Actuellement préconisés en Europe (recos 2023) comme aux États-Unis (recos 2025) en post-infarctus afin de réduire le risque de récidive et la mortalité, les bêtabloquants font consensus chez les patients à FEVG réduite (≤ 40 %). Cependant, la question reste ouverte chez les patients à FEVG légèrement diminuée (40 % < FEVG < 50 %) et préservée (FEVG ≥ 50 %) – d’autant plus que les études ayant fondé ces recommandations datent des années 80, avant l’avènement de progrès diagnostiques et thérapeutiques comme les troponines hautement sensibles, les interventions coronariennes percutanées, les agents antithrombotiques, les statines à haute intensité ou encore les antagonistes du système rénine-angiotensine-aldostérone.
Deux grands essais randomisés parus en 2024 avaient déjà abordé ce sujet, avec cependant des résultats difficiles à interpréter du fait de designs très distincts. L’étude REDUCE-AMI avait remis en question l’intérêt de prescrire des bêtabloquants dans un contexte d’infarctus très récent avec FEVG préservée. ABYSS, portant sur des patients avec FEVG préservée ou légèrement diminuée et déjà sous bêtabloquants après un infarctus survenu 3 ans auparavant en moyenne, trouvait que l’arrêt de ce traitement était associé à un surrisque d’effets délétères par rapport à sa poursuite. Heureusement, trois autres études étaient encore en cours en Europe, offrant l’espoir de démêler plus finement la question.
Leurs résultats, qui ont été dévoilés au congrès annuel de la Société européenne de cardiologie fin août 2025, ont fait l’objet de deux articles publiés dans le NEJM (essais REBOOT et BETAMI- DANBLOCK) et d’un troisième papier paru dans European Heart Journal, évaluant l’intérêt des bêtabloquants selon le sexe (essai REBOOT). Enfin, une méta-analyse est parue deux semaines plus tard dans le Lancet au sujet des patients à FEVG légèrement diminuée.
Les résultats de l’ensemble de ces études sont résumés dans le tableau ci-contre.
Des résultats contradictoires en cas de FEVG ≥ 40 %
Dans l’essai multicentrique BETAMI-DANBLOCK (les résultats des 2 essais étant fusionnés car leurs protocoles sont très proches), mené sur 25 sites danois et 19 sites norvégiens, les chercheurs ont randomisé 5574 patients adultes (âge moyen = 63 ans, écart interquartile (EI) = [55 ans ; 71 ans] ; 20,8 % de femmes). Ces derniers avaient subi un infarctus du myocarde récent (quelques semaines). Ils ont été répartis en 2 groupes selon un ratio 1 :1 : le premier a reçu un bêtabloquant au long cours – métoprolol ≤ 200 mg/j (94,5 % des patients, dose médiane d’initiation = 50 mg/j), ou bisoprolol ≤ 10 mg/j, ou carvédilol ≤ 50 mg/j – l’autre non. Le critère de jugement principal (CJP) était un composite de la mortalité toutes causes confondues et des événements CV graves, ou MACE (nouvel IM + revascularisation coronaire non programmée + AVC ischémique + IC + arythmies ventriculaires malignes). Après un suivi médian de 3,5 ans (EI = [2,2 ans ; 4,6 ans]), le hazard ratio (HR) du CJP était de 0,85 (IC 95 % = [0,75 ; 0,98]). Les auteurs en ont conclu que, parmi les patients ayant subi un infarctus du myocarde avec une FEVG ≥ 40 %, les bêtabloquants menaient à un moindre risque de décès ou de MACE.
Les résultats de l’essai REBOOT-CNIC ne vont pas dans le même sens. Conduit dans 109 centres italiens et espagnols, il a randomisé dans un ratio 1 :1 plus de 8 400 patients adultes hospitalisés pour IM avec une FEVG > 40 % (âge moyen ± écart-type = 61,3 ± 11,1 ans ; 19,3 % de femmes) en 2 groupes : initiation de bêtabloquants (dans 85 % des cas, bisoprolol en dose inconnue), ou absence de bêtabloquants. Le critère composite CJP réunissait mortalité toutes causes confondues, infarctus du myocarde non fatal et hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Après un suivi médian de 3,7 ans, les auteurs rapportent l’absence d’effet des bêtabloquants sur ces différents paramètres. Parmi les personnes à FEVG préservée, ceux prenant un bêtabloquant avaient un HR du CJP tendant à être plus élevé que les contrôles, bien que sans significativité (HR = 1,09 ; IC 95 % [0,92 ; 1,29]) – une tendance absente chez ceux avec un FEVG < 50 % (HR = 0,75 ; IC 95 % [0,49 ; 1,14]).
