La téléphonie en santé, c’est-à-dire les services téléphoniques d’information et d’aide dédiés à des questions de santé, est née dans les années 1950 au Royaume-Uni autour des questions de santé mentale. En France, ces services se sont développés plus tardivement, conditionnés notamment par l’essor du téléphone dans les années 1970 - 1980. Ils ont progressivement couvert l’ensemble des enjeux de santé publique. Et l’évolution de ces dispositifs a suivi les évolutions technologiques : aux lignes téléphoniques historiques se sont adjoints des sites internet, des comptes sur les réseaux sociaux, des applications pour smartphones.
En matière d’addiction, Santé publique France est l’opérateur de plusieurs dispositifs : Tabac info service, Alcool info service, Drogues info service, et Joueurs info service. Ces différents dispositifs permettent notamment :
- de retrouver des informations sur les substances, les comportements et leurs conséquences sur la santé ;
- d’avoir accès à un annuaire de lieux de consultations et d’hospitalisation pour faciliter l’orientation vers les dispositifs de prise en charge spécialisée ;
- de partager ses questions via un forum (entre pairs) ou un service de questions/réponses (avec des professionnels) ;
- d’accéder aux lignes téléphoniques ou aux chats individuels.
La numérisation des services d’aide à distance a permis de développer des services spécifiques permettant l’autoévaluation de sa situation, voire un accompagnement personnalisé.
Ces différents services proposent des outils d’aide aux personnes ayant des troubles addictifs. Trois exemples dans le domaine de la dépendance à l’alcool, au tabac et au cannabis sont présentés.
Outil alcoomètre d’Alcool info service
L’outil alcoomètre disponible sur le site alcool-info-service.fr propose à tous les consommateurs d’alcool d’évaluer les risques de leur consommation et les incite à la réduire en cas de besoin. Il se présente sous la forme d’un bref questionnaire comportant des questions sociodémographiques et sur la consommation d’alcool lors des sept derniers jours. Le remplissage nécessite en moyenne deux minutes. Un bilan personnalisé propose ensuite de l’information sur les risques de la consommation selon le dépassement des repères (les repères de consommation à moindre risque définis par des experts en 2017 sont les suivants : ne pas dépasser deux verres standard en une occasion, dix verres par semaine et avoir des jours sans consommation d’alcool dans la semaine), le niveau par rapport à la moyenne dans la population (retour normatif) ainsi que les sur-risques de développer différentes maladies en fonction de la consommation déclarée (cancers, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral hémorragique, fibrillation atriale).
En moyenne, environ 16 000 alcoomètres sont complétés mensuellement. Lors de la diffusion de campagnes nationales de prévention sur l’alcool, jusqu’à 300 000 alcoomètres peuvent être complétés en quatre semaines. Les profils renseignés par les internautes sont majoritairement des hommes (plus des deux tiers), d’une moyenne d’âge d’environ 40 ans, et les trois quarts dépassent les repères de consommation à moindre risque. Une évaluation qualitative récente avait confirmé l’intérêt de ce type de test d’auto-évaluation, en particulier pour les informations personnalisées sur les risques ; celles-ci interrogeaient les participants sur leur perception des dangers des consommations au-delà du risque de dépendance et les incitaient à réfléchir à leur propre consommation.
Le besoin de conseils et d’outils concrets pour réduire la consommation a aussi émergé. Pour accompagner ces consommateurs, le développement de fonctionnalités d’e-coaching est en cours de réflexion. En effet, plusieurs études1,2 ont montré l’efficacité des interventions web et des applications pour smartphones sur la consommation de différents groupes d’usagers d’alcool (en matière d’âge et de type de consommation).
Application pour smartphone Tabac info service
En complément du dispositif téléphonique (39 89), l’Assurance maladie et Santé publique France ont créé en 2016 l’application pour smartphone Tabac info service. Elle a pour objectif d’accompagner les fumeurs dans leur démarche d’arrêt du tabac. Elle est téléchargée environ 300 000 fois par an.
L’application est conçue autour de trois volets : le premier s’adresse aux fumeurs qui n’ont pas encore défini de date d’arrêt, le deuxième aux fumeurs qui en ont défini une, le troisième aux fumeurs après leur date d’arrêt du tabac. Chaque fumeur peut évoluer de manière autonome d’un volet à l’autre. En complément, l’application propose une stratégie d’arrêt progressif.
Chacun de ces volets met à disposition des utilisateurs des activités et des contenus adaptés à leur situation vis-à-vis du tabac.
En volet 1, les utilisateurs peuvent faire le point sur leur relation au tabac, identifier leurs motivations, les habitudes faciles à changer, calculer le coût de leur tabagisme.
En volet 2, en plus des activités du volet 1, l’application propose de faire le point sur leur dépendance, de demander le soutien de leurs proches et de compléter une checklist.
En volet 3, les utilisateurs retrouvent un tableau de bord de leurs bénéfices à l’arrêt et des contenus pour éviter la reprise du tabac.
