Si des études précédentes avaient suggéré ce lien, ce travail qui vient de paraître dans le JAMA est le premier à avoir inspecté les données de plus de 4 millions de personnes sur 20 ans pour explorer l’association entre un trouble de l’usage du cannabis et la survenue de cancers ORL, spécifiquement des tumeurs hypopharyngées, laryngées, nasopharyngées, orales, oropharyngées et des glandes salivaires.
Les chercheurs ont extrait de la base de données TriNetX des dossiers cliniques anonymisés de plus de 64 centres de santé aux États-Unis. Deux cohortes de patients sans antécédent de cancers ORL ont été constituées : la cohorte « trouble de l’usage du cannabis » [TUC] (116 076 patients avec 44,5 % de femmes et un âge moyen de 46,4 ans) et la cohorte contrôle sans diagnostic de TUC (3 985 286 personnes avec 54,5 % de femmes et un âge moyen de 60,8 ans). Après appariement pour l’âge, le sexe, les caractéristiques ethniques, les troubles de l’usage de l’alcool et le tabagisme, chacune comprenait 115 865 personnes.
La comparaison de l’incidence des cancers ORL entre les deux groupes dans les années suivant le diagnostic de TUC (ou sa date équivalente dans le groupe contrôle) a révélé que les patients ayant un TUC avaient globalement un risque multiplié par 3,5 d’avoir une tumeur ORL par la suite (risque relatif = 3,49 ; IC95 % : 2,78 - 4,39).
Le sur-risque était plus important pour les tumeurs laryngées (RR = 8,39) et oropharyngées (RR = 4,90), suivies des tumeurs nasopharyngées (RR = 2,60), orales (RR = 2,51) et des glandes salivaires (RR = 2,70), mais pas pour les tumeurs hypopharyngées. Il était aussi accentué lorsque l’analyse ne prenait en compte que les cas survenant plusieurs années après la date du diagnostic de TUC : il était multiplié par 4,4 si le délai était ≥ 1 an et par 5 s’il était ≥ 5 ans, toutes localisations tumorales confondues (un argument en faveur de la robustesse de l’association). Les résultats étaient similaires lorsqu’ils étaient stratifiés par âge.
Cette étude est la première à étayer, sur une vaste cohorte, une association entre le trouble de l’usage du cannabis et un sur-risque de cancers ORL, indépendamment de la consommation de tabac et d’alcool, qui sont des facteurs de risque connus pour ces cancers.
Une hypothèse évoquée par ces chercheurs pour expliquer l’association est le rôle de la fumée de cannabis, qui pourrait même être davantage pro-inflammatoire que celle du tabac (inhalations plus profondes, absence de filtres…) – outre les produits cancérogènes trouvées dans la fumée, qui sont similaires dans les deux cas (hydrocarbures aromatiques polycycliques, composés organiques volatiles comme le formaldéhyde…). Le rôle cancérogène direct des cannabinoïdes est pour le moment incertain.
Enfin, les auteurs soulignent que, avant de conclure à l’usage du cannabis comme un facteur de risque indépendant, d’autres recherches sont nécessaires pour explorer la relation dose-effet avec des groupes contrôles mieux constitués et pour mieux expliquer les mécanismes de cette association.
Keck Medecine of USC. Cannabis use tied to head and neck cancer. 8 août 2024.
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