Ses auteurs, affiliés au Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, ont exploité des bases de données mondiales telles que le GLOBOCAN (Global Cancer Observatory), le Cancer Incidence in Five Continents et les données mondiales de mortalité recueillies par l’OMS. Leurs résultats ont été publiés fin février dans Nature Medicine .
Une Française sur neuf aura un cancer du sein avant 75 ans
En 2022, au niveau mondial, 2,3 millions de nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués et 670 000 décès dus à ce cancer sont survenus. Cela correspond à un quart des nouveaux cas de cancers et à 16 % des décès liés au cancer chez les femmes (excluant ceux de la peau autres que le mélanome). La grande majorité des cas concernaient des femmes âgées de 50 ans et plus (71 % des nouveaux cas et 79 % des décès).
Sans surprise, les taux d’incidence et de mortalité variaient énormément selon le niveau de revenu des pays. En 2022, les taux d’incidence standardisés sur l’âge étaient les plus élevés dans les pays à plus hauts revenus, allant de 85 à 105 pour 100 000 habitants dans les pays d’Europe de l’Ouest et du Nord, les États-Unis, le Canada ou l’Australie, soit 2 à 4 fois plus élevés que dans la plupart des pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud. Ainsi, le risque cumulé d’avoir un cancer du sein avant 75 ans était le plus élevé pour les femmes habitant dans les pays riches ; la France affichait le risque le plus élevé au niveau mondial (11 %), mais celui-ci était en réalité très proche des autres pays à hauts revenus (10 % ailleurs en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie…). Pour les taux de mortalité standardisés sur l’âge, l’inverse était vrai, quoique de façon un peu moins marquée, avec les taux les plus faibles généralement observés dans ces dernières régions.
Ces écarts d’incidence reflètent principalement des différences dans la prévalence des facteurs de risque connus entre les pays à hauts, moyens et bas revenus. Les auteurs soulignent que les premiers sont en effet caractérisés par des prévalences généralement plus élevées de surpoids et obésité, de consommation d’alcool et de sédentarité, ainsi que de celles d’autres facteurs de risque spécifiques au cancer du sein (âge plus élevé au moment du premier enfant ; fait d’avoir moins ou pas d’enfants et d’allaiter moins ; historiquement : davantage de contraception hormonale ou de traitements hormonaux de la ménopause). Dans une moindre mesure, un meilleur dépistage – notamment grâce aux programmes de dépistage organisé – peut aussi être en cause dans cet écart des taux d’incidence. Les différences en matière d’infrastructures de santé (accès à un diagnostic précoce et un traitement) sont également en jeu, notamment dans les différences de mortalité.
Évolution de l’incidence et de la mortalité depuis la fin des années 2000
Pour analyser l’évolution temporelle des taux d’incidence et de mortalité, les chercheurs disposaient de données d’une cinquante de pays sur la période 2008 - 2017.
Dans environ la moitié des pays inclus, les taux d’incidence standardisés sur l’âge ont augmenté à un rythme d’entre 1 et 5 % par an. Toutefois, cette tendance était, elle aussi, différente selon le niveau de revenus : les pays les plus riches (ayant un indice de développement humain [IDH] > 0,9) avaient des taux d’incidence stables ; pour la France, l’évolution annuelle a été de 0,1 % tous âges confondus ainsi que pour les femmes de 50 ans ou plus, et de 0,3 % pour les moins de 50 ans. En revanche, les pays dont l’IDH était inférieur à 0,9 ont eu une hausse de ces taux d’incidence.
Les taux de mortalité ont diminué dans 30 des 46 pays analysés, dont la France ; la quasi-totalité d’entre eux, sauf Cuba, étaient des pays à IDH très élevé. Néanmoins, seuls sept pays – tous situés en Europe – ont atteint l’objectif de l’OMS de diminuer ce taux d’au moins 2,5 % par an (Malte, Danemark, Belgique, Suisse, Lituanie, Pays-Bas, Slovénie) ; en France, la diminution était de 1,3 % par an. Les taux de mortalité ont augmenté dans 7 pays : Colombie, Brésil, Roumanie, Mexique, Slovaquie, Pologne et Corée.
Sur la base de ces données, les chercheurs ont estimé que, si ces tendances se poursuivent, les nouveaux cas de cancer du sein et les décès liés auront augmenté respectivement de 38 % et de 68 % d’ici à 2050 au niveau mondial – des évolutions qui toucheront notamment les pays à faible IDH.
En revanche, si à partir de maintenant tous les pays réussissaient à atteindre l’objectif de l’OMS (réduction de la mortalité de 2,5 % par an), le nombre de décès liés au cancer du sein en 2050 serait presque divisé par deux au niveau mondial (560 000 contre 1,1 million). Ces données et projections soulignent, par ailleurs, l’importance de la prévention primaire : comme les rappellent les auteurs, environ un quart des cancers du sein pourraient être évités en réduisant les facteurs de risque tels que la consommation d’alcool (ce qui préviendrait entre 4 à 16 % des cas selon les études), l’obésité (8 à 28 %), la sédentarité (2 - 10 %) et l’utilisation d’hormones exogènes (3 %), et en augmentant l’allaitement (4 %). Les auteurs proposent ainsi d’agir sur les leviers financiers, notamment taxer davantage l’alcool, le tabac, la « malbouffe » et les boissons sucrées afin de réduire le fardeau sanitaire de ce cancer dans le monde.