Quel que soit le volet, un onglet permet l’accès à des informations sur les différentes aides à l’arrêt du tabac, des contenus pour se détendre, gérer les envies de fumer ou son poids.
Du fait de son intégration à l’environnement Tabac info service, l’application permet la mobilisation de services rendus par d’autres canaux. Il est ainsi possible de contacter ou d’être contacté à l’heure de son choix par un tabacologue du dispositif téléphonique, de poser une question par courriel, de retrouver l’annuaire national des consultations de tabacologie.
Afin de renforcer le recours à l’application, des notifications enrichies de visuels et des courriels sont adressés régulièrement aux utilisateurs qui les ont acceptés. Ils permettent de mieux les guider vers des activités.
L’application Tabac info service a fait l’objet de différentes évaluations. Un essai contrôlé randomisé, dont le protocole5 et les résultats6 ont été publiés, a cherché à démontrer l’efficacité de l’application en comparant son impact sur le sevrage à la consultation des pages Tabac du site ameli. Une différence significative entre le bras intervention et le bras contrôle est observée à six mois uniquement pour les utilisateurs ayant eu un usage intensif de l’application (défini par la réalisation d’au moins huit activités). Par ailleurs, des études qualitatives réalisées en 2020 et 2023 ont permis de faire évoluer l’univers graphique et la navigation dans l’application. Enfin, une évaluation en routine est en cours ; elle permettra de documenter l’abstinence tabagique des utilisateurs trois et six mois après la création de leur compte.
De nouvelles évolutions de l’application sont prévues, visant à mieux guider l’utilisateur dans la réalisation des différentes activités proposées.
Application pour diminuer ou arrêter le cannabis, en phase d’évaluation
La démarche de demande de traitement ou d’aide connaît encore des freins parmi les consommateurs de cannabis en difficulté, comme le coût, le transport, la crainte d’être stigmatisé socialement.3 En France, plus d’un quart des consommateurs de cannabis ont essayé d’arrêter leur consommation sans succès au cours de l’année passée. Pour répondre à ces enjeux et à l’évolution des usages numériques, Santé publique France développe une application d’aide pour accompagner les consommateurs de cannabis souhaitant diminuer ou arrêter leur consommation. Les rares études d’évaluation de ce type d’applications existant à l’international ont montré des effets positifs,4 faibles à modérés, selon le type de services. Les programmes proposant des interventions multimodales (combinant plusieurs modalités d’aide : téléphone, chat, internet, SMS) étant les plus prometteurs, Santé publique France a retenu cette stratégie en inscrivant l’application dans l’écosystème de Drogues info service dont il est l’opérateur.
Le cœur du programme, d’une durée de cinq semaines, propose un parcours individualisé, en s’adaptant au profil du consommateur (quantité, contextes et modes de consommation) et à son objectif (diminution ou arrêt). Une phase de préparation précédant le parcours encourage la personne à bien identifier ses motivations à arrêter, les freins ou situations à risque de consommer. Un tableau de bord permet de visualiser l’évolution de son parcours, des bénéfices engendrés, invitant à l’interaction. Des exercices de relaxation, des informations sur les effets du cannabis et du tabac, et sur les bénéfices à l’arrêt sont également proposés tout au long du parcours. Ces fonctionnalités et la tonalité positive de l’application ont pour objectif de favoriser le sentiment d’efficacité personnelle, les compétences psychosociales et l’estime de soi. À tout moment, l’utilisateur peut solliciter une aide humaine par chat, par téléphone ou discuter sur les forums d’entraide. À la fin du programme, l’application propose un bilan du parcours qui, selon l’atteinte des objectifs et le vécu du parcours, préconise une orientation individualisée.
L’application a été développée en lien avec des usagers de cannabis pour répondre au mieux à leurs attentes. Un essai contrôlé randomisé, dont les résultats seront disponibles en 2026, devra permettre d’évaluer l’efficacité de l’outil, avant de le rendre disponible à tous les consommateurs qui souhaiteraient l’utiliser.
2. Kaner EF, Beyer FR, Garnett C, et al. Personalised digital interventions for reducing hazardous and harmful alcohol consumption in community-dwelling populations. Cochrane Database Syst Rev 2017;9(9):Cd011479.
3. Tait RJ, Spijkerman R, Riper H. Internet and computer based interventions for cannabis use: A meta-analysis. Drug Alcohol Depend 2013;133(2):295-304.
4. Boumparis N, Loheide-Niesmann L, Blankers M, et al. Short- and long-term effects of digital prevention and treatment interventions for cannabis use reduction: A systematic review and meta-analysis. Drug Alcohol Depend 2019;200:82-94.
5. Cambon L, Bergman P, Le Faou A, et al. Study protocol for a pragmatic randomised controlled trial evaluating efficacy of a smoking cessation e-’Tabac Info Service’: ee-TIS trial. BMJ Open 2017;7(2):e013604.
6. Affret A, Luc A, Baumann C, et al. Effectiveness of the e-Tabac Info Service application for smoking cessation: A pragmatic randomised controlled trial. BMJ Open 2020;10(10):e039515.