Environ 10 % de la population développe une aponévrosite plantaire au cours de sa vie. Cette pathologie est plus fréquente chez les personnes âgées de 40 à 60 ans, sans prédominance d’un sexe sur l’autre. La diminution de la dorsiflexion de la cheville, l’obésité et les activités professionnelles nécessitant un port de charges semblent être des facteurs de risque de l’aponévrosite plantaire indépendants.1
Des microdéchirures en cause
L’aponévrose plantaire est une structure fibreuse qui s’étend du calcanéum jusqu’aux orteils (fig. 1).
L’aponévrosite plantaire serait liée à des microdéchirures progressives, notamment au niveau de l’insertion médiale sur le calcanéum. Ce processus entraînerait une dégénérescence du tissu, indépendamment de toute réaction inflammatoire associée.2
Les contraintes exercées lors de la marche passent par les muscles gastrocnémiens, le soléaire, le tendon d’Achille, le calcanéum et, enfin, l’aponévrose plantaire. Un raccourcissement du gastrocnémien médial – présent chez 13,1 % de la population3 – génère une tension prématurée sur ce muscle lors du pas et une relaxation retardée. Cela entraîne une augmentation des contraintes sur le tendon d’Achille, son insertion, l’aponévrose plantaire en médial, voire les têtes des métatarsiens, exposant chacune de ces structures à un risque de lésion.
Une douleur et des signes associés très évocateurs
L’aponévrosite plantaire se manifeste par une douleur localisée sous le talon, principalement en médial, apparaissant dès le matin ou après une période d’inactivité – un phénomène appelé dyskinésie post-statique. Cette douleur s’atténue à la marche mais tend à s’intensifier au fil de la journée, particulièrement aggravée par le port de chaussures plates et peu amortissantes. Son évolution peut s’étendre sur une période allant de six mois à deux ans.
Afin de soulager la douleur médiale, certains patients adoptent une marche en appui sur la tranche du pied, ce qui peut entraîner un hyper-appui douloureux sur cette zone. Cette compensation sollicite davantage les fibulaires, augmentant ainsi le risque de tendinopathie. Dans les formes les plus sévères de talalgie, le patient peut être contraint de marcher sur la pointe des pieds.
L’aponévrosite plantaire est fréquemment associée à des pathologies liées à un raccourcissement du tendon d’Achille, notamment une instabilité latérale de la cheville lors des descentes, des crampes dans les mollets, une tendinopathie d’Achille – qu’elle soit corporéale ou d’insertion –, des métatarsalgies ou encore un névrome de Morton.
Clinique et échographie, les clés du diagnostic
Un algorithme de prise en charge est proposé en figure 2.
Examen et tests cliniques
L’examen clinique met en évidence une douleur exquise sous la partie médiale du talon (fig. 3).
Le test de Windlass, réalisé sur patient debout ou assis, augmente la tension exercée sur l’aponévrose plantaire par la flexion dorsale de la métatarsophalangienne de l’hallux (fig. 4).4 Si cette manœuvre provoque une douleur sous le talon, à l’enthèse, le test est jugé positif. Bien qu’il soit spécifique à 100 %, sa sensibilité est modeste (32 %).
Dans 53 % des cas de raccourcissement du tendon d’Achille, notamment au niveau des gastrocnémiens, une aponévrosite plantaire est mise en évidence.3 Ce raccourcissement est évalué à l’aide du test de Silfverskiöld, qui analyse la dorsiflexion de la cheville en comparant son amplitude genou tendu et genou fléchi. Une amélioration de la dorsiflexion lorsque le genou est fléchi oriente le diagnostic vers une rétraction des gastrocnémiens, tandis qu’une limitation persistante suggère un raccourcissement du soléaire ou une rétraction globale du tendon d’Achille.
Échographie : l’examen d’imagerie à préférer
L’échographie est l’examen de première intention à effectuer pour confirmer le diagnostic, offrant des informations équivalentes à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), tout en étant plus accessible et moins coûteuse. Elle permet d’objectiver un épaississement de l’enthèse de l’aponévrose plantaire, généralement supérieur à 4 à 5 mm selon les études,5 ainsi que des zones hypoéchogènes, traduisant des microdéchirures et la présence d’un œdème localisé.
