Quel est l’intérêt d’une bibliothèque de médecine quand l’internet permet d’avoir accès à la plupart des documents ?
Une bibliothèque a plusieurs fonctions. L’une d’elles est d’offrir un lieu de sociabilité, un endroit où les gens, en particulier les étudiants, peuvent se rencontrer, plutôt que de rester seuls devant leur écran d’ordinateur ou les pages de leurs livres. C’est la fonction classique de la salle d’études, qui perdurera. Manifestement, de nombreux étudiants l’apprécient, d’autant plus que la BIU est située en plein cœur de Paris, dans un quartier où ils peuvent trouver librairies, cafés, cinémas, etc.
Bien entendu, la bibliothèque permet de consulter ou d’emprunter de nombreux documents, imprimés ou pas. On ne trouve pas tout sur internet. Mais il est vrai que le web donne accès gratuitement à beaucoup de données, ce qui explique pourquoi étudiants et professionnels s’abonnent de moins en moins aux revues payantes.
Cela étant, il faut savoir chercher. Le web est devenu une jungle où coexistent le pire et le meilleur. Vous obtiendrez toujours des milliers de réponses en tapant quelques mots dans Google. Mais comment sélectionner les bonnes ? Cela s’apprend. Une bonne partie de l’activité des bibliothèques est la formation aux techniques documentaires, de recherche et de gestion de l’information, d’utilisation d’outils comme PubMed, de constitution de bases de références, de construction de dossiers rassemblant les fichiers pertinents pour un travail donné.
Elle s’adresse aussi bien aux étudiants qu’aux enseignants et aux professionnels. Nous organisons ainsi des formations à la demande de groupes, par exemple des internes en santé publique ou des kinésithérapeutes, ainsi que des séances pour les médecins généralistes, à des horaires compatibles avec leur activité (le soir ou le samedi, par exemple).
Nous avons également mis en place un système de questions-réponses et un service internet qui permet d’obtenir une réponse en 24 heures, assortie d’une bibliographie et de conseils, suggérant par exemple d’explorer telle ou telle piste de travail. La troisième fonction d’une bibliothèque est donc celle de formation et d’accompagnement à la recherche documentaire, qui n’est pas ou peu enseignée dans les cursus universitaires. Mais de plus en plus de facultés mettent en place ce type d’apprentissage, qui pose quelques problèmes : faut-il le faire en tutoriel, en présentiel, en ligne ? Doit-il être obligatoire ou optionnel ? Doit-on contrôler le travail des étudiants ? Etc. C’est une très grosse machine à construire.
Enfin, depuis plusieurs années, nous avons un service de numérisation du fonds documentaire. Contrairement à une idée reçue, ça n’est pas très difficile : il suffit d’avoir un bon scanner. En revanche, il faut décider de ce qui va être numérisé et surtout le rendre accessible et pérenne. Pour cela, les documents doivent être bien décrits, avec des métadonnées compréhensibles dans le monde entier, leur archivage doit permettre leur conservation dans la durée. Les placer sur un disque dur ne suffit pas : il ne sera peut-être plus lisible dans quelques dizaines d’années, parce que le matériel ou les standards logiciels auront changé. Nous faisons appel à un des quelques organismes français qui savent comment faire pour assurer une conservation utile sur le long terme.
La BIU Santé travaille-t-elle avec d’autres bibliothèques ?
Les abonnements ne sont-ils pas en voie d’être dépassés par le développement de l’Open Access ?
Où en sont les revues de langue française ?
L’Open Access va continuer à s’étendre, mais plusieurs problèmes sont à résoudre, notamment de financement et de prise en charge institutionnelle, voire politique. Aux États-Unis, l’État fédéral développe l’Open Access avec comme principe que la recherche financée par les pouvoirs publics doit être disponible sans frais. Mais les éditeurs privés proposent aussi l’accès libre, en faisant payer non pas les lecteurs, mais les laboratoires qui veulent que certains articles soient accessibles gratuitement.
La situation actuelle est donc instable, complexe et même confuse. Mais je pense que dans l’avenir les deux secteurs seront complémentaires, l’un n’éliminera pas l’autre. Les bibliothèques universitaires ont d’ailleurs un rôle important à jouer dans ces changements. Le Big Data est à la mode, mais l’exploiter ne peut se faire qu’avec des données accessibles à tout le monde, sur toute la planète, et de manière pérenne. C’est la fonction des métadonnées, des mots clés, des résumés d’articles, des catalogues, de tous les descripteurs imaginables. Il y a donc un problème d’indexation. Cela fait plus de 3 000 ans que les bibliothécaires y travaillent, que le support soit une tablette d’argile ou un fichier numérique. Nous avons donc une compétence indéniable, même si dans de nombreux domaines il faut s’adjoindre celle des chercheurs de la discipline concernée pour être pertinent : le savoir est de plus en plus très spécialisé.
Comment voyez-vous l’avenir des bibliothèques françaises de médecine ?
La Bibliothèque interuniversitaire de médecine (BIUM) a été fondée en même temps que la faculté de médecine de Paris, au XIIIe siècle. Le plus ancien document qui y est conservé date de 1395.
En 2011, elle a fusionné avec la Bibliothèque interuniversitaire de pharmacie (BIUP) pour constituer la BIU Santé.
Très modeste pendant plusieurs siècles, sa collection s’est véritablement enrichie à partir de la Révolution, sous l’impulsion de Pierre Sue, chirurgien et professeur d’anatomie, qui fut autorisé par le gouvernement à visiter les dépôts où étaient conservés les biens confisqués aux émigrés et à y choisir tous les ouvrages utiles aux étudiants et aux professeurs de la nouvelle École de santé créée en 1794. Pendant une dizaine d’années, Pierre Sue a rassemblé quelque 15 000 livres et thèses, dont toutes les éditions originales de traités de médecine parues depuis la Renaissance et des ouvrages de toutes disciplines (botanique, littérature, histoire, théologie, physique, etc.).
La bibliothèque possède la quasi-totalité des thèses de médecine de Paris soutenues depuis 1539. Elle en reçoit encore 5 000 chaque année (médecine et dentaire). En effet, à partir du XIXe siècle, elle s’est concentrée sur les disciplines médicales, mais aussi odontologiques, puisque qu’elle a hérité en 1976 des collections de l’École dentaire de Paris.
Depuis cette époque, elle a bénéficié de très nombreux dons : brochures, tirés à part, opuscules, envois d’auteurs ou de sociétés savantes, documents rares ou méconnus, objets. Paris a longtemps été la capitale mondiale de la médecine, jusqu’en 1870-1880, et sa bibliothèque en a largement profité.