S’ils sont récurrents et qu’ils altèrent de façon significative le sommeil et le fonctionnement de la personne, les cauchemars sont une pathologie à part entière et méritent une prise en charge spécifique. Il faut savoir les distinguer des autres parasomnies – terreurs nocturnes, trouble comportemental en sommeil paradoxal, hallucinations liées au sommeil – d’autant qu’elles n’ont pas le même pronostic.

 

D’après l’article d’Agnès Brion, psychiatre, spécialiste des troubles du sommeil et de la vigilance et vice-présidente du réseau Morphée, Paris.

Le cauchemar est défini comme un rêve extrêmement dysphorique (tonalité très désagréable, triste, anxieuse…) dont le souvenir au réveil est clair et qui implique une situation de danger imminent et de menace vitale. Il s’agit d’une parasomnie. Les cauchemars s’expriment préférentiellement durant le sommeil paradoxal (SP), en 2e partie de nuit, voire en fin de nuit. Ils peuvent être idiopathiques ou associés à un autre trouble ou à une maladie. Une prédisposition génétique a été mise en évidence. Les cauchemars répétés qui altèrent de façon significative le sommeil et le bon fonctionnement de l’individu sont appelés « maladie des cauchemars ». En effet, il faut bien différencier le cauchemar, trouble banal dans sa forme occasionnelle, des cauchemars récurrents, qui sont une pathologie à part entière et méritent une prise en charge spécifique, d’autant plus qu’ils représentent un facteur de risque indépendant de suicide.

Une fréquence sous-estimée

On estime que deux tiers des enfants de 3 à 6 ans en font, et que 2 à 6 % des adultes considèrent leurs cauchemars comme gênants. Cependant, les données épidémiologiques sont disparates. Il existe un pic de prévalence autour de l’âge de 10 ans et à partir de l’adolescence, puis une tendance à l’augmentation chez les filles mais pas chez les garçons.

Les cauchemars sont présents chez 18,6 % des personnes qui souffrent d’insomnie et sont fréquents quand il existe une psychopathologie ; ils font partie des symptômes du trouble de stress post-traumatique (TSPT) où ils sont notés dans 80 % des cas. Des enquêtes récentes ont montré que les personnes qui souffrent de cauchemars récurrents n’en parlent pas spontanément à leur médecin.

Quelle origine ?

Longtemps, on a considéré les cauchemars comme secondaires ou symptomatiques d’une maladie sous-jacente, dont la prise en charge pouvait se confondre avec celle de la cause présumée. Les études empiriques sur les rêves montrent que les émotions négatives y occupent une place prépondérante. La question d’une fonction propre des mauvais rêves donne lieu à plusieurs théories, mettant plus ou moins l’accent sur un rôle adaptatif et de régulation émotionnelle. Une régulation de la mémoire émotionnelle s’opérerait grâce à un processus de recombinaison des souvenirs effrayants avec d’autres éléments de contexte différent, permettant une extinction de la peur. Les personnes souffrant de cauchemars récurrents pourraient subir une altération des mécanismes d’extinction de la peur et donc continuer d’activer des fragments de mémoire ayant un contenu effrayant.

 

Comment les distinguer des autres types de parasomnies ?

– La terreur nocturne est un trouble du réveil en sommeil lent profond qui survient préférentiellement en début de nuit. L’entourage décrit un redressement brutal dans le lit, accompagné d’un cri perçant et de manifestations de peur avec tachycardie, tachypnée, sueurs, mydriase. Le sujet ne répond pas aux stimuli extérieurs. L’amnésie de l’épisode est fréquente, particulièrement chez l’enfant, mais les adultes se souviennent parfois de fragments de rêves effrayants, de situations de danger imminent, de confrontation à des personnages ou des situations menaçants… Le réveil complet, quand il existe, passe par une phase de confusion, ce qui différencie bien la terreur nocturne du cauchemar, après lequel le sujet est immédiatement bien orienté au réveil.

– Le trouble comportemental en sommeil paradoxal concerne surtout des sujets âgés et se présente comme la mise en acte de cauchemars. Le comportement mime une lutte violente, des coups de poing ou de pied, ou plus rarement des gestes de la vie courante. Le sujet peut, du fait de son agitation, tomber du lit, se blesser ou blesser son partenaire ; s’il est réveillé, il est bien orienté et peut raconter le contenu du cauchemar. Ce trouble correspond à une perte de l’atonie musculaire normalement présente en sommeil paradoxal. Il est soit idiopathique, soit secondaire : il peut être associé à un traitement antidépresseur ou à une maladie neurologique (narcolepsie) ; il accompagne des synucléinopathies (maladie de Parkinson, démence à corps de Lewy et atrophie multisystémique) dont il est un signe précoce, bien antérieur aux manifestations cliniques.

– Les hallucinations récurrentes liées au sommeil, vécues juste avant l’endormissement et au réveil la nuit ou le matin, sont essentiellement visuelles, parfois auditives ou cénesthésiques. Fréquentes chez les jeunes, on suppose qu’elles sont dues à l’intrusion de fragments de rêve du sommeil paradoxal dans l’état de veille, au cours des périodes de transition veille-sommeil.

– Rares, les « hallucinations visuelles nocturnes complexes » se manifestent en plein éveil, après un réveil brusque sans souvenir de rêve, et consistent en des productions d’images vives et complexes de personnages ou d’animaux ; les patients peuvent sauter hors du lit, effrayés, et se blesser. Elles peuvent être idiopathiques ou se produire dans le cadre de maladies neurologiques (narcolepsie, maladie de Parkinson, démence à corps de Lewy) ou de troubles ophtalmologiques (syndrome de Charles Bonnet).

Certains réveils produisent des effets d’angoisse intense : c’est le cas de la paralysie du sommeil, qui survient lors d’un réveil en sommeil paradoxal, où le sujet réveillé ne peut pas bouger du fait de la persistance de l’atonie musculaire du sommeil paradoxal.

Troubles psychiatriques : comorbidité la plus fréquente

Dans la plupart des cas, les cauchemars ne sont pas au premier plan de la symptomatologie et doivent être recherchés. Ils sont fréquents dans le trouble anxieux généralisé, les troubles de personnalité borderline, de l’humeur ou psychotiques. Immédiatement après une expérience traumatisante, la présence de cauchemars est prédictive de l’installation à court terme d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et ils peuvent perdurer après sa guérison. Les cauchemars récurrents du TSPT ont des particularités : tous les stades de sommeil sont concernés, le sommeil paradoxal mais aussi le sommeil lent. Ils surviennent autant en début qu’en fin de nuit et sont parfois associés à des comportements moteurs. Leur contenu correspond à l’intrusion et à la reviviscence pendant le sommeil de l’événement responsable du traumatisme et aussi à des thématiques menaçantes sans lien direct. L’insomnie, qui va de pair avec l’hypervigilance du trouble, et le syndrome d’apnées du sommeil sont souvent associés.

Attention aux causes iatrogènes 

De nombreux médicaments de prescription courante provoquent des cauchemars : bêtabloquants (bisoprolol), antidépresseurs (paroxétine, fluoxétine), agonistes dopaminergiques (ropinirole, amantadine), inhibiteurs de la cholinestérase (donépézil), certains antibiotiques (érythromycine) et antiviraux, benzodiazépines. Le sevrage brutal de médicaments inhibant le sommeil paradoxal peut aussi provoquer des cauchemars (benzodiazépines, antidépresseurs).

Quand pratiquer une polysomnographie ?

Le recours à un enregistrement polysomnographique n’apporte pas d’élément diagnostique supplémentaire pour reconnaître un cauchemar.

Si l’on suspecte un trouble comportemental en sommeil paradoxal, la vidéo-polysomnographie fait le diagnostic de certitude. Il faut rechercher des signes en faveur d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil, qui est significativement associé à des cauchemars récurrents, particulièrement ceux du TSPT.

Prise en charge : avant tout psychothérapeutique

Parmi les traitements psychologiques qui ont fait l’objet d’études contrôlées, la thérapie par répétition d’imagerie mentale (RIM) a fait ses preuves : elle diminue la détresse liée aux cauchemars et leur fréquence, avec un bon maintien des résultats dans la durée. Cette thérapie fait appel à un modèle cognitivo-comportemental où le cauchemar persiste comme un « comportement » appris. Il est proposé au sujet de remplacer le scénario du cauchemar récurrent par un autre scénario, « souhaité », et d’effectuer un travail d’imagerie la journée, permettant l’incorporation du nouveau scénario.

D’autres psychothérapies sont utiles, sans offrir le même niveau d’efficacité : des thérapies cognitivo-comportementales classiques (thérapie d’exposition, désensibilisation systématique). Le rêve lucide (rêve durant lequel le rêveur a conscience qu’il rêve) permet un apprentissage destiné à modifier le cours des rêves. L’hypnothérapie a fait l’objet de peu d’études. Les thérapies psychodynamiques s’intéressent à l’analyse et l’interprétation du contenu des cauchemars : il existe des études de cas mais pas d’essai contrôlé.

Il n’y a pas de consensus sur le traitement médicamenteux. La prazosine, un antihypertenseur antagoniste alpha-1-adrénergique, est proposée dans les formes sévères de la maladie des cauchemars, notamment celles associées au trouble de stress post-traumatique, mais son efficacité est discutée.

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Brion A. Conduite à tenir devant les cauchemars récurrents.Rev Prat 2021;71(9);1001-6.

Image : «El sueño de la razón produce monstruos», Francisco de Goya, gravure 213 x 151 mm (1799), Museo del Prado, Madrid.

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