De nombreux diagnostics différentiels
L’aponévrosite plantaire est la principale cause de talalgie ; il est essentiel d’éliminer les autres causes possibles.
Rupture de l’aponévrose plantaire
Une douleur survenant lors d’une impulsion ou à la réception d’un saut, associée à une ecchymose sous la voûte plantaire, évoque une déchirure de l’aponévrose plantaire. Elle est visible à l’échographie, à 1 cm plus en distal que l’enthèse. Des semelles orthopédiques ou des talonnettes viscoélastiques permettent de soulager la douleur pendant la cicatrisation.
Maladie de Ledderhose
Le nodule, enchâssé dans l’aponévrose plantaire, est palpable à travers la peau et parfois visible. Il se localise généralement à environ 3 cm plus en distal que l’enthèse, au niveau de la voûte plantaire (fig. 1). Les semelles orthopédiques constituent le traitement de première intention. En cas d’échec, une infiltration de corticoïdes ou une infiltration/destruction échoguidée peut être envisagée. L’exérèse de l’aponévrose plantaire demeure un traitement de dernier recours en raison de son caractère très invasif.
Syndrome du tunnel tarsien
Ce syndrome résulte de la compression du nerf tibial par le rétinaculum des fléchisseurs et de ses branches plantaires médiale et latérale par le fascia profond du muscle abducteur de l’hallux. Il est fréquemment associé à une tendinopathie du tibial postérieur et à une aponévrosite plantaire. Cette compression du nerf tibial entraîne des douleurs, des paresthésies, des décharges électriques et des zones d’anesthésie de la partie interne de la cheville, du talon jusqu’aux orteils, suivant la zone innervée par le nerf tibial et ses branches plantaires.
Il est crucial de rechercher le signe de Tinel (fig. 5) : la percussion du nerf tibial au niveau du tunnel tarsien, situé à mi-distance entre la malléole interne et la tubérosité du calcanéum, reproduit les douleurs caractéristiques ressenties par le patient.
L’IRM et l’électromyogramme sont souvent normaux, sans pour autant exclure le diagnostic. L’échographie peut révéler un épaississement du nerf tibial dans le tunnel tarsien et, réalisée en position debout, elle peut permettre de détecter une compression veineuse par des varices.
Le traitement est principalement chirurgical. En l’absence de masse de compression identifiable à l’IRM ou à l’échographie, une libération percutanée du nerf sous guidage échographique peut être envisagée. En revanche, une chirurgie à ciel ouvert, plus invasive, n’est indiquée que lorsqu’une masse compressive est en cause et nécessite une exérèse.
Fracture de fatigue du calcanéum
Une douleur diffuse de l’ensemble du talon associée à une douleur exquise à la compression transversale du calcanéum peut évoquer une fracture, notamment en présence d’une ecchymose sur la partie latérale du talon. Dans ce contexte, la radiographie ou le scanner est essentiel pour confirmer le diagnostic, en mettant en évidence une fracture ou un cal osseux en formation. Le traitement consiste à soulager l’appui à l’aide de béquilles.
Enthésite dans le cadre d’une spondylarthropathie
Ce diagnostic différentiel nécessite une évaluation clinique détaillée afin d’identifier une éventuelle atteinte rachidienne, une arthrite réactionnelle, un rhumatisme psoriasique ou des troubles digestifs. Après l’échographie, l’IRM peut être indiquée notamment pour rechercher un œdème du calcanéum au niveau de ses enthèses.
« Quid » de l’épine calcanéenne ?
L’épine calcanéenne (ou éperon calcanéen) n’influence pas la prise en charge de l’aponévrosite plantaire. Indolore en elle-même, elle ne justifie pas la résection chirurgicale. Elle est observée chez la moitié des patients symptomatiques, mais également chez des individus asymptomatiques.
Comment traiter une aponévrosite plantaire ?
Le traitement conservateur est privilégié. La chirurgie ne doit être qu’une option de deuxième intention.
Traitement médical : kinésithérapie, talonnettes et infiltrations
Kinésithérapie, talonnettes et infiltrations de corticoïdes doivent être prescrites conjointement dès le diagnostic, pour un soulagement plus efficace et rapide.6
Des exercices visant à allonger l’aponévrose, renforcer les muscles intrinsèques du pied et améliorer l’utilisation du tendon d’Achille selon le protocole de Stanish peuvent être recommandés. Les ondes de choc, souvent utilisées en alternative avant une intervention chirurgicale,7 avec un minimum de six séances, font l’objet de débats quant à leur réelle efficacité.8
Les talonnettes viscoélastiques offrent un amorti supplémentaire sous le talon et contribuent à réduire la tension exercée sur le tendon d’Achille. Leur efficacité est équivalente à celle des semelles orthopédiques.9
Trois types de traitement peuvent être administrés par infiltrations :
- les corticoïdes, infiltrés autour de l’enthèse, procurent un soulagement en vingt-quatre heures, avec une efficacité pouvant durer de quelques mois à un an. Toutefois, ils exposent à un risque d’atrophie graisseuse locale et de rupture de l’aponévrose plantaire. L’utilisation de l’échoguidage permet d’améliorer leur efficacité tout en réduisant ces risques.10 Afin de limiter les effets indésirables, il est recommandé de ne pas dépasser quatre infiltrations ;
- le plasma riche en plaquettes (PRP) est indiqué en présence de fissures de l’enthèse. Il n’a pas démontré de supériorité par rapport aux corticoïdes,11 bien qu’il ait moins d’effets indésirables ;
- la toxine botulinique, injectée dans les muscles périenthésaires, constitue une nouvelle approche, encore en développement, qui suscite un intérêt croissant, mais nécessite davantage d’études dans cette indication.12
D’autres approches, telles que la radiothérapie,13 ont été explorées, mais aucune étude comparative n’a été menée à ce jour.
Traitement chirurgical en cas d’échec
En cas d’échec des traitements conservateurs, la prise en charge chirurgicale de l’aponévrosite plantaire repose sur deux approches distinctes : la section de la partie médiale pathologique de l’aponévrose plantaire et l’allongement de la lame des gastrocnémiens14 en présence d’une rétraction du tendon d’Achille. Ces deux interventions peuvent être réalisées à ciel ouvert, sous endoscopie ou sous guidage échographique percutané. Cette dernière approche est à privilégier, car elle peut être effectuée sous anesthésie locale en consultation, sans recours au bloc opératoire.
La section percutanée échoguidée de l’aponévrose plantaire à l’aide d’une aiguille 16G offre une récupération rapide (en un mois), avec un taux de succès de 93 % (fig. 6).15 Moins invasive que les chirurgies ouvertes ou endoscopiques, elle réduit les risques d’infection, de fibrose et de lésion nerveuse. Efficace, accessible et moins contraignante sur le plan logistique, elle représente une avancée notable dans la prise en charge de l’aponévrosite plantaire réfractaire.
Dans certains cas, en raison de sa moindre invasivité et de son efficacité, cette technique pourrait être envisagée en première intention, avant une infiltration de PRP ou de toxine botulinique, dont l’effet analgésique peut être plus tardif et dont la mise en œuvre peut s’avérer plus complexe.
Que dire à vos patients ?
En cas d’aponévrosite plantaire, l’infiltration permet de marcher sans douleur ; les talonnettes et la kinésithérapie permettent de guérir la pathologie.
En cas de douleur, il est recommandé de ne pas attendre pour consulter le podologue afin de faire confectionner ou améliorer les semelles, le kinésithérapeute pour de nouveaux exercices ou des ondes de choc, et le médecin pour une nouvelle infiltration ou réévaluation.
L’échochirurgie, technique mini-invasive, est efficace pour 93 % des cas réfractaires.
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