L’allongement de l’espérance de vie accroît sa prévalence et celle de troubles cognitifs de sévérité variable (maladie d’Alzheimer). Les interactions entre ces deux pathologies sont documentées, renforçant l’intérêt du dépistage auditif et de sa prise en charge précoce.
Les repérer systématiquement permet de retarder leur impact par des mesures de compensation. La prise en charge est pluridisciplinaire, en relation avec médecin traitant.
Quels liens ?
Cette perte auditive en condition de perception complexe entraîne une surexploitation des ressources dédiées aux stimuli auditifs. La réaffectation des ressources épuiserait la réserve cognitive. De surcroît, en privant le système nerveux central de repères sensoriels fondamentaux, la presby-acousie participerait également au manque de stimulation intellectuelle responsable de la dégradation rapide des capacités cognitives et mnésiques.
Le traitement multimodal des informations sensorielles est ainsi étroitement lié aux processus cognitifs. Les déficits sensoriels réduisent l’autonomie de la personne atteinte de maladie d’Alzheimer, ses relations avec autrui et ses activités sociales. En outre, la réhabilitation cognitive dépend des fonctions sensorielles.2
Ce constat est conforté par plusieurs auteurs dont Uhlmann. Son étude (1989) a servi de base à des travaux prospectifs ultérieurs.3 Cet essai cas/contrôle a évalué la prévalence de la surdité et des troubles cognitifs dans 2 groupes de 100 personnes (âge moyen 77 ans) : d’une part, des patients ayant une maladie d’Alzheimer ; d’autre part, des cas contrôles sans atteinte cognitive notable (MMSE > 24). L’audition a été testée en audiométrie tonale et vocale. Résultats : le risque de troubles cognitifs et de démence augmente en cas de surdité moyenne à sévère.
Lin a analysé de manière prospec- tive l’évolution conjointe des 2 troubles ainsi que leurs corrélations.4 Avec un suivi moyen de 12 ans, dans un groupe de 639 personnes âgées de 36 à 90 ans, le risque de démence, évalué par une batterie de tests cognitifs, croît en fonction de l’importance de la perte auditive, quand les autres facteurs potentiels de démence sont ajustés : âge, sexe, niveau d’éducation, diabète, hypertension artérielle et tabagisme. À partir de 25 dB de perte, il augmente de façon logarithmique : il est multiplié par 1,89 pour les surdités légères, 3 pour les moyennes et 4,94 pour les sévères.
Une troisième étude analyse l’impact de l’appareillage auditif sur les fonctions cognitives. Si un faisceau d’arguments est en faveur d’un effet positif, sa démonstration est difficile. Dans la cohorte française PAQUID (3 670 personnes âgées de 65 ans et plus), le suivi prospectif des troubles auditifs (fondé sur des questionnaires auto-administrés sans évaluation audiométrique) est corrélé aux tests cognitifs (MMSE).5 Les patients ont été répartis en 3 groupes : audition normale (n = 2 394), perte auditive légère (n = 1 139) et perte importante (n = 137). Avec un recul de 25 ans, on observe une diminution des performances cognitives plus marquée chez les personnes ayant des troubles auditifs. Parmi elles, seules 150 sur 1 276 mentionnent l’utilisation d’aides auditives. Le déclin cognitif mesuré est moins marqué si les sujets sont appareillés.
Ces travaux illustrent l’intérêt d’un repérage précoce et de la prise en charge de la presbyacousie parallèlement à celle des troubles cognitifs.
Presbyacousie : repérer tôt
Le médecin traitant vérifie l’état des oreilles par l’examen otoscopique et fait passer des tests simples : acoumétrie (encadré 1), questionnaire de dépistage des troubles sensoriels et cognitifs (encadré 2).
Le diagnostic est ensuite établi par l’ORL : surdité de perception bilatérale et symétrique, prédominant pour les fréquences aiguës.
L’altération de l’intelligibilité en audiométrie vocale est un élément pronostique péjoratif.
Le traitement repose sur l’appareillage audioprothétique bilatéral, complété éventuellement par une rééducation orthophonique.
Le repérage des troubles cognitifs et sensoriels peut être fait par tout soignant s’il dispose d’outils validés. Le CODEX est un test rapide pour dépister les troubles cognitifs (encadré 2).6 Nous l’avons intégré dans un kit de repérage plus large nommé AVEC, acronyme de ses différentes composantes : Audition Vision Equilibre et Cognition.7 La détection des troubles auditifs et visuels repose sur des autoquestionnaires, l’évaluation de l’équilibre et du risque de chute est faite avec l’appui unipodal soutenu (inférieur à 5 secondes : très haut risque).
Cela permet d’orienter le patient vers une prise en charge spécialisée adaptée aux déficits identifiés : ORL, ophtalmologiste, gériatre…
Avec le repérage précoce, on met en place des stratégies de compensation pour maintenir les capacités résiduelles et freiner la perte d’autonomie. l
2. CODEX, test de repérage des troubles cognitifs
Test simple, sa passation dure moins de 3 minutes. Il nécessite toutefois une compréhension minimale des consignes ainsi que des capacités sensorimotrices suffisantes.
Réalisation. Répétition et mémorisation de 3 mots : par exemple, clé, citron, ballon. Test de l’horloge : sur un cercle prédessiné, ajout des 12 heures, puis placement des aiguilles à 14 h 25.
Interprétation. En l’absence d’anomalie, le risque de démence installée est minime. Si les 2 tests sont anormaux, il est probable et justifie un bilan spécialisé en centre mémoire. L’anomalie d’un seul item impose une seconde étape.
Questionnaire d’orientation spatiale en 5 questions. Les réponses sont notées 1 si correctes et 0 si inexactes.
✔ Quel est le nom de l’hôpital/cabinet médical où nous nous trouvons ?
✔ Dans quelle ville sommes-nous ?
✔ Quel est le nom du département où se trouve cette ville ?
✔ Quel est le nom de la région où se trouve ce département ?
✔ À quel étage sommes-nous ?
Plus les résultats sont faibles plus le risque cognitif est élevé. Le cas échéant, un bilan neuropsychologique complet est proposé.
2. Kenigsberg PA, Aquino JP, Berard A, et al. Les fonctions sensorielles et la maladie d’Alzheimer : une approche multidisciplinaire. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015;13:243-58.
3. Uhlmann RF, Larson EB, Rees TS, et al. Relationship of hearing impairment to dementia and cognitive dysfunction in older adults. JAMA 1989;261:1916-9.
4. Lin FR, Metter EJ, O’Brien RJ, Resnick SM, Zonderman AB, Ferrucci L. Hearing loss in incident dementia. Arch Neurol 2011;68:214-20.
5. Amieva H, Ouvrad C, Giulioli C, Meillon C, Rullier L, Dartigues JF. Self-Reported Hearing Loss, Hearing Aids, and Cognitive Decline in Elderly Adults: A 25-Year Study. J Am Geriatr Soc 2015;63:2099-104.
6. Belmin J, Pariel-Madjlessi S, Surun P, et al. The cognitive disorders examination (Codex) is a reliable 3-minute test for detection of dementia in the elderly (validation study on 323 subjects). Presse Med 2007;36(9 Pt1)1183-90.
7. Madjlessi A, Bouccara D. Veille gériatrique. Outil de repérage des fragilités sensori-cognitives. Test AVEC (Audition Vision Equilibre Cognition) de la SOFRESC. Les Cahiers de l’Audition 2015;28(n° 3):46-8.