La chaire Vulca (« Vulnérabilités et capabilités, vivre avec une maladie génétique ») est un projet novateur pour les maladies génétiques rares. Cette initiative unique allie médecine, design, sciences exactes et sciences humaines et sociales pour répondre aux besoins spécifiques des personnes vivant avec une maladie génétique rare. Les trois coordinatrices prônent un accompagnement permettant aux individus d’accroître leurs compétences de faire des choix réels et significatifs. Elles proposent également un modèle transdisciplinaire transposable à d’autres problématiques de santé.

La dignité humaine repose sur la capacité de chaque individu à agir librement, à se réaliser, à construire et à vivre pleinement. Martha Nussbaum, dans son concept des «  capabilités  »,1 souligne que le respect des potentialités de chacun constitue le fondement d’une société juste. Appliqué au domaine des maladies génétiques rares, ce concept prend une dimension cruciale  : il s’agit de redonner aux patients les moyens d’être acteurs de leur vie, malgré les défis imposés par leur condition.

Une vision ancrée dans les capabilités humaines

C’est précisément dans cet esprit que la chaire «  Vulnérabilités et capabilités, vivre avec une maladie génétique » (Vulca) a été fondée. Portée par l’Institut Imagine, l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad)-université Paris Sciences & Lettres (PSL) et l’École normale supérieure (ENS)-PSL, cette initiative unique allie médecine, design, sciences exactes et sciences humaines et sociales pour répondre aux besoins spécifiques des personnes vivant avec une maladie génétique rare. Vulca se distingue par son approche transdisci­plinaire, articulée autour de trois axes  : recherche, péda­gogie et soins. L’objectif est d’offrir une réponse complète et novatrice à des problématiques complexes. Remettre l’humain au centre du soin est possible au travers d’approches scientifiques originales mais aussi par des méthodes d’accompagnement pensées pour les patients, ainsi que pour les équipes médicales.

Une réponse aux défis des maladies génétiques rares

Les maladies génétiques rares concernent environ 3 millions de personnes en France, affectant principalement des enfants. Pour 85  % d’entre elles, aucun traitement curatif n’existe, et près de la moitié des patients restent sans diagnostic clair. Cette errance diagnostique est source de souffrances, de stigmatisation et de vulnérabilité sociale. Pourtant, derrière chaque pathologie se cache une histoire unique, marquée par des défis cliniques, psychologiques et sociaux.

Vulca adopte une approche holistique pour accompagner les malades et leurs familles, non pas en cherchant uniquement à traiter les symptômes mais en proposant des outils, des environnements et des pratiques qui les aident à «  vivre avec  » la maladie.

Encapacitation  : un concept central

Contrairement au concept d’empowerment, souvent employé de manière superficielle dans les discours actuels, Vulca privilégie celui d’encapacitation. Comme le rappelle Amartya Sen,2 il ne s’agit pas seulement de fournir des ressources mais de permettre aux individus de faire des choix réels et significatifs dans leur vie. Cette vision respecte les rythmes, les limites et les aspi­rations de chacun. Elle reconnaît que la maladie génétique, bien que source de vulnérabilités, n’épuise pas les potentialités des individus. En développant des approches centrées sur les besoins spécifiques des ­patients, Vulca cherche à replacer ces derniers dans une dynamique d’action et de capacité.

Le rôle du design  : un levier d’innovation sociale

Le design au sein de Vulca dépasse largement son rôle traditionnel. Plus qu’un outil esthétique ou fonctionnel, il devient une méthode participative et inclusive pour répondre aux besoins des patients.3,4 En intégrant des disciplines comme la philosophie, les sciences humaines et les sciences cognitives, le design permet de repenser la vulnérabilité et l’autonomie dans le contexte de la maladie. Le design à l’hôpital, discipline émergente, joue également un rôle clé dans la transformation des environnements de soin. Des espaces sensoriels, développés pour réduire le stress et l’anxiété, illustrent cette approche. Ces environnements, en combinant innovation technologique et savoir-faire artisanal, ­deviennent des lieux de réconfort et de ressourcement. La chaire Vulca entend œuvrer pour un design de l’hospitalité, un design où chaque création vise à tisser des liens durables entre les usagers et leur environnement. Ainsi, le design devient un acteur clé des transformations collectives, agissant comme un moteur pour soutenir les patients, rendre visible la maladie, réduire les formes de stigmatisation et d’isolement, atténuer les souffrances psychologiques et favoriser le «  vivre ensemble  ».

Exemple de mise en œuvre

Quelques collaborations préalables, en cours de développement, voire de prototypage, ont permis de poser le socle scientifique de la chaire et de créer un premier écosystème entre les institutions.

Le projet «  Peaux éthiques. Interfaces et enveloppes cutanées pour une maladie génétique rare à début pédiatrique  » est un projet de recherche doctorale en design qui est porté par Audrey Brugnoli, doctorante SACRe (sciences, arts, création, recherche) à l’EnsadLab, au sein du groupe de recherche Symbiose, en partenariat avec l’Institut Imagine et l’hôpital ­Necker-Enfants malades. Son étude principale se ­déploie à l’hôpital – sous la conduite du Pr Christine Bodemer, codirectrice de la thèse avec Emmanuel Mahé, chercheur et directeur de la recherche à EnsadLab, et le designer Patrick Renaud – où elle contribue au développement de nouveaux dispositifs médicaux (des peaux artificielles préventives et/ou réparatrices) centrés sur la sensorialité. L’objectif est de pallier la perte de sensation associée à certaines maladies génétiques rares de la peau et d’aider les patients, en particulier les enfants, à réinvestir leur organe peau de manière positive, tant dans ses dimensions cognitives que dans celles de l’intégration sociale  : vivre «  avec  » et non pas «  malgré  » l’atteinte cutanée dont la visibilité est un vrai handicap.5

Sciences cognitives et technologies immersives

Les sciences cognitives et les technologies immersives offrent des perspectives inédites pour accompagner les patients atteints de maladies rares.

Dr Tamed Cloud, dispositif de réalité virtuelle pour explorer les données de santé

Le projet «  Dr Tamed Cloud, interactions sensibles avec un nuage de données de santé  » est un dispositif de réalité virtuelle développé par le groupe de recherche Spatial Média d’EnsadLab, sous la conduite de François Garnier. Il permet aux individus d’inter­agir de manière intuitive, sensible et esthétique avec de grands ensembles de données numériques présentées sous la forme d’un «  nuage  » («  cloud  ») virtuel «  à comportement  » («  tamed »). À partir de ce dispositif générique a été créé «  Dr Tamed Cloud  », qui vise à explorer des données de santé dans un objectif de ­recherche et de soin dans le contexte des maladies génétiques rares.

Réalisé en partenariat avec l’Institut Imagine et le département d’études cognitives de l’École normale supérieure–PSL, ce prototype est co-élaboré avec ­Nicolas Garcelon, responsable de la plateforme Data Science de l’Institut Imagine. Il permet aux médecins et aux chercheurs de s’immerger dans les données numériques. En interagissant visuellement et par les gestes avec ce «  nuage  », de nouvelles interprétations des données émergent et peuvent générer ainsi de nouvelles hypothèses de recherche. Ce nouveau type d’interface gestuelle vient enrichir les traitements de données plus classiques.

Outils pédagogiques interactifs pour aider les enfants à comprendre leur pathologie

Par ailleurs, Vulca développe des outils pédagogiques interactifs pour aider les enfants à mieux comprendre leur maladie et leur corps. Ces dispositifs immersifs, combinés à des méthodologies issues des neuro­sciences, offrent des solutions concrètes pour améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles.

Le projet «  Figurer. Accompagner l’enfant atteint de séquelles de malformation anorectale  » est un projet de recherche doctorale en design mené au sein ­d’EnsadLab dont l’objectif principal est d’accompagner l’enfant atteint de séquelles des malformations anorectales dans la compréhension et l’appropriation de son fonctionnement digestif et défécatoire. Portée par Léa Tricaud, doctorante SACRe-PSL à l’EnsadLab au sein du groupe de recherche Symbiose, cette thèse trouve son origine dans un besoin réel défini, selon le Dr Célia Crétolle, codirectrice de la thèse avec Emmanuel Mahé, comme «  une lacune  » identifiée par l’équipe du centre de référence Malformations ano-rectales et pelviennes rares (MAREP, hôpital Necker-Enfants malades)  : il n’existe pas aujourd’hui d’outils permettant d’accéder aux représentations que se font ces enfants de leur corps dans la toute petite enfance, et notamment en âge préscolaire, ni de moyens pour les aider à se repré­senter leur filière anorectale et son mode de fonctionnement.

Une ambition globale et transdisciplinaire

La chaire Vulca ne se limite pas à traiter les enjeux des maladies génétiques rares. Elle propose un modèle transposable à d’autres problématiques de santé, comme les maladies chroniques ou les pathologies liées au vieillissement. En créant des ponts entre des disciplines – design, sciences et médecine – qui, bien souvent, ne se rencontrent pas, et en favorisant l’apport d’expertises différentes mais complémentaires, Vulca vise à transformer durablement les pratiques de soin et à promouvoir une vision inclusive de la santé.

Cette transdisciplinarité est rendue possible grâce à la collaboration des trois établissements partenaires  : l’École normale supérieure-PSL, l’Institut Imagine et l’École des arts décoratifs-PSL qui, bien que différents par la nature des expertises qu’ils abritent et par la diversité des approches méthodologiques et des recherches qui y sont menées, partagent une même vision de la santé, des objectifs et un langage communs (encadré). Par ailleurs, parce que les patients participent activement à leur prise en charge, l’apport de l’expérience des «  patients experts  » et des associations de patients viendra ­enrichir et compléter la construction des projets de la chaire Vulca.

Cette chaire est l’aboutissement d’un processus de construction d’une véritable communauté avec les équipes des trois établissements, d’interactions fortes et de projets collaboratifs qui se sont mis en place au fil du temps. Ces interactions sont le terreau d’idées novatrices qui sortent des cadres habituels et permettent d’élaborer des projets plus audacieux.

Vers une santé inclusive et humaniste

La chaire Vulca incarne une démarche profondément humaniste, où la science, l’art et le design convergent pour offrir un avenir où chaque individu peut vivre avec dignité et autonomie, quelles que soient ses contraintes. En plaçant les patients au centre de ses préoccupations, Vulca redéfinit les contours de la médecine et du soin, en s’appuyant sur la collaboration, la créativité et l’innovation.

Grâce à son approche transdisciplinaire et participative, Vulca vise à transformer la vulnérabilité en moteur d’espoir et d’innovation, pour les patients, leurs familles et toute la société.

Encadre

Scientifiques et institutions porteuses du projet

Charlotte Jacquemot est chercheuse en sciences cognitives et directrice du département d’études cognitives à l’École normale supérieure Paris Sciences & Lettres (PSL). Ses recherches sont ciblées sur le fonctionnement du cerveau, normal et dysfonctionnel, notamment après une lésion cérébrale. Le travail de son équipe de recherche consiste à développer des outils cognitifs pour améliorer le diagnostic et la rééducation des déficits cognitifs mais aussi pour optimiser les pratiques professionnelles et rendre plus satisfaisantes les conditions de travail des équipes médicales.

Sophie Larger est designer, enseignante et doctorante en design. Depuis 2007, elle enseigne à l’École des arts décoratifs-PSL, où elle développe des projets pédagogiques et de recherche sur les enjeux de design et santé. Depuis un an, elle a mis en place un séminaire de recherche dédié à ces questions, qui prolonge les collaborations avec l’Institut Imagine de 2019 et 2021.

Lisa Friedlander est odontologiste, professeure des Universités-praticienne hospitalière dans le service de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital Necker-Enfants-Malades à Paris. Elle est spécialisée en réhabilitation orale prothétique des patients porteurs de malformations oro-faciales et épidémiologiste, s’intéressant à l’étude des parcours de soins et des déterminants de la qualité de vie dans le champ des maladies rares.

Institutions fondatrices

École des arts décoratifs–PSL

Depuis 1766, l’École nationale supérieure des arts décoratifs–PSL est un lieu de foisonnement intellectuel, créatif et artistique, ayant pour vocation de former les futurs artistes, créateurs et designers des environnements de vie.

Institut Imagine

L’Institut Imagine, premier pôle européen de recherche, de soins et d’enseignement sur les maladies génétiques, est un lieu unique où se retrouvent les acteurs indispensables à ce projet, patients, familles, associations de patients, centres de référence et médecins experts, cliniciens et biologistes, scientifiques chercheurs, psychologues et psychiatres, et bien d’autres.

École normale supérieure–PSL

À la fois grande école, université et établissement de recherche, l’École normale supérieure-PSL dispense une formation d’excellence par la recherche conduisant aux différents métiers de l’enseignement et de la recherche et concourt à la formation par la recherche des cadres supérieurs des administrations publiques et des entreprises françaises et européennes. L’École normale supérieure promeut une recherche scientifique et technologique de pointe pour anticiper et accompagner les évolutions les plus récentes et soutenir les initiatives pluridisciplinaires.

Références
1. Nussbaum M C. Capabilités : comment créer les conditions d'un monde plus juste. Paris : Flammarion 2012. 
2. Sen A. L'Idée de justice. Paris : Flammarion 2010. 
3. Dautrey JDesign et pensée du care. Paris : Presses du Réel 2019
4. Tufano A. Vers un design des milieux. Paris : Éditions Hermann 2024
5. Frith C, Frith U.  What makes us social? MIT Press 2023.