Depuis quelques années, des études s’accumulent pour montrer que les herpès virus neurotropiques joueraient un rôle dans la pathogenèse de la démence. La vaccination contre ces virus pourrait-elle alors empêcher ou retarder la survenue d’une démence ? Si, depuis quatre ans, plusieurs travaux ont cherché à répondre à cette question sur la base de données rétrospectives, la causalité restait difficile à prouver au vu des nombreux facteurs confondants d’une telle analyse.
Une étude « randomisée » en vie réelle
Une équipe internationale de scientifiques a eu l’idée de répondre à cette question sur la base d’une étude de cohorte séparée en deux bras sur la base d’une expérience naturelle – c’est-à-dire, un événement grâce auquel l’assignation aléatoire au traitement est provoquée par des causes naturelles et/ou politiques. L’événement en question ? Au Pays de Galles, à partir du 1er septembre 2013, les adultes nés le 2 septembre 1933 ou après furent éligibles pendant 1 an à la vaccination contre le zona par Zostavax (qui n’est plus commercialisé en France depuis juillet 2024), tandis que ceux nés avant cette date sont restés inéligibles à vie. Cela a abouti à une quasi-randomisation « en vie réelle » ! En effet, les auteurs ont montré que, parmi ceux nés dans la semaine suivant le 2 septembre 1933, 47,2 % ont été vaccinés avec Zostavax, contre 0,01 % du groupe né la semaine précédente.
Sur la base des données électroniques médicales de patients gallois, l’équipe a donc comparé rétrospectivement sur une période de 7 ans les nouveaux diagnostics de démence (tous types confondus) des patients nés entre le 1er septembre 1925 et le 1er septembre 1942, selon leur date de naissance (avant ou après la date du 2 septembre 1933 qui déterminait leur statut vaccinal). Sur 296 603 personnes initialement incluses, 282 541 ont été retenues dans la cohorte finale analysée.
Les personnes vaccinées avec Zostavax ont un risque réduit de démence
Les résultats sont parus début avril dans Nature. Pendant ce suivi de 7 ans, 35 307 patients ont reçu un nouveau diagnostic de démence. Les auteurs ont calculé que le fait d’être éligible au vaccin (naissance le 2 septembre 1933 ou après) réduisait de 8,5 % (IC95 % = [1,9 % ; 15,1 %]) le risque relatif d’un diagnostic de démence sur cette période. En se restreignant aux patients éligibles qui ont en effet reçu le vaccin, cette réduction relative atteignait 20,0 % (IC95 % = [6,5 % ; 33,4 %]) – soit une réduction absolue de 3,5 % sur 7 ans de la probabilité de nouveau diagnostic de démence chez les vaccinés (IC95 % = [0,6 % ; 7,1 %] ; p-value = 0,019). L’effet protecteur était plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Ces résultats se retrouvent en utilisant la même approche en Angleterre, au schéma vaccinal quasi-identique au pays de Galles.
Notons que les auteurs ont exclu d’autres possibles facteurs confondants qui pourraient justifier ces résultats, et notamment l’accès de la population à d’autres thérapeutiques à partir de 1933 (outre le vaccin contre le zona) ou la moindre utilisation, chez les vaccinés, d’opioïdes (ces derniers étant souvent prescrits lors des épisodes de zona).
Les causes à explorer
Pour les auteurs, ces résultats prouvent que Zostavax peut limiter ou retarder l’apparition d’une démence, et ce d’une manière plus robuste que les études précédentes. Toutefois, la cause de cet effet protecteur reste peu claire. Dans un éditorial accompagnant l’étude, le Dr Anupam B. Jena, de l’unversité de Harvard (États-Unis), évoque deux pistes pour expliquer l’effet « anti-démence » de Zostavax :
- une réaction immunitaire généralisée déclenchée par le vaccin, capable de réduire la neuro-inflammation causée par d’autres raisons que l’infection par le virus varicelle-zona ;
- une moindre réactivation post-vaccination des virus varicelle-zona « dormants », potentiellement neurotoxiques ; leur réactivation est en effet suspectée de causer un dépôt de plaques β-amyloïdes, des dommages aux vaisseaux sanguins et l’agrégation des protéines tau.
Bien que les mécanismes restent à élucider, cette étude a une implication profonde : peut-on envisager la vaccination contre le zona comme outil de prévention à grande échelle contre la démence ?
Reste aussi à déterminer si cet effet protecteur s’applique aussi au Shingrix, le vaccin recommandé contre le zona par la HAS depuis mars 2024, et remboursé depuis le 14 décembre 2024. Sa technologie est en effet différente : il s’agit d’un recombinant avec adjuvant et non d’un vaccin vivant atténué comme Zostavax. Les premiers résultats vont dans le même sens, d’après une communication publiée en juillet 2024 dans Nature Medicine, qui utilise aussi un design fondé sur une expérience naturelle (un changement de schéma vaccinal mis en place en 2017 aux États-Unis).
Eyting M, Xie M, Michalik F, et al. A natural experiment on the effect of herpes zoster vaccination on dementia. Nature 2 avril 2025.