Le rôle favorisant ou protecteur de certains aliments sur la survenue du cancer colorectal (CCR) a été étayé par plusieurs données de la littérature. Mais, pour la première fois, les résultats parus dans Nature d’une vaste étude de randomisation mendélienne couplés à une étude de cohorte prospective sur un demi-million de femmes non seulement confirment certaines associations mais en révèlent le lien causal.

Certains facteurs de risque alimentaires de cancer colorectal sont bien connus : la consommation d’alcool et de viandes rouges et viandes transformées (charcuteries, viandes salées, séchées, fumées, etc.) est associée avec la survenue de ce cancer avec une relation dose-dépendante. À l’inverse, des facteurs protecteurs ont été retrouvés dans plusieurs études, notamment la consommation de fibres alimentaires et de produits laitiers.

Aujourd’hui, la plus vaste analyse sur les facteurs alimentaires du CCR, combinant une étude de cohorte prospective (sur 500 000 femmes) et la plus grande étude d’épidémiologie génétique sur ce sujet (près de 100 000 personnes), confirme le rôle protecteur des produits laitiers. Grâce à une randomisation mendélienne – une méthode qui mime un modèle expérimental de randomisation parce que la répartition des allèles dans une population est aléatoire –, elle indique qu’il s’agit d’une relation causale. Ses résultats viennent d’être publiés dans Nature .

Un rôle protecteur des produits laitiers principalement dû au calcium

L’étude prospective a concerné 542 778 femmes au Royaume-Uni suivies pendant en moyenne 17 ans (âge moyen à l’inclusion : 60 ans). Il s’agissait d’un sous-groupe des participantes de l’étude « Million Women Study » qui a recruté plus d’un million de femmes dans ce pays entre 1996 et 2001 à travers le programme de dépistage organisé du cancer du sein.

Les participantes ont rempli un questionnaire sur leur habitudes alimentaires, permettant aux chercheurs d’étudier l’association entre 97 aliments ou nutriments et le risque de survenue du CCR (elles étaient réinterrogées tous les 3 à 5 ans environ pour actualiser les informations sur les principales expositions). Les femmes rapportant un changement dans leur habitudes alimentaires pour des raisons de santé dans les 5 dernières années ou déclarant dès l’inclusion être en mauvaise santé ont été exclues de l’analyse pour éviter un biais de causalité inverse.

Pendant le suivi, 12 251 participantes ont eu un diagnostic de CCR. Les chercheurs ont calculé les risques relatifs de survenue de CCR pour les 97 aliments, dont 17 ont montré des associations significatives (soit positives, soit négatives).

Outre la confirmation d’une forte association positive entre la consommation d’alcool et le risque de CCR (avec une hausse de 15 % du risque pour 20 g d’alcool/jour supplémentaires), l’analyse a montré une réduction de 17 % du risque de CCR par 300 mg de calcium consommés par jour. Ces deux associations dose-dépendantes étaient les plus fortes constatées dans l’étude. L’association positive entre la consommation de viande rouge et de viande transformée et la survenue de CCR a également été confirmée, indépendamment d’autres facteurs liés à l’alimentation et au mode de vie.

Par ailleurs, la consommation de lait, yaourt, riboflavine, magnésium, phosphore et potassium (nutriments liés aux produits laitiers) était aussi inversement associée au risque de CCR. Parmi les aliments et nutriments liés aux produits laitiers inclus dans l’étude, tous étaient inversement associés au risque de CCR, à l’exception du fromage et de glace. Toutefois, une analyse plus approfondie a révélé que ces relations étaient principalement dues à l’association de ces facteurs avec le calcium alimentaire : notamment, la consommation de calcium était associée de manière indépendante à un moindre risque de CCR, alors que la consommation de lait n’était pas indépendamment associée à cette diminution. Les chercheurs n’ont pas trouvé de différences selon la source de calcium alimentaire (à noter que seul le calcium alimentaire a été inclus dans cette étude, et non les supplémentations en calcium).

Ces résultats confirment ceux d’autres études et révèlent des diminutions du risque de CCR plus importantes que celles retrouvées dans ces dernières : 17 % de risque en moins pour 300 mg/jour de calcium et 14 % de risque en moins pour 200 g/jour de lait (contre moins de 10 % dans la plupart des études précédentes).

Enfin, pour comprendre si cette relation était causale, les chercheurs ont mené une étude de randomisation mendélienne sur près de 100 000 personnes d’ascendance européenne (52 865 cas de CCR et 46 287 contrôles). Si les apports alimentaires de calcium n’ont pas une variante génétique établie à laquelle ils pourraient être imputés, l’ingestion de lait dans les populations européennes est, elle, fortement prédite par la production de l’enzyme lactase (nécessaire à la digestion du lactose), un génotype qui peut être retracé dans de telles analyses et comparé à celui des personnes ne pouvant pas digérer le lait (donc n’en consommant pas). Or la consommation de lait peut être utilisée comme un indicateur de celle de calcium puisqu’une grande partie du calcium alimentaire en Europe provient du lait (environ un tiers dans le Million Women Study). Les auteurs ont ainsi pu établir que la consommation de lait génétiquement prédite était inversement associée au risque de survenue du CCR. Ils en ont conclu que les produits laitiers ont un rôle protecteur contre le cancer colorectal et que cette protection est probablement due au calcium principalement.

Quels mécanismes ?

Le rôle protecteur du calcium pourrait être lié à sa capacité à se lier aux acides biliaires et aux acides gras libres dans la lumière du côlon, réduisant ainsi leurs effets potentiellement cancérigènes.

En outre, des travaux expérimentaux menés sur des rats ont montré que des niveaux élevés de calcium alimentaire dans la lumière du côlon réduisent la perméabilité de la barrière intestinale, ce qui contribuerait à protéger la muqueuse contre les lésions causées par des agents potentiellement nocifs (par exemple, les acides biliaires).

Un effet direct du calcium sur le tissu intestinal a aussi été suggéré par d’autres travaux expérimentaux, qui ont montré que le calcium peut favoriser la différenciation des cellules épithéliales colorectales, améliorer l’apoptose et réduire les dégâts de l’ADN causés par des agents oxydatifs dans la muqueuse.

Pour en savoir plus
Papier K, Bradbury KE, Balkwill A, et al. Diet-wide analyses for risk of colorectal cancer: prospective study of 12,251 incident cases among 542,778 women in the UK.  Nature Com 2025;375(16).
À lire aussi :
Denis B. Facteurs de risque et de protection du cancer colorectal.  Rev Prat 2022;722(8);889-7.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Une question, un commentaire ?