Cette étude observationnelle a inclus, grâce à des bases de données nationales, toutes les personnes âgées de 20 à 80 ans vivant au Danemark et ayant reçu une prescription pour des benzodiazépines ou des agonistes aux récepteurs des benzodiazépines entre janvier 2000 et décembre 2020.
Les chercheurs ont ainsi identifié 950 767 personnes (âge médian : 55 ans) ayant reçu une benzodiazépine hypnotique (midazolam, nitrazépam, triazolam…), une benzodiazépine anxiolytique (diazépam, oxazépam, alprazolam…) ou une Z-drug (zolpidem, zopiclone, zaléplone). Parmi ces personnes, 46 % ont eu une seule prescription ; 22 % ont eu une prescription renouvelée au moins 5 fois avec une durée médiane du traitement de 273 jours – les Z-drugs étant plus concernées que les autres classes.
L’usage au long cours était examiné grâce à deux critères : la prise de ces médicaments pendant plus de 1 an, d’une part, et pendant plus de 7 ans, d’autre part. Les augmentations des doses, qui sont considérées comme un indicateur de développement de dépendance au médicament, étaient calculées uniquement dans le sous-groupe ayant pris le médicament pendant au moins 3 ans. Les données concernant l’âge, le sexe, les caractéristiques sociodémographiques et les comorbidités somatiques et psychiatriques (dépression, anxiété, trouble de l’usage des substances) ont été incluses dans l’analyse.
Un patient sur 6 prend le médicament plus de 1 an
Pour les trois classes médicamenteuses réunies, le risque global d’utilisation supérieure à 1 an était de 15 %. Ce résultat est similaire à ceux d’études menées dans d’autres pays, comme la Norvège ou les États-Unis. À 7 ans, le risque était de 3,3 % ; cette proportion était nettement inférieure à celle retrouvée dans d’autres pays scandinaves – ce qui, selon les auteurs, reflète sans doute l’efficacité des recommandations danoises visant à réduire l’utilisation à long terme de ces médicaments, mises en place depuis les années 1980.
Ce risque était toutefois plus élevé :
- chez les utilisateurs de Z-drugs : 17,8 % à 1 an, versus 13,1 % pour les benzodiazépines anxiolytiques et 9,8 % pour les benzodiazépines hypnotiques ; à 7 ans, les proportions étaient de 4 %, 2,5 % et 3 % respectivement ;
- en cas de comorbidités psychiatriques : ces dernières augmentaient de 10 % le risque d’utilisation supérieure à 1 an de benzodiazépines anxiolytiques, et de 24 % celui de prise de Z-drugs (par rapport aux patients sans comorbidité psychiatrique) ; les personnes ayant un trouble de l’usage des substances étaient particulièrement concernées, avec des risques entre 40 % et 70 % plus élevés selon le médicament.
Les résultats ventilés par molécule – pour celles qui étaient le plus fréquemment utilisées – ont montré que le risque d’utilisation au long cours (1 an) était le plus élevé avec le nitrazépam (18,8 %) et le zolpidem (18,5 %), et le plus bas avec le diazépam (9 %) et le midazolam (0,6 %).
Peu d’augmentations des doses
Les augmentations de doses étaient calculées chez les patients ayant pris de façon continue ces médicaments pendant au moins 3 ans, soit 3,5 % des utilisateurs de benzodiazépines hypnotiques, 4,2 % des utilisateurs de benzodiazépines anxiolytiques et 6,7 % des Z-drugs.
Globalement, les doses médianes étaient plus élevées pendant la première année de traitement et baissaient puis se stabilisaient au cours des deux années suivantes. Les diminutions de doses concernaient respectivement 7,1 %, 11,9 % et 22,9 % des personnes. Les augmentations des doses étaient davantage observées chez les utilisateurs de benzodiazépines hypnotiques (13,6 %) que chez ceux prenant des Z-drugs (7,7 %) et des benzodiazépines anxiolytiques (5,2 %).
Si à 3 ans un pourcentage non négligeable des patients utilisait ces molécules à des doses supérieures à celles recommandées, il s’agissait dans la grande majorité des cas de patients ayant déjà commencé à des doses élevées dès la première année. Ainsi, pour les trois groupes réunis, seules 7 % des personnes (parmi les 5 % ayant pris le médicament sur 3 ans) ont augmenté les doses jusqu’à atteindre des niveaux supérieurs à ceux recommandés.
Enfin, la présence d’une comorbidité psychiatrique, en particulier les troubles de l’usage des substances et la démence, était associée à un risque accru d’augmentation des doses pour les trois classes médicamenteuses.
Qu’en retenir ?
- La prise de benzodiazépines au long cours a concerné une partie relativement faible des patients suivis : 15 % à 1 an, 5 % à 3 ans et 3 % à 7 ans.
- L’escalade thérapeutique aboutissant à des doses supérieures à celles recommandées a concerné une petite proportion d’entre eux (7 % parmi les 5 % ayant pris les médicaments pendant au moins 3 ans).
- La présence de comorbidités psychiatriques, en particulier les troubles liés à l’utilisation de substances, était associée à un sur-risque d’utilisation au long cours et d’augmentation de la dose.
Pour les auteurs, ces résultats n’étayent pas la crainte selon laquelle la prescription de benzodiazépinesselon les recommandations de bon usage en vigueurrésulte fréquemment en une utilisation à long terme ou une dépendance. Ils incitent toutefois à être particulièrement prudents chez les patients ayant des comorbidités psychiatriques.
« Les benzodiazépines ont été très diabolisées, avec une confusion entre addiction et symptômes de sevrage lors de l’arrêt brutal », précise le Dr Hélène Verdoux, psychiatre à l’Université de Bordeaux. « Cela a favorisé l’usage hors AMM d’antidépresseurs comme la mirtazapine ou d’antipsychotiques comme la quétiapine dans l’anxiété et l’insomnie… Quand l’état clinique justifie leur prescription, ces médicaments ont toute leur place, mais les études montrent qu’actuellement des personnes sans aucun trouble psychiatrique identifié souffrant d’insomnie prennent 25 - 50 mg de quétiapine pour dormir ! En termes de bénéfice-risque, il vaut encore mieux une benzodiazépine ».
Les recommandations de bon usage de ces molécules dans l’insomnie sont disponibles dans cette fiche : https ://www.larevuedupraticien.fr/article/hypnotiques-regles-de-bon-usage. Les règles de de prescription chez la personne âgée sont indiquées dans l’encadré ci-dessous.
Règles de prescription des benzodiazépines chez le sujet âgé (> 65 ans)
- Utiliser des molécules à demi-vie courte
- Posologies initiales divisées par 2
- Pas de renouvellement au-delà de 4 semaines sans réévaluation