiothérapie inhalée.
Traitement des mycobactéries non tuberculeuses
Une dernière indication à une antibiothérapie inhalée existe depuis quelques années : il s’agit de la nébulisation d’amikacine liposomale. Très spécifique et restreinte, son utilisation concerne le traitement des infections pulmonaires à mycobactéries non tuberculeuses (MNT) causées par le complexe Mycobacterium avium chez l’adulte non atteint de la mucoviscidose et pour qui les options thérapeutiques sont limitées. Les infections à Mycobacterium avium sont fréquemment retrouvées en cas de bronchectasie.
Miser sur l’éducation thérapeutique
Les contraintes de soins sont réelles, et l’observance thérapeutique est de l’ordre de 50 %.11 Sous la forme de solution, il faut compter deux nébulisations par jour, d’une durée de dix minutes environ, auxquelles il faut ajouter les temps de préparation du produit et d’entretien du matériel. Une éducation thérapeutique est un préalable indispensable à toute prescription. Elle permet l’apprentissage de la reconstitution du produit, de la technique d’inhalation et des modalités d’entretien du matériel (nettoyage, stérilisation). Cette séance peut être réalisée au cours d’une hospitalisation, lors d’une exacerbation par exemple, ou en hospitalisation de jour, comme le préconisent les recommandations britanniques.12
Si la tolérance de l’antibiothérapie inhalée est globalement bonne, un bronchospasme peut néanmoins survenir dans 10 % des cas. Il peut être prévenu par la prise d’un bêta- 2 -mimétique avant l’inhalation. Des hémoptysies, souvent minimes sous forme de filets hémoptoïques, et des mycoses buccales peuvent également survenir. Un lavage de la cavité buccale par gargarisme à l’eau bicarbonatée est préconisé pour limiter le risque de mycose buccale et d’enrouement de la voix. En cas d’échec, le traitement est abandonné.
Que dire à vos patients ?
Un traitement antibiotique inhalé est chronophage : il s’effectue deux fois par jour avec un matériel adapté à la molécule utilisée et après apprentissage des techniques et de la gestion du matériel – en s’assurant de sa bonne tolérance bronchique – au cours d’une séance d’éducation thérapeutique.
La survenue de complications (toux et spasme bronchique) peut justifier l’administration de bêta- 2 -mimétiques avant, voire après, la prise de l’antibiothérapie. S’il est mal toléré, le traitement doit être interrompu.
Les traitements sont disponibles sous forme de solution inhalée ou de poudre. Le choix se fait en concertation avec le prescripteur selon les symptômes, la fonction respiratoire, la capacité à gérer ou non les aérosols, la balance bénéfices-risques, la disponibilité du patient.
L’intérêt du traitement est à réévaluer à six mois par le pneumologue. Il peut être arrêté ou maintenu, selon l’efficacité observée et la tolérance. L’amélioration de la fonction respiratoire n’est pas attendue, mais une réduction du nombre de surinfections et de la bronchorrhée ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie au quotidien peuvent être espérées. La prescription hors AMM peut justifier un dialogue avec le médecin de l’Assurance maladie pour en obtenir le remboursement.
Ressources
Des associations de patients et des sites internet permettent de mieux connaître la maladie, les conseils et les modalités de prise en charge (cette liste n’est pas exhaustive) :
- www.europeanlunginfo.org/bronchiectasis
- European Lung Foundation (ELF) : www.europeanlung.org
- European Multicentre Bronchiectasis Audit and Research Collaboration. Il s’agit d’un groupe de travail de l’European Respiratory Society constitué essentiellement de patients. Un résumé des recommandations publiées en 2017 pour la prise en charge des bronchectasies est disponible en langue française et s’adresse aux patients et à leur entourage pour les aider à la compréhension des grands principes de prise en charge : www.bronchiectasis.eu
- Guide en français d’autogestion des bronchectasies : https ://europeanlung.org/wp-content/uploads/2024/01/Bronchiectasis-self-care-guide-FR.pdf
- La dilatation des bronches (DDB) – Association Santé respiratoire France : https ://sante-respiratoire.com/les-maladies-respiratoires/dilatation-des-bronches/
- En cas d’infection à mycobactéries non tuberculeuses (mycobactéries atypiques) : https ://www.mntmonpoumonmonair.org/
- En cas de dyskinésie ciliaire primitive : https ://www.adcp.asso.fr/
2. Taccetti G, Francalanci M, Pizzamiglio G, et al. Cystic Fibrosis: Recent Insights into Inhaled Antibiotic Treatment and Future Perspectives. Antibiotics 2021;10(3):338.
3. Sloan CM, Sherrad LJ, Einarsson GG, et al. Inhaled antimicrobial prescribing for Pseudomonas aeruginosa infections in Europe. J Cyst Fibros 2024;23(3):499-505.
4. Araújo D, Shteinberg M, Aliberti S, et al. The independent contribution of Pseudomonas aeruginosa infection to long-term clinical outcomes in bronchiectasis. Eur Respir J 2018;51(2):1701953.
5. Polverino E, Goeminne PC, McDonnell MJ, et al. European Respiratory Society guidelines for the management of adult bronchiectasis. Eur Respir J 2017;50(3):1700629.
6. Conceição M, Shteinberg M, Goeminne P, et al. Eradication treatment for Pseudomonas aeruginosa infection in adults with bronchiectasis: A systematic review and meta-analysis. Eur Respir Rev 2024;33(171):230178.
7. Laska IF, Crichton ML, Shoemark A, et al. The efficacy and safety of inhaled antibiotics for the treatment of bronchiectasis in adults: A systematic review and meta-analysis. Lancet Respir Med 2019;7(10):855-69.
8. Cordeiro R, Choi H, Haworth CS, et al. The Efficacy and Safety of Inhaled Antibiotics for the Treatment of Bronchiectasis in Adults Updated Systematic Review and Meta-Analysis. Chest 2024;166(1):61-80.
9. Aliberti S, Lonni S, Dore S, et al. Clinical phenotypes in adult patients with bronchiectasis. Eur Respir J 2016;47(4):1113-22.
10. Elborn JS, Blasi F, Haworth CS, et al. Bronchiectasis and inhaled tobramycin: A literature review. Respir Med 2022;192:106728.
11. McCullough AR, Tunney MM, Elborn JS, et al. Predictors of adherence to treatment in bronchiectasis. Respir Med 2015;109(7):838-45.
12. Hill AT, Sullivan AL, Chalmers JD, et al. British Thoracic Society Guideline for bronchiectasis in adults. Thorax 2019;74(Suppl 1):1-69.