« Ces résultats ne sont pas complètement discordants , considère Philippe Gabriel Steg, PU-PH de cardiologie à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard – AP-HP (Paris), au micro de Cardio-online. Si les patients ont une petite dose de bêtabloquants (ce qui est potentiellement le cas dans REBOOT-CNIC), on peut craindre qu’ils soient inutiles. Pour qu’ils montrent un bénéfice, il faut utiliser une dose qui bêtabloque, comme 50 mg de métoprolol par exemple. »
Un bénéfice pour les FEVG légèrement diminuée ?
Enfin, une méta-analyse du Lancet a regroupé 1 885 patients à FVEG légèrement diminuée (40 % < FEVG < 50 %) des essais REBOOT-CNIC (N = 979), DANBLOCK (N = 430), BETAMI (N = 422), et CAPITAL-RCT (un essai randomisé japonais de 2018 ; N = 54). 991 d’entre eux ont reçu des bêtabloquants, et 894 ont servi de contrôle. Le CJP était un composite regroupant mortalité toutes causes confondues, nouvel infarctus et insuffisance cardiaque. En se retreignant à cette population, les auteurs trouvent que le traitement par bêtabloquants est associé à une réduction significative du CJP (HR = 0,75 ; IC 95 % = [0,58 ; 0,97] ; p = 0,031). « Ce n’est pas illogique, car ce sont des patients qui ont déjà un début de dysfonction ventriculaire gauche, et on sait que dans l’insuffisance cardiaque et la dysfonction ventriculaire gauche, les bêtabloquants sont bénéfiques », commente le Dr Philippe Gabriel Steg.
Surrisque potentiel chez les femmes
L’analyse par sexe des résultats de REBOOT-CNIC trouve que l’incidence du CJP est significativement plus élevée chez les femmes sous bêtabloquants que chez celles non traitées (HR = 1,45 ; IC 95 % = [1,04 ; 2,03] ; p = 0,026). Soit une augmentation du risque absolu de 0,9 % par an – un effet qui n’est pas observé chez les hommes. Dans REBOOT-CNIC, les femmes avaient un profil plus à risque CV que les hommes (plus âgées de 5 ans en médiane, avec davantage de comorbidités). Les effets délétères des bêtabloquants semblent se concentrer chez les femmes à FEVG préservée et recevant de hautes doses. Bien que les autres essais contemporains n’aient pas retrouvé ce surrisque chez les femmes, les auteurs considèrent que ce résultat exploratoire impose de nouveaux travaux de recherche.
Pour Philippe Gabriel Steg, ce résultat est « très inattendu », difficile à comprendre du point de vue mécanistique et sa robustesse est « sujette à caution ». Il appelle à réanalyser tous les autres essais, afin de déterminer si cette association est un hasard statistique ou une constante.
Alors, que tirer de ces différentes études ?
La discussion fait rage parmi les spécialistes. Pour l’instant, le Dr Philippe Gabriel Steg propose les recos pratiques suivantes :
- continuer à donner des bêtabloquants aux patients qui n’ont pas d’insuffisance cardiaque avec une FEVG légèrement diminuée (40 % < FEVG < 50 %) ;
- si la FVEG est préservée (≥ 50 %) : ne pas arrêter les bêtabloquants chez les patients qui les tolèrent ; éventuellement, les instaurer s’il n’y a pas de problème de tolérance ;
- si l’on traite, il ne faut pas donner une « petite dose symbolique » de bêtabloquants (par exemple, 1,25 mg/j de bisoprolol), qui probablement ne sert à rien, mais une dose « qui bêtabloque » (par exemple, 50 mg/j de métoprolol).
À l’avenir, de nouvelles réponses pourront venir du Canada ou de Corée du Sud, où se déroulent actuellement deux études d’ampleur sur la question de la durée idéale du traitement par bêtabloquants après infarctus.
Ibanez B, Latini R, Rossello X, et al. Beta-Blockers after Myocardial Infarction without Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med 30 août 2025.
Rossello X, Dominguez-Rodriguez A, Latini R, et al. Beta-blockers after myocardial infarction: effects according to sex in the REBOOT trial Open Access. Eur Heart J 30 août 2025.
Rossello X, Bossano Prescott EI, Kristensen AMD, et al. β blockers after myocardial infarction with mildly reduced ejection fraction: an individual patient data meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2025;406(10508):1128-37.
Pour en savoir plus :
Martin Agudelo L. La fin des bêtabloquants en post-infarctus ? Rev Prat (en ligne) 18 avril 